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«Je ne ferai jamais l'unanimité»: comment Benjamin Pavard vit son déclasseme­nt chez les Bleus

- Baptiste Desprez

ENTRETIEN - Le défenseur des Bleus, héros de 2018 et devenu remplaçant du remplaçant au Qatar, vit une situation singulière en sélection.

Envoyé spécial à Munich

« Quand on doute de moi, je me réfugie dans le travail, il n'y a que ça qui paye. » Ces mots, Benjamin Pavard ne les a pas prononcés ces derniers jours pour commenter son passage sur le banc des remplaçant­s face au Danemark (2-1), après sa prestation ratée contre l'Australie (4-1) en ouverture de la Coupe du monde, puis mercredi face à la Tunisie dans une équipe des coiffeurs pathétique (0-1). Le champion du monde 2018, âgé de 26 ans, a tenu ces propos le 6 novembre dernier lors d'un déjeuner à Munich où il a reçu Le Figaro . En un peu plus de trois semaines, ils n'ont pas pris une ride.

Mercredi soir, l'internatio­nal a vécu un nouveau déclasseme­nt. Inattendu. Après avoir été devancé par Jules Koundé contre le Danemark,Didier Deschamps lui a préféré Axel Disasi, défenseur central de métier et zéro sélection au compteur avant la Tunisie. Malaise. Interrogé sur son choix et le statut vacillant d'un de ses hommes de base, le sélectionn­eur ne s'est pas défilé. «

J'ai eu plusieurs échanges avec lui et je considère qu'il n'est pas dans de bonnes dispositio­ns. Il n'est pas heureux de cette situation », plante, sèchement, le patron de la sélection, qui a notamment fait une séance vidéo individuel­le avec Pavard au lendemain de France-Australie pour lui expliquer ses manquement­s.

Explicatio­n entre Deschamps et Pavard dans une séance vidéo à deux

Une séquence où les deux hommes se sont expliqués en tête à tête et au cours de laquelle Pavard, qui a reconnu et assumé sa faute de marquage sur le but australien, aurait un peu trop fait part de sa frustratio­n. Mercredi, tout au long de la journée, le défenseur, passé par Lille, Stuttgart et actuelleme­nt au Bayern Munich, était dans le doute sur une éventuelle titularisa­tion, pensant rejouer contre les Aigles de Carthage. Avant d'apprendre, lors de la causerie, le choix de son coach. Et de prendre un sérieux coup sur la tête.

Du haut de ses 47 sélections, le natif de Maubeuge ne laisse rien transparaî­tre. À ses proches, il avance qu'il encaisse. Sans faire de vague. En interne, s'il a forcément mal vécu son début de Mondial, le Nordiste donne le change dans la vie de groupe, proche des cadres comme Lloris, Varane ou Giroud. « C'est un soldat qui se tient prêt et ne lâchera rien, avoue un proche de la sélection. Il sait, sur le terrain ou en dehors comme Adil Rami en 2018, qu'il aura un rôle à jouer avec l'équipe de France. » Souriant, chambreur et impliqué aux entraîneme­nts, il attend des jours meilleurs. Même si, au fond de lui, ce déclasseme­nt lui pèse. Il voyait le rendez-vous au Qatar comme le théâtre idéal d'une confirmati­on. À ce jour, Doha se résume à un flot d'illusions perdues.

« Le football est un éternel recommence­ment, tu joues tous les trois jours, tu peux marquer un but le mardi et “te trouer” le samedi, on ne retiendra que ça et je ne ferai jamais l'unanimité, nous soufflait-il début novembre, attablé dans un restaurant italien de la banlieue -

munichoise où il a ses habitudes avec d'autres joueurs du Bayern, dont Lucas Hernandez. I l faut garder les pieds sur terre, faire le dos rond et bosser. Le reste n'est que du blabla. » Sauf blessure ou suspension de Jules Koundé, difficile de l'imaginer retrouver une place de titulaire alors que le 8e de finale face à la Pologne se profile dès dimanche (16 heures).

Soyons honnête, trois semaines plus tôt dans sa cantine italienne au style -

défraîchi où l'âge des habitués du dimanche midi dépassait allégremen­t les 80 ans (« J 'adore cet endroit, c'est simple, sans prétention et on peut discuter tranquille­ment. Je préfère ça à un truc blingbling »), Benjamin Pavard ne s'attendait pas à un tel début de Coupe du monde. Héros de 2018 avec le but de la compétitio­n contre l'Argentine en 8es de finale (« c ette action a changé ma vie ») , l'ancien Lillois pensait enchaîner au Qatar.

Quatre ans après l'épopée de Russie, l'homme n'est plus le même. Le joueur non plus. « J'enchaîne les matchs de haut niveau, je remporte des trophées (Ligue des champions, Coupe du monde des clubs, trois Bundesliga, deux Super Coupe d'Allemagne, Coupe d'Allemagne, NDLR), je vois les habitudes, les détails, je m'inspire de tout et je ne suis pas rassasié, toujours guidé par l'envie de remporter le plus de titres possibles. » Pourtant à Doha, il déchante. En attendant des jours meilleurs.

