Coupe du monde: Ibrahima Konaté, le colosse et chouchou des Bleus
PORTRAIT - Titulaire contre l’Australie, le défenseur de Liverpool devrait être reconduit ce mercredi face à la Tunisie dans une rencontre à l’enjeu relatif.
La grisaille de la météo de Liverpool ne donnait aucun indice, en ce mercredi 9 novembre. C’est pourtant bien un coin de ciel bleu et de paradis qui, au bout de la soirée, attendait Ibrahima Konaté, suspendu aux lèvres de Didier Deschamps, chez lui, emmitouflé sous un plaid. Le défenseur des Reds ne savait pas s’il serait dans la liste des 26 pour la Coupe du monde.
«Cette journée était interminable. Je suis allé deux fois au centre d’entraînement du club pour faire des soins, pour passer le temps , rigole le chaleureux colosse (1,94 m) aux airs de gros nounours. Je ne pensais qu’à ça, avec mes amis, qui m’envoyaient des messages :
“Alors, t’as des nouvelles?”Je leur disais : “Mais laissezmoi tranquille, attendez comme tout le monde!”»
Titulaire contre l’Australie il y a une semaine (victoire 4-1) en suppléant de Raphaël Varane, puis remplaçant entré en cours de match face au Danemark samedi (2- 1), il devrait être reconduit ce mercredi face à la Tunisie (16 h), dans une rencontre à l’enjeu relatif, en défense centrale. Un secteur de jeu qui ne le séduisait «pas du tout» quand il était jeune. Avant d’arriver au centre de formation du FC Sochaux à 15 ans, celui qui se rêvait attaquant ne supportait pas de reculer en défense. « J’ai beaucoup joué milieu , se souvient-il. Je pense qu’à Sochaux mes entraîneurs me préparaient à jouer défenseur, mais ils me faisaient jouer milieu de temps en temps pour me faire plaisir, car ça reste un sport où les jeunes veulent prendre du plaisir . » Pas assez adroit aux abords de la surface, Konaté a naturellement trouvé des repères à un poste en adéquation avec son profil. « Éric Hély (ex-entraîneur sochalien) me disait : “Tu es grand, tu es puissant, tu vas vite… En plus, tu es à l’aise techniquement, tu vas tout péter”. Il n’avait pas tort», plaisante Konaté, très apprécié par le staff pour son état d’esprit et sa joie de vivre qui irradient l’hôtel al-Messila, à Doha, où séjournent les Bleus depuis une semaine.
La défense, le natif de Paris ne l’avait pas dans le sang. Mais, aujourd’hui, il l’embrasse. «Quand je regarde des matchs, j’aime voir des interventions, des tacles, des contrôles avec l’attaquant qui est dans le dos , liste-t-il. C’est une prise de plaisir . » Une injection de dopamine qu’il ne s’octroyait jamais derrière un écran, fut un temps. Regarder du foot à la télé? Pas sa conception du temps libre. «Parfois, mes coéquipiers parlaient de certains joueurs. Moi je disais : “Je ne connais pas.” La première fois, ils m’ont laissé. Deux, trois fois … “Mais Ibou (son surnom), tu fais quoi chez toi? T’abuses, regarde la télé! ” » S’il préférait s’aérer l’esprit loin du ballon rond, Konaté s’est rendu compte «que, arrivé à un certain niveau, il faut regarder les matchs».
Son modèle? Sergio mos Ra
Comme un mauvais élève qui se serait fait taper sur les doigts, le jeune homme de 23 ans fait désormais ses devoirs. Avec une appétence pour le spectaculaire championnat où il évolue, la Premier League. « Par exemple, Harry Kane (attaquant de Tottenham et capitaine de l’Angleterre, que les Bleus pourraient retrouver en quart de finale du Mondial), je sais qu’il aime bien être entre les deux défenseurs centraux, partir dans le dos, et tirer croisé petit filet opposé. Ce sont des petits détails . » Ceux qui lui permettent non pas d’annihiler les attaques adverses, mais de sécuriser son camp. Rassurer, c’est ce à quoi aspire ce fan de Sergio Ramos, ex-taulier et capitaine du Real Madrid et de l’Espagne. « La force, la grinta, le leadership qu’il avait… Quand il était sur le terrain, il dégageait un truc , s’émerveille Konaté. Il avait un charisme, des interventions qui faisaient que… (Il tape dans sa main.) C’est bon, il a donné le top départ pour aller à la guerre . »
Son vocabulaire s’égare dans des eaux belliqueuses et résonne avec sa silhouette, mais son sourire juvénile nuance le personnage. Avec Liverpool ou les Bleus, le produit de Sochaux et du Paris FC rejette une étiquette stéréotypée: «J’aimerais avoir toutes les qualités possibles, pour être, entre guillemets, le défenseur ultime un jour. Être un joueur à l’aise avec le ballon, puissant, dur sur l’homme, mais qui ne se sert pas que de ses qualités physiques, qui se sert aussi de son intelligence dans certaines situations où le physique ne va pas faire la différence .» Car la vision du jeu n’est pas réservée aux milieux de terrains créatifs. C’est la principale leçon que lui a enseignée son partenaire en club, Virgil van Dijk, deuxième du Ballon d’Or en 2019. «C’est quelqu’un qui a une force extraordinaire, mais il ne s’en sert pas trop , analyse Konaté. Parfois, on a même l’impression qu’il joue trop facile. C’est son style de jeu . »
Fan d’animes japonais
À chacun son style. Certains défenseurs sont rugueux, et pas que dans les gestes. Les joutes verbales? Konaté ne connaît pas. Pas du tout, même. « Quand j’étais au centre (de formation, à Sochaux), je me rappelle des professionnels, je ne vais pas citer les noms , pouffe-t-il de rire. Ils me disaient : “L’attaquant, tu dois lui faire ci, tu dois lui faire ça pour le déconcentrer.”Mais non, non, non, avec moi, on va s’affronter sans vice. Je n’essaie pas de déconcentrer l’adversaire . »
De toute façon, pas le temps pour ça. Lorsqu’il évoque le terrain, Konaté répète les mêmes termes: «Ça va trop vite.» L’intensité, composante essentielle du football moderne, fait que «tu ne peux pas écouter les consignes du coach, qui crie sur le bord du terrain. Ce sont des décisions que tu dois prendre.»
Personnalité et concentration, des mots-clés, d’autant plus lorsque l’international français (4 sélections), droitier, joue dans l’axe gauche de la défense. Il l’a fait, souvent, avec Liverpool et les Bleus. Pour le néophyte, axe gauche ou axe droit ne change rien. Pas pour les acteurs. « J’ai beaucoup échangé avec van Dijk à ce sujet , confie Konaté. Il préfère jouer à gauche (alors qu’il est droitier). Je lui ai demandé pourquoi, et c’est surtout par rapport au positionnement, pour pouvoir reculer plus rapidement avec son pied d’appui . » En bon soldat, Konaté estime qu’il doit se tenir «prêt» selon les besoins des Bleus. Sans impatience, en gardant sa soif de progrès. D’où sa réponse mûrement réfléchie lorsqu’on demande à ce fan d’animes japonais quel personnage du célèbre manga Dragon Ball Z
il serait, sur le terrain. «Je dis Son Goku (le héros du manga), parce que plus ses adversaires sont forts, plus il est déterminé à les combattre . Moi, c’est pareil. Tu ne vas pas toujours gagner, tu vas perdre, mais ces défaites te rendent plus fort . » À l’image de sa grande mais vaine performance, en finale de Ligue des champions avec Liverpool il y a six mois (défaite 1- 0 contre le Real Madrid). Un revers qui n’a pas arraché sa bonne humeur solaire présente à Doha pour réchauffer les Bleus.