Le Figaro Sport

Ons Jabeur, le perpétuel printemps arabe

- Romain Schneider

PORTRAIT - La Tunisienne espère de nouveau marquer l’histoire lors de Roland-Garros qui débute dimanche.

La saison dernière, forte de son titre au Masters 1000 de Madrid et d’une finale à Rome, Ons Jabeur avait abordé la quinzaine parisienne en favorite aux côtés d’Iga Swiatek, future lauréate. Changement de décor cette année. Malgré un titre à Charleston sur terre battue en avril, sa première partie de saison a été perturbée par les blessures. Après avoir eu des petits pépins physiques en début d’année, l’actuelle 7e mondiale a rechuté à Madrid début mai (mollet). «Je ne suis pas la même joueuse que l’année dernière, a confirmé la Tunisienne au Figaro. J’essaie de rester positive. Ma priorité, c’est d’être en bonne santé, car c’est difficile de revenir quand tu enchaînes les petites blessures. Ce qui est frustrant, car j’adore la terre battue.»

La double lauréate Porte d’Auteuil, Iga Swiatek a d’ailleurs affirmé être la meilleure joueuse sur ocre aux côtés de la Tunisienne. Si Jabeur a prouvé sa polyvalenc­e lors sa superbe saison 2022 où elle a atteint et perdu ses deux premières finales du Grand Chelem contre la Russe Elena Rybakina

à Wimbledon en juillet, puis face à Swiatek à l’US Open deux mois plus tard c’est bien sur terre qu’elle avoue se sentir le mieux. Son style de jeu atypique s’adapte à merveille à cette surface. «Je peux faire n’importe quel coup. Après, il faut savoir jouer la bonne tactique au bon moment.»

Paradoxale­ment, RolandGarr­os demeure le seul tournoi du Grand Chelem dans lequel Jabeur n’est pas encore parvenue à passer le stade des huitièmes de finale, qu’elle a atteint en 2020 et 2021. Et elle reste sur une grosse désillusio­n avec une éliminatio­n dès son entrée en lice en 2022. «Le contexte est différent de l’année dernière quand Iga (Swiatek) était la grande favorite. Là il y a notamment Elena (Rybakina) qui dérange beaucoup Iga. Même si sur cette surface Iga a un avantage. C’est plus ouvert. Mais ce sera probableme­nt une joueuse du top 10 qui soulèvera le trophée. J’espère que ce sera moi (sourires).»

L’égérie de l’équipement­ier américain Wilson va disputer ses sixièmes Internatio­naux de France dans le grand tableau armée de sa nouvelle raquette (Pro Staff v14). En 2021, quart-de-finaliste à Wimbledon, elle avait mis aux enchères un précédent modèle, en pleine crise du Covid-19, pour aider les hôpitaux de son pays, où le taux de mortalité était alors le plus élevé de la région d’après l’OMS. Sa raquette mise en vente à 2000 dinars (environ 610 euros), avait atteint la somme de 17.000 dinars (environ 5200 euros). Et elle avait ajouté un don personnel à la somme récoltée. «J’ai eu cette idée, car ça m’a attristée de voir mon pays autant souffrir pendant le Covid. Je savais que beaucoup de personnes la voudraient, mais j’ai été surprise par le nombre de demandes. J’ai rencontré par hasard un médecin qui m’a dit que j’avais sauvé quelques vies grâce à cette vente et ça, c’est le plus important.»

Les joueuses, adversaire­s ou amies, la décrivent sociable et généreuse. Ses performanc­es sur les courts et sa bonne humeur lui ont valu le surnom de «ministre du bonheur» dans un pays frappé par une crise institutio­nnelle qui a dégénéré en crise économique, sanitaire et sociale.

«J’ai gagné beaucoup de matchs à partir de 2021 et les gens ont commencé à regarder de plus en plus mes rencontres et m’ont appelée comme ça. La Tunisie passait par des moments très difficiles et je leur ramenais un peu de bonheur avec les victoires. J’essaie de donner le bon exemple. Je veux toujours prouver que rien n’est impossible.»

Première joueuse arabe à atteindre les quarts de finale d’un tournoi du Grand Chelem

La native de Ksar Hellal, à 200 kilomètres au sud de Tunis, empile les records, fait tomber les barrières. En janvier 2020, elle était devenue la première joueuse arabe à atteindre les quarts de finale d’un tournoi du Grand Che

lem, à l’Open d’Australie. Dauphine de la numéro un mondiale Iga Swiatek en 2022, elle a franchi un nouveau palier à 28 ans.

Formée au tennis club de Hammam Sousse, elle avait dû quitter son pays à 16 ans, pour parfaire son jeu. En 2011, à 17 ans, elle remportait le tournoi junior de Roland-Garros à Paris, ville d’adoption de son frère et de sa soeur. Sa nièce et à son neveu, habitant non loin des courts de la porte d’Auteuil. «La Tunisie, c’est proche de la France. Beaucoup de Tunisiens ont regardé RolandGarr­os à la TV et ont découvert le tennis grâce à ce tournoi. Je me souviens des enfants qui traçaient un terrain avec des lignes. J’ai grandi en jouant sur terre. En 2011, lorsque j’ai gagné les juniors, je revenais d’une blessure et je n’avais pas joué pendant cinq mois. J’avais perdu la finale en 2010. C’était plutôt une revanche. Pourtant, physiqueme­nt et tennistiqu­ement, je n’étais pas prête pour remporter le tournoi, mais la volonté m’a beaucoup aidée pour m’imposer.»

Avant de goûter à la lumière, la Tunisienne a progressé dans l’ombre. Pendant plusieurs années, elle a écumé les tournois secondaire­s et les qualificat­ions pour tenter de participer aux rendezvous du Grand Chelem. «J’ai eu une transition assez difficile des juniors aux profession­nels et, du coup, je n’avais pas trouvé l’équipe qui pourrait m’aider à mieux comprendre mon style de jeu atypique. Je dois beaucoup à Bertrand Perret (l’actuel entraîneur de Caroline Garcia) qui m’a permis d’arriver au plus haut niveau.»

Depuis 2020, Jabeur évolue avec un staff 100 % tunisien, composé de son préparateu­r physique, l’ancien escrimeur Karim Kamoun, qui est aussi son mari, et de son coach Issam Jellali, ancien joueur. «Avec Issam et Karim, j’ai franchi un palier. Le fait de parler sa propre langue et de partager la même culture, ça aide beaucoup.»

En dehors des courts, si les sponsors se sont longtemps faits rares, la joueuse les aimante désormais. Elle a aussi fait partie du prestigieu­x casting de la série documentai­re Break Point, diffusée sur Netflix et a commencé l’année en faisant la couverture de Vogue Arabia. Difficile de passer inaperçue quand elle revient au pays. «J’ai une plus grosse médiatisat­ion, mais j’essaie de rester la même. Je rigole avec tout le monde et j’aime la relation que j’entretiens avec mes fans. Ils veulent échanger et prendre des photos. Je reçois beaucoup d’amour. Mais je ne suis pas Angelina Jolie non plus (rires).»

Elle se réjouit de voir son pays désormais organiser un tournoi WTA, à Monastir en octobre: «C’est un bon début. J’aimerais bien des tournois encore plus importants à l’avenir. Le tennis avait un peu disparu à un moment en Tunisie. C’est revenu très fort.»

Le tennis club de Hammam Sousse, où un court porte désormais son nom, a plus que doublé son nombre d’adhérents en quelques années. Et les filles sont presque à égalité avec les garçons. Se dit-elle pour autant féministe dans l’un des pays arabes où les droits des femmes sont les plus avancés? «Je préfère être considérée comme une sportive qui défend la cause des femmes. Féministe, ça peut être extrême des fois. Mais je suis pour les droits des femmes. Je souhaite faire avancer les choses.»

Pour cela, elle a pris la tête, aux côtés de Novak Djokovic, de l’Associatio­n indépendan­te des joueurs (PTPA), qui tente de remodeler sa discipline. «J’y suis pour que l’on représente mieux le tennis féminin, qui mérite plus de considérat­ion. On a beaucoup parlé de son manque de stabilité par rapport au tennis masculin. Mais les choses changent. Il n’y a qu’à voir les deux finales à Stuttgart et Madrid entre les têtes de série 1 et 2. Je trouve qu’il y a de superbonne­s joueuses qui offrent beaucoup de spectacle.»

En matière de prize money, le tennis fait figure de bon élève, avec la parité financière acquise sur les quatre tournois du Grand Chelem et sur quasiment toutes les plus grandes compétitio­ns, mais selon Jabeur, tout n’est pas parfait. Loin de là: «La parité, ça doit être à tous les niveaux. Ce qui s’est passé récemment à Madrid est peut-être anecdotiqu­e, mais c’est symptomati­que. Quand Carlos Alcaraz gagne chez lui, on lui offre un gâteau d’anniversai­re et rien n’a été fait pour Aryna (Sabalernka) qui fêtait pourtant aussi son anniversai­re le jour de son titre… Outre les programmat­ions souvent pas à l’avantage du tennis féminin, c’est également inacceptab­le d’avoir empêché les lauréates du double de ce même tournoi de prendre la parole lors de la remise des trophées.»

Sur tous les fronts, Ons Jabeur rêve aussi d’être maman. Mais pas dans l’immédiat. «Cela fait partie aussi des choses que je voulais montrer. Qu’une femme arabe puisse être maman et joueuse de haut niveau. J’ai toujours voulu être maman durant ma carrière, puis revenir après sur le circuit, mais les dernières années, je n’ai pas trouvé le bon moment. Le fait d’arriver dans le top 10 a compliqué les choses. Je m’approche de la trentaine et c’est plus facile de se mettre en pause sur le circuit à 25-26 ans.»

En attendant cet heureux événement, la Tunisienne veut assouvir son rêve d’un titre du Grand Chelem. «J’espère qu’une belle chose arrivera dans les prochains mois.» Et si ce n’est pas sur la terre battue parisienne, Ons Jabeur pourrait devenir reine d’Angleterre mi-juillet, sur le gazon de Wimbledon. Pour mériter plus que jamais son surnom de «ministre du bonheur».

 ?? Lorent Elliott / Reuters ?? La Tunisienne Ons Jabeur, le 17 janvier, lors de son match contre la Slovène Tamara Zidansek, au premier tour de l’Open d’Australie.
Lorent Elliott / Reuters La Tunisienne Ons Jabeur, le 17 janvier, lors de son match contre la Slovène Tamara Zidansek, au premier tour de l’Open d’Australie.

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