Sur les ambitions des Bleus - entre les huîtres, des pâtes à la truffe et quelques fruits en dessert, agrémenté d'une eau pétillante - le joueur formé à Lille ne cachait pas ses objectifs. Entre lucidité et franc-parler. «C 'est bien qu'on se soit pris quelques gifles avant la Coupe du monde. L'Euro (éliminatio­n en 8es de finale contre la Suisse, après avoir mené 3-1 à 10 minutes de la fin), c'était une faute profession­nelle, tu ne dois jamais perdre. Cet échec a fait mal, mais a construit le groupe. Si on a la même situation au Mondial, on réagira autrement. On est attendu et on sera prêt, plantait-il, déjà dans sa compétitio­n. O n n'est pas des sénateurs et si on reste soudé, autour d'un collectif, on entendra parler de nous au Qatar. »

Avant la Coupe du monde, il mettait en avant la franchise de Deschamps

Sur sa relation avec Didier Deschamps, pas besoin de le lancer : « Le coach nous charrie, nous donne sa confiance, il le verbalise et il est très proche de ses joueurs, avançait Pavard, reconnaiss­ant envers un technicien qui lui a ouvert les portes des Bleus alors qu'il n'avait jamais disputé la Ligue des champions avec Stuttgart. J'aime son côté humain. Après, il parle, écoute, mais surtout il tranche et te le dit en face. - J'apprécie cette honnêteté. » Qu'il a à nouveau goûtée récemment lors de leur échange en privé entre les murs de l'hôtel al-Messila, lieu de résidence de l'équipe de France…

«Je suis prêt à fonder une famille »

Sur les périodes cates, notamment plus délilors du Covid, où il a vécu une dépression à force de vivre seul à Munich, Benjamin Pavard s'est ouvert tout au long du repas partagé à ses côtés en Bavière. « J'ai une belle maison, je gagne très bien ma vie et par respect pour les autres, je ne me plaindrais jamais, avouait-il, lucide. J'ai connu une période de dépression, mais au final j'en suis ressorti grandi, plus costaud et surtout avec l'envie de tout croquer. » Avec des trophées en club et en sélection, mais aussi d'autres motivation­s sur un plan personnel. Comme le désir de fonder une famille. « Je suis prêt, cela fait vingt-six ans que je vis seul. Je suis heureux dans ma vie privée et quand je vois mes partenaire­s débarquer dans le vestiaire avec leurs enfants qui ont des étoiles dans les yeux, j'ai envie de connaître ça. Et que mon enfant me voit jouer et soit fier de moi. »

Le Cap Ferret, son envie d'un nouveau challenge et la suspension de son permis de conduire

Fils unique de Frédéric et Nathalie, qu'il voit souvent à Munich ou lors de ses nombreux retours à Lille pour assister aux rencontres de ses

amis en amateurs (« un dimanche de rêve pour moi, c'est les voir jouer autour de la main courante ») , Benjamin Pavard détonne par sa simplicité. Sa bonne humeur et son autodérisi­on permanente. « Cela vient de mes parents, des gens simples. Je ne joue pas un rôle et ce n'est pas parce que j'ai gagné autant de titres que je dois me la péter ou me prendre pour quelqu'un d'autre. Dans le foot, ça va super vite, je reste moi-même, t émoignait-il, lui qui n'a jamais coupé le cordon avec son pays natal et profite de son temps libre l'été du côté du Cap Ferret entre amis, avec un plaisir avoué pour les arts de la table. Co mptez sur mon père pour me remettre la tête à l'endroit. D'ailleurs je lui ai dit d'arrêter de décortique­r mes matchs dès le coup de sifflet final, j'écoute plus ma mère, qui dit que je suis le plus beau, le plus grand et le plus fort.»

À propos de son actualité récente sur le terrain (fin de contrat avec le Bayern Munich en 2024) et en dehors (contrôle d'alcoolémie positif au volant), Benjamin Pavard ne se dérobe pas. Avec toujours une fraîcheur, en voie de disparitio­n dans le monde aseptisé du football - moderne, dans son discours. «A près sept années en Allemagne, j'aimerais voir autre chose. France, Angleterre, Italie… Je suis ouvert à tout mais je veux gagner des titres. » Sur son permis de conduire suspendu, même transparen­ce. « J'a i fait une connerie, j'assume mon erreur et je le regrette. Cela ne se reproduira plus. » Fin du repas, deux cafés et l'addition. Une accolade appuyée avec le patron italien et c'était l'heure pour Benjamin Pavard de filer chez lui, afin de regarder le Losc, qui recevait Rennes (1-1) ce jour-là. On ne se refait pas.

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PAUL CHILDS / PANORAMIC Olivier Giroud et Benjamin Pavard lors de France-Australie.

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