Léon Marchand, le nouveau prodige de la natation, espoir français pour les JO
PORTRAIT - Le Français a décroché un 3e titre mondial. Paris 2024 sera la scène idéale de la nouvelle star des bassins.
La vie devant soi. À quatre mois des Jeux olympiques de Paris, Léon Marchand laisse défiler une bande-annonce de rêve. Mercredi, il a battu le record du monde universitaire du relais 4 x 200 yards avec son équipe d’Arizona State, aux finales NCAA. «Il marche sur l’eau», s’enthousiasmait en juillet dernier Tony Estanguet, le président du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris 2024. Le petit prince des bassins collectionnait alors les titres mondiaux avec fraîcheur, plongeant dans l’événement avec le détachement et la maîtrise des plus grands. Champion du monde du 400 m 4 nages (en dépossédant au passage la légende américaine Michael Phelps de son dernier record du monde), puis du 200 m papillon , avant de dominer le 200 m 4 nages. Irrésistible. Fluide. Limpide. À 21 ans. Le voilà riche de cinq titres mondiaux (déjà deux en 2022), le record tricolore du genre (devant Camille Lacourt 4, Laure Manaudou 3 et Florent Manaudou 2…). Léon Marchand, une domination servie avec un visage enfantin éclairé d’un regard bleu azur, coiffé de boucles blondes qui masque une détermination d’airain. Longiligne, le Toulousain (1,83 m, 77 kg) brille comme le nouveau phénomène de la natation mondiale. L’équipe de France olympique sait qu’elle pourra s’appuyer sur un formidable poisson-pilote.
Ses parents ont porté haut les couleurs de l’équipe de France de natation. Sa mère Céline Bonnet a détenu le record de France du 200 m 4 nages, été championne de France à de multiples reprises, a participé aux Jeux olympiques de 1992. Son père Xavier a été médaillé d’argent des championnats du monde 1998 à Perth sur 200 m 4 nages (a
également remporté une médaille d’argent lors de l’Euro 1997 et de bronze en 2000), fut finaliste des JO 1996 et 2000. Mais lui est entré dans les bassins sur la pointe des pieds. «Tout avait mal commencé. À 4 ans, quand mes parents ont voulu m’apprendre à nager, j’avais tout le temps froid à la piscine, donc je n’ai pas voulu continuer. Je suis allé faire du judo et du rugby. Une grosse année plus tard, j’ai repris la natation. Très vite, j’ai aimé passer du temps dans l’eau jusqu’à ce que je me prenne de passion pour la compétition», a-t-il raconté dans le magazine de la fédération française.
Né à Toulouse, il sera licencié dans le célèbre club des Dauphins du Toec («une deuxième famille», aime-t-il rappeler). Un club rendu célèbre par Alfred Nakache, surnommé le «nageur d’Auschwitz» qui, après avoir été déporté durant la Seconde Guerre mondiale, participa aux JO de Londres en 1948, en natation et en water-polo. Une histoire récemment revisitée au théâtre (Sélectionné) et dans un livre (Le Nageur d’Auschwitz, de Renaud Leblond, Édition L’Archipel). Un club que fréquenta également Jean Boiteux, le premier champion olympique de la natation française en 1952 (sur 400 m nage libre).
Les JO, une perspective, un rendez-vous pour le prodige. À Tokyo en 2021, Léon Marchand avait plongé avec envie dans le défi olympique. Il n’y avait pas de spectateurs en raison de la pandémie de Covid-19, mais le jeune nageur soutenu par l’équipe de France avait, en finale du 400 m 4 nages, tout tenté, pris un départ canon en papillon. Son envie, son audace avaient fait de l’effet. Il avait dû se contenter de la 6e place, mais dans la découverte vécue intensément brillait une promesse.
Dans la foulée des Jeux, tout en maintenant le contact avec son entraîneur Nicolas Castel, à Toulouse, Léon Marchand avait, en septembre 2021, rejoint l’université d’Arizona, à Tempe, dans la banlieue de Phoenix pour suivre des études d’informatique et s’astreindre aux entraînements de Bob Bowman, le mentor de Michael Phelps, l’athlète le plus médaillé de l’histoire des Jeux olympiques (28 médailles dont 23 d’or remportées entre 2004 et 2016). Phelps, la légende, le modèle, le nageur parfait. Celui à qui le Français ne voulait pas être comparé, pour vivre sa propre carrière sans être écrasé par le poids des comparaisons mais dont il n’a cessé de s’approcher à coups de performances toutes plus retentissantes les unes que les autres. Aux États-Unis, notamment.
La dernière saison de Léon Marchand (26 victoires en… 26 finales universitaires disputées ; 5 titres lors des 5 finales disputées aux championnats de France) disait tout du phénomène qui, mois après mois, a occupé le devant de la scène. En mars 2023, à Minneapolis, le jeune Français avait déjà ébloui les observateurs des championnats universitaires américains, empochant les succès et les records.
«Le vocabulaