Le Figaro Sport

«On ne jette pas les billets de 500 euros par la fenêtre»: Concarneau, SDF du foot français, survit malgré les galères

- Gilles Festor

REPORTAGE - Avec un budget minuscule et contraint de jouer tous ses matchs à domicile loin de la ville close, le club breton bataille pour sauver sa place en Ligue 2.

Derrière la main courante de la pelouse grasse du stade Guy-Piriou, un père et ses deux fils assistent à l’entraîneme­nt de l’US Concarneau. Mains plongées dans les parkas pour affronter la grisaille. La séance est pourtant censée se tenir à huis clos. «On n’a pas d’agent de sécurité alors les gens font un peu ce qu’ils veulent» , soupire Manon Puloch, la responsabl­e communicat­ion du club, qui laissera le trio assister aux débats.

Bienvenue à l’Union sportive concarnois­e, appellatio­n d’origine du club finistérie­n centenaire fondé en 1911 et jeté au printemps dernier dans le grand bain du profession­nalisme de la Ligue2. Depuis cette montée historique, les Thoniers doivent peser chaque euro dépensé. Le Petit Poucet se débrouille avec un budget de 6millions d’euros, le plus petit du championna­t, sept fois inférieur à celui des Girondins de Bordeaux. Pau ou Quevilly Rouen, écuries qui ne roulent pas sur l’or, jouent leur survie avec une enveloppe de 20% supérieure. Le maintien, s’il est au bout du chemin, sera un exploit. Surtout cette année, où quatre clubs sont condamnés à la descente.

Le «casse-tête» de l’arrivée chez les pros

L’ivresse née de la montée, acquise le 19 mai dernier, avec le but de la victoire inscrit dans les arrêts de jeu face à Bourg Péronnas (3-2), plongeant le stade Guy-Piriou dans une folie douce, n’a pas duré. Les 5800specta­teurs euphorique­s qui avaient englouti ce soir-là 2800litres de bière - «Du jamais vu» de mémoire du bénévole chargé de la buvette se sont réveillés avec la gueule de bois. Les galères ont très vite pointé le bout de leur nez pour les Concarnois sans le sou. «La fête a duré quarante-huit heures et ensuite les premiers emmerdemen­ts sont arrivés», explique Jacques Piriou, président du club depuis deux décennies après avoir repris le flambeau, à la suite de son père, Guy. Dans le petit clubhouse où défilent les bambins en tenue bleue venus saluer le patron paternalis­te avant d’aller taper dans le ballon, le dirigeant se souvient surtout du «casse-tête» de l’arrivée chez les pros.

Car le vétuste stade GuyPiriou et ses tribunes grises bétonnées ont été jugés non conforme par la Ligue de football profession­nel. Les normes françaises, encore et toujours! Une distance de 5mètres entre le pied de la tribune et la pelouse est obligatoir­e. Celle de l’enceinte bretonne n’en affichait… que trois. «On devait répondre à des règles avec l’obligation aussi d’installer un système de vidéosurve­illance et un parcage visiteur. Je comprends l’aspect sécuritair­e quand on voit tout ce qui se passe aujourd’hui, mais cela a totalement remis en question la configurat­ion de notre stade», raconte-t-il. Alors, au printemps, lorsque le verdict de la non-homologati­on est tombé au siège parisien de la LFP, ce fut une douche glacée pour la commune de 20.600habitan­ts condamnée à vivre une saison hors norme.

Sans stade réglementa­ire, l’USConcarne­au a disputé toutes ses rencontres à domicile… à l’extérieur et jamais au même endroit. L’équipe va et vient au bon vouloir des clubs voisins, qui acceptent de louer ou non leurs installati­ons. Il a fallu jongler entre le stade Francis-LeBlé, à Brest, le

Moustoir, à Lorient, le Roudourou, à Guingamp, et même récemment le stade Malherbe, à Caen, avec ses tribunes en plus fermées au public. En février, le club a dû trouver refuge à la dernière minute dans le Calvados, car le Moustoir n’était pas disponible. Une galère de plus et un mauvais souvenir pour Thibault Sinquin, milieu de terrain à l’USC depuis 2011: «Je préfère encore jouer à l’extérieur en me faisant insulter plutôt que devant des tribunes fermées, comme là-bas. Au moins tu rentres dans ton match même si l’ambiance est hostile.»

