Le Figaro Sport

Quentin Fillon-Maillet: l’appétit vient en triomphant

- Cédric Callier

RENCONTRE - Moins d’un an après sa performanc­e historique aux Jeux de Pékin, le biathlète repart en conquête. Ambitieux.

Qu’est-il devenu après son fabuleux dernier hiver? De ses deux titres olympiques - individuel et poursuite - et trois médailles d’argent - sprint, relais masculin et mixte - rapportés de Pékin à la conquête de son premier gros globe de cristal venant récompense­r le vainqueur du classement général de la Coupe du monde, en passant par ceux du sprint et de la poursuite, Quentin Fillon- Maillet avait littéralem­ent broyé la concurrenc­e. Au point de s’imposer avec près de 250  points d’avance sur son dauphin, le Norvégien Sturla Holm Lægreid. Une démonstrat­ion de force. Qu’il s’agit désormais de reproduire ou de faire durer.

Ce qui ne s’annonce pas simple, à écouter le principal intéressé, bien conscient de la difficulté de la tâche qui l’attend à partir de ce mardi et le début de la saison, avec l’épreuve individuel­le de Kontiolaht­i (13  h15), en Finlande. «Je me suis demandé si, après avoir décroché les deux plus gros titres de mon sport, j’aurais encore de la motivation pour continuer,

confie-t-il au Figaro. C’était une question que je ne m’étais évidemment jamais posée. Donc, j’ai pris le temps de le faire, de réfléchir au chemin parcouru, et je me suis rendu compte que tout me plaisait, en fait. Évidemment, un titre olympique, c’est une émotion immense, plus forte que tout, mais l’entraîneme­nt, la préparatio­n étaient aussi de super moments.

J’adore faire du sport, m’entraîner, progresser et je me suis dit que, si je continuais, je pourrais essayer de revivre tout cela. Et d’être encore plus investi, car j’ai mis la barre tellement haut que, si je veux ne serait-ce qu’égaler ce que j’ai réalisé la saison dernière, il faudra que je sois très, très bon . »

Dans cet ordre d’idée, il pourrait être tentant de ne rien changer et de s’efforcer de reproduire à la virgule près ce qui a si bien marché auparavant. Une erreur, à en croire le Jurassien : «Si je duplique exactement la même préparatio­n qu’il y a un an, cela donnera sans doute une belle saison, mais, si mes adversaire­s travaillen­t plus et mieux, je vais sans doute prendre du retard», analyset-il. Avant de préciser sa pensée: « L’idée a donc été de mettre en place des choses pour continuer à évoluer et conserver un certain avantage si cela paie.

Je conserve une base importante de ce qui a été fait en amont de la saison dernière et j’apporte des évolutions pour créer encore plus de performanc­e, même si rien n’est précisémen­t quantifiab­le ni n’est une science exacte. Demain, par exemple, si je cours une demiheure en plus, c’est impossible de savoir ce que cela m’apportera réellement en compétitio­n. Simplement, comme j’aime m’entraîner et progresser, j’ai toujours cette envie d’innover pour garder un temps d’avance . »

Des émotions extraordin­aires

À 30  ans, Quentin Fillon- Maillet ne veut pas rester dans l’histoire comme un simple feu de paille, le biathlète d’une seule saison, aussi belle soit-elle avec ses dix victoires. D’ailleurs, l’ivresse des sommets qu’il a atteints à Pékin ne l’a pas ébaubi plus que cela. «Le chemin a été tellement long pour y arriver, j’ai tellement imaginé au fil des années remporter de telles victoires que, le moment où c’est enfin arrivé, cela m’a presque semblé normal. C’était des émotions extraordin­aires, mais, dans mon esprit, je m’attendais à ce que ce soit encore plus fort dans la réalité que dans mes rêves. Et puis, les Jeux à peine terminés, il a fallu finir la saison et aller décrocher ce gros globe de cristal, donc je n’ai pas pris le temps de me poser. Quand la saison s’est achevée, finalement, j’avais déjà un peu digéré tout ce qui s’était passé à Pékin.»

A  priori, donc, le natif de Champagnol­e ne devrait pas subir le contrecoup de son exceptionn­elle réussite, comme cela fut le cas, par exemple, en ski alpin, d’Alexis Pinturault, qui, après avoir conquis le gros globe de ses rêves, a ressenti un immense vide derrière, débouchant sur une saison très compliquée. «Cela pourrait être très intéressan­t que j’en parle avec Alexis , admetil, pensif. Je ne vois pas le titre olympique ou le gros globe de cristal comme des finalités. Quand j’étais petit, je rêvais d’être le meilleur biathlète du monde, ce qui signifiait beaucoup de choses. Je ne me suis donc jamais dit que, en étant champion olympique ou en remportant la Coupe du monde, mon objectif de carrière était définitive­ment atteint. Là, je me dis que mon rêve de gosse peut durer encore quatre ans sans problème. J’ai toujours envie de le poursuivre . »

À l’ombre de Martin Fourcade

Ce qui incite à l’optimisme le concernant, ce sont toutes ces années passées dans l’ombre de Martin Fourcade, à grandir à son rythme. Une figure tutélaire aux 13  titres mondiaux et 5 olympiques, qui l’a autant servi que desservi. «Ce qui est sûr, c’est que cela a d’abord été un immense avantage d’évoluer à ses côtés. Je suis rentré dans une équipe de France où il y avait le leader mondial, et de nombreux athlètes auraient payé pour être à ma place. Cela m’a permis de beaucoup progresser.

Ensuite, le bémol, c’est que je suis resté dans son ombre un certain temps. L’exemple type, c’était ces courses où je finissais sur le podium, devant lui, et qu’on venait plus me parler de sa performanc­e que de la mienne. Martin m’a beaucoup apporté, mais, quelquefoi­s, j’aurais aimé être plus dans la lumière. Et, en même temps, sa présence m’a protégé d’une certaine pression, surtout qu’il m’a fallu plus de temps et de maturité pour arriver à ce niveau-là que lui…»

Une confiance saine

Désormais nanti d’une confiance saine en ses moyens et en son potentiel sur les skis et au tir, Quentin Fillon-Maillet ne veut pas cependant que celle-ci vire à l’excès, «nocif pour la performanc­e», selon lui. «J’essaie toujours de me remettre en question. J’aborde cette saison avec autant de doutes que l’année dernière, et encore celle d’avant. Je ne veux pas être trop sûr de ce que je fais. De la confiance, évidemment, il en faut beaucoup, mais pas trop. Après, où se situe la frontière, c’est difficile à expliquer. Sans doute dans un état d’esprit au moment d’aborder chaque course, en étant à la fois serein et en alerte.»

Même s’il sait que le regard des autres sur lui a changé, à commencer par celui de son principal rival supposé, le Norvégien Johannes Boe.

«C’est sûr que mes adversaire­s me craignent davantage. On l’a vu après les Jeux, quand Johannes a décidé de mettre un terme à sa saison parce qu’il estimait ne plus pouvoir jouer le globe de cristal. À ce momentlà, certes, j’avais un bel avantage sur le plan comptable sur lui, mais rien n’était fait. Simplement, il s’est vu trop loin et peut- être m’a-t-il vu trop fort à ce moment-là? D’autres athlètes aussi m’ont annoncé gagnant dans la course au globe avant la fin, ce qui fait plaisir. Il y a une certaine supériorit­é mentale qui s’est établie et qui m’a conféré un petit avantage au départ des courses de fin de saison.»

Celle-ci sera-t-elle intacte au moment d’attaquer ce nouveau chapitre, dont le point d’orgue se situera entre le 8 et le 19  février à Oberhof (Allemagne), théâtre des prochains championna­ts du monde? Lui qui n’a encore jamais remporté de titre mondial en individuel l’ambitionne, forcément. Sans vouloir se mettre une pression superflue pour autant. «Ce serait une erreur de partir sur cette saison en voulant écrire l’histoire de mon sport. C’est d’ailleurs la faute que j’ai commise à Pékin sur la mass start en pensant trop à cette 6e médaille, qui aurait fait de moi l’athlète le plus médaillé sur une olympiade d’hiver. J’avais pourtant essayé de m’enlever cela de la tête pendant la course, mais j’y ai repensé au moment du dernier tir et voilà ( il a fini 4e)… Il faut toujours être sur le moment présent . »

 ?? TOBIAS SCHWARZ/AFP ?? Le biathlète français, Quentin Fillon-Maillet, célèbre sa victoire sur l’épreuve de poursuite de 12,5 km, le 13 février 2022, lors des Jeux olympiques à Pékin.
TOBIAS SCHWARZ/AFP Le biathlète français, Quentin Fillon-Maillet, célèbre sa victoire sur l’épreuve de poursuite de 12,5 km, le 13 février 2022, lors des Jeux olympiques à Pékin.

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