Le Figaro Sport

Émilien Jacquelin : «Parfois, j'ai tellement envie de bien faire que je m'y perds»

- Cédric Callier

ENTRETIEN - Auteur d'une dernière saison contrastée, entre une belle 5e place au classement général de la Coupe du monde et des JO ratés sur le plan individuel, le biathlète veut désormais «être davantage bienveilla­nt envers» lui- même.

Les larmes, poignantes, d'Émilien Jacquelin à l'issue de sa 72e place lors de l'individuel des Jeux olympiques de Pékin avaient été un moment fort en émotions. En se mettant à nu pour commenter sa contre-performanc­e et ses tourments intérieurs, le double champion du monde de la poursuite (2020 et 2021) avait été loin dans l'analyse. Et l'autocritiq­ue. Ce qui, finalement, correspond bien à sa personnali­té attachante et complexe à la fois.

Présenté très jeune comme le futur successeur de Martin Fourcade au sommet de la hiérarchie du biathlon mondial, Jacquelin a finalement vu Quentin Fillon-Maillet lui dérober le costume. Ce qui pourrait bien être un mal pour un bien pour ce jeune homme de 27 ans qui se dit « arrivé à maturité », à condition d'être moins intransige­ant avec lui- même et de savoir mieux appréhende­r l'échec, inhérent à toute carrière de sportif de haut niveau. Rencontre avec un champion au naturel et au franc-parler revendiqué­s avant la première course de la saison, l'individuel de Kontoliath­i.

Émilien, comment vous sentez-vous au moment d'aborder cette nouvelle saison ? Êtes-vous bien remis de votre opération estivale au poignet gauche ? Émilien Jacquelin : Je vais bien. Cela s'est remis très rapidement au final. Une semaine après l'opération, j'avais déjà quasiment récupéré mes pleines capacités au niveau du bras. Même si aujourd'hui, je remarque qu'il reste encore quelques séquelles. Cela n'a pas laissé le bras indemne. Mais c'est normal quand on fait du haut niveau, on ressent la moindre petite faiblesse et c'est vrai que mon bras gauche n'est pas à 100% opérationn­el. Mais j'arrive à faire avec et le moral est au beau fixe, donc tout va bien pour attaquer la saison.

Le moral au beau fixe, cela a demandé du travail sur vous après des Jeux olympiques de Pékin difficiles… Oui, cela a demandé du travail, du temps, de la prise de recul, de la bienveilla­nce… J'attendais beaucoup de cette saison olympique, et elle reste très bonne car j'ai gagné au Grand-Bornand, j'ai porté le maillot jaune de leader du classement général de la Coupe du monde où je termine finalement 5e en étant 2e avant la dernière étape. Il y a eu une évolution positive par rapport à la saison précédente. Et cela, malgré ma blessure. Cela a été à la hauteur de mon investisse­ment durant toute l'année. Maintenant, c'est certain également que j'aspirais à chercher mieux à Pékin.

N'avez-vous pas placé trop d'attente sur ces Jeux ?

Si, sans aucun doute. Je pense que j'avais une énorme attente envers moi- même. À partir du moment où j'ai porté ce dossard jaune, je me suis vraiment dit que j'avais les capacités de tout jouer, le classement général et l'or aux Jeux. Malheureus­ement, mon bras gauche m'a ensuite rappelé à l'ordre et j'ai connu quelques problèmes personnels qui ne m'ont pas aidé non plus. Derrière, j'ai eu l'impression de vivre un peu une descente aux enfers. Dès le moment où j'ai perdu ce dossard jaune, je me suis mis à tout voir de manière négative, comme si j'avais déjà perdu. L'hiver dernier, je n'ai pas réussi à prendre du recul et j'ai tout vu d'un mauvais oeil tellement j'en attendais. Je pense avoir appris de cette saison et être mieux armé aujourd'hui.

Vous avez évoqué votre délicate gestion de l'échec… Oui. Il faut savoir qu'on attaque notre préparatio­n début mai et que la saison se termine fin mars de l'année suivante. Cela veut dire qu'on a seulement un mois de coupure et que pendant onze mois de l'année, je ne fais que du biathlon. Du coup, à chaque fois que je vis un échec, ma déception est accentuée. J'ai ce sentiment de décevoir les gens, d'être honteux après une contre- performanc­e. C'est pour cela que je parlais de recul et de bienveilla­nce envers moi- même, pour mieux accepter l'échec qui fait partie du sport de haut niveau. Je dois être capable de rebondir plus rapidement.

Parfois, on a l'impression que ce que vous jugez être une contre-performanc­e l'est uniquement à vos yeux… Oui, c'est cela, vous l'avez très bien résumé. Quand je parle de prendre du recul, c'est lié au fait que je vis tellement les courses à 100% en termes d'émotions que cela me submerge. Dans certains cas positiveme­nt, car cela me permet de me sublimer comme lors de mes titres mondiaux ou au Grand-Bornand. Mais quand quelque chose se passe mal lors d'une course, mon cerveau a tendance à switcher tout en noir et je n'arrive pas à accepter les contrecoup­s lors d'une course. C'est là- dessus que je dois évoluer.

De quelles solutions disposez-vous ? Disposez-vous d'un préparateu­r mental ?

Bien sûr que cela ne se fait pas tout seul. Je travaille avec une psychologu­e/préparatri­ce mentale pour ça. Ce n'est pas pour trouver des solutions mais pour mieux comprendre certains comporteme­nts que je peux avoir vis-à-vis de l'échec. Mais après, le gros du travail, c'est à moi de le faire et j'insiste vraiment sur cette notion de bienveilla­nce envers moi-même. Je dois être capable d'accepter que je ne peux pas être parfait à chaque fois. Mon souci est que mon plaisir passe par de l'engagement, une sorte de liberté dans ma manière de faire du biathlon mais parfois, j'ai tellement envie de bien faire que je m'y perds et que je crée du négatif à vouloir toujours mieux faire. Je dois apprendre à mettre un peu la manière de côté.

Pour être positif, être capable d'analyser, comme vous le faites, ce qui ne va pas est déjà une partie du chemin d'accomplie… Exactement. Du moment où l'on est capable de pointer du doigt son problème, c'est que la moitié du travail est déjà faite. Je viens d'avoir 27 ans et je pense arriver à maturité au sens où je suis capable de mieux me connaître, de savoir dans le biathlon qui je suis, qui je dois être pour performer. Suite à mon deuxième titre mondial, je me suis un peu perdu à vouloir être un autre biathlète, alors que je m'étais prouvé que j'étais capable de gagner en étant moi-même à savoir très naturel et instinctif. Toutes les bonnes courses que je réussissai­s l'étaient à l'intuition. Et quand j'ai voulu être quelqu'un d'autre, plus rationnel, plus technique, plus sérieux durant mes tirs, j'en ai perdu le naturel et force est de constater qu'on ne peut pas réussir en étant quelqu'un d'autre que soi-même. C'est vraiment ce que j'ai appris cet hiver. Et aux Jeux, quand

 ?? Panoramic ?? Émilien Jacquelin
Panoramic Émilien Jacquelin

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