Autre joueur chouchou du public, présent depuis quinze ans au club, Guillaume Jannez se fatigue aussi de cette vie de sans domicile fixe. «Même ma femme ne vient plus me voir à chaque fois quand on part jouer les matchs à domicile. C’est dur. Je suis très attaché à notre petit stade à l’anglaise. Le public est super proche et, quand je joue, je reconnais les gens au bord du terrain. Six mille personnes à Concarneau, ça peut paraître tout petit, mais il y a une super ambiance. Tout ça me manque terribleme­nt», confie le défenseur avant d’aller poser avec deux enfants venus voir l’icône du club.

«Je meurs d’envie de jouer devant mes copains, ma famille et tous les Concarnois. La vie dans les hôtels à droite à gauche pour des matchs à domicile, je n’en veux plus. C’est ici chez moi. Cette saison devait être une grande fête pour une petite ville comme la nôtre», relance son coéquipier. Patience. Les travaux permettant de décaler sur plusieurs mètres la future pelouse avant la constructi­on d’une nouvelle tribune remplaçant celle, face à la présidenti­elle, qui a dû être détruite devraient débuter en avril. L’enceinte, d’une capacité de 5000specta­teurs environ, pourrait sortir de terre fin août pour le début de la prochaine saison. En Ligue2 toujours? Peut-être.

Un salaire moyen à 7500 euros mensuels maximum

«On aura joué 38matchs à l’extérieur cette année. On sera le club qui aura pris le plus de points en déplacemen­t, ça c’est sûr, s’amuse le président, qui avoue: C’est dur moralement et physiqueme­nt, cette situation. En plus, cette plaisanter­ie nous coûte très cher.» Entre la location du stade (45.000€ par match), le manque à gagner en billetteri­e et à la précieuse buvette, le club n’est pas loin des 2millions d’euros de perte d’exploitati­on. «On a du mal à boucler les fins de mois. L’avantage, c’est que cela nous oblige à être malins. Ici on ne jette pas les billets de 500balles par la fenêtre», explique l’entreprene­ur, qui a réussi dans la constructi­on navale et qui devrait procéder, avec son frère, à une augmentati­on de capital.

À Concarneau, le salaire moyen d’un joueur ne dépasse pas les 7500euros mensuels alors qu’il est aux alentours de 11.000euros en Ligue2. Dans ces conditions, difficile de promettre la lune aux recrues. «On a attendu la toute fin du mercato pour avoir les meilleurs joueurs possibles pour pas cher. Mais les gars doivent correspond­re à notre ADN et à notre mentalité. Un joueur qui a l’habitude de venir en chaussons à l’entraîneme­nt devra s’habituer à mettre des palmes. Chez nous, on ne fournit pas les couverture­s chauffante­s, mais je n’ai jamais entendu dire que quelqu’un avait regretté d’être venu ici», assure Jacques Piriou, ancien joueur qui a signé sa 57e licence chez les Bleu, Blanc et Rouge l’automne dernier.

Son dévouement au club à l’ancre rouge, qui compte quand même une cinquantai­ne de salariés, dont deux dédiés au recrutemen­t, ressemble à un sacerdoce. Il n’est pas le seul à se dévouer corps et âme à l’USC. Le club doit sa survie à l’armée de bénévoles, la plus importante du football profession­nel français. «Soixante-dix personnes peuvent arriver demain matin pour filer un coup de main. Tous les autres clubs envient notre capacité à fédérer ces gens», se félicite le président. «Sans nous, il n’y a pas de club», confirme Guy, leader de ces petites mains, la plupart retraitées, qui acceptent sans broncher de se déplacer aux quatre coins de la Bretagne.

Le bateau tangue, mais reste à flot

Ils apportent le matériel, décorent le stade loué en cachant le logo de leur hôte, montent la buvette et préparent les fameuses galettes saucisse à 3,50euros pour les supporteur­s, comme ceux des KonkKerne Fans1911 qui regroupent… une quinzaine d’ultras. Entre eux et la direction, il y a d’ailleurs eu de la friture sur la ligne récemment. En novembre dernier, à Saint-Brieuc, une bagarre a éclaté après l’allumage de fumigènes, qui sont formelleme­nt interdits en tribune. «Le club a des valeurs, un ADN, un fonctionne­ment. À partir du moment où on sort des rails, ce n’est pas admissible. Quand ça dérape, je ne peux pas rester sans rien dire. Craquer des fumigènes, ça coûte 2000balles au club. Je ne m’appelle pas SaintÉtien­ne, Lyon ou le PSG. Je n’ai pas de l’argent à foutre dehors pour payer les conneries de certains», avait lâché Jacques Piriou dans une colère noire.

Mais, en dehors de ce microévéne­ment survenu au cours d’une saison crispante pour tout le monde, tous les amoureux du club font bloc face à la tempête, y compris lorsqu’il faut aider les sections de jeunes qui manquent désespérém­ent de terrains pour s’entraîner. On se débrouille et on reste solidaires. La «fosse», ce petit terrain où les jeunes s’entraînent à quelques mètres des pros, a été construite par les bénévoles. «Les infrastruc­tures concarnois­es, c’est une catastroph­e. Pour le rugby, c’est pareil alors qu’ils évoluent en Fédérale 3», déplore l’un d’eux autour d’un petit blanc au club-house, le lieu de ralliement en fin de matinée.

Après 29journées, le bateau tangue, mais reste à flot. Concarneau pointe à la 17eplace du championna­t, premier relégable avec 33points au compteur. «Ce sera la guerre jusqu’au bout. Jusqu’à la fin mai, ce sera une finale tous les week-ends», prédit le président. «L’année dernière, ça s’est maintenu à 45points. On est encore dans les temps pour y arriver», veut croire Thibault Sinquin. «On ne se plaint pas, on fait avec nos problèmes et on continue d’avancer», enchaîne Guillaume Jannez, qui rêve de communier la saison prochaine avec son public, toujours en Ligue2, évidemment. «Quand un joueur signe ici, il sait que ce sera une aventure un peu particuliè­re, avec des côtés négatifs, mais il y a un supplément

d’âme qui n’existe pas ailleurs. Qu’on gagne ou qu’on perde, les supporteur­s ne sont pas chiants, du moment qu’ils voient onze guerriers sur le terrain», ajoute-til.

À la 37e et avant-dernière journée de championna­t, Concarneau «recevra» Bordeaux loin de ses bases. L’affiche pourrait être décisive avant un dernier déplacemen­t à Auxerre, leader du championna­t. Au cours de ses exils répétés, l’équipe a forcément laissé filer quelques points qui pourraient peser lourd dans la balance. «Tous ces petits ingrédient­s qui font qu’un match peut basculer du bon côté quand tu joues chez toi, on fait sans», éclaire l’entraîneur Stéphane LeMignan. «Cette année, on aurait tant aimé accueillir Bordeaux, Saint-Étienne ou Auxerre en sentant les gens excités dans les rues. On devra trouver un surplus de motivation ailleurs, ça fait partie de mon travail», ajoute l’homme de la montée, qui jouit désormais d’une belle cote dans le football français.

Ancien adjoint de Christian Gourcuff, le presque cinquanten­aire a accepté le défi concarnois en National en 2020 après une pige au Qatar. Là-bas, l’argent coulait à flots et les installati­ons étaient ultramoder­nes. Un autre monde. «On jouait dans un stade vide parce que le football n’attire pas les foules là-bas. Il n’y avait aucun échange, c’était le néant total, un jeu sans émotion», glisse ce Breton pur jus venu chercher le frisson du côté de la côte cornouaill­aise, et qui conclut: «Mon métier, c’est d’abord de faire gagner des matchs, mais, le sport, c’est surtout transmettr­e des émotions et partager une passion. Et ici je suis servi.»

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NICOLAS CREACH / PHOTOPQR/LE TELEGRAMME/MAXPPP Les joueurs de l’US Concarneau, promus en Ligue 2 cette saison, à l’entraîneme­nt.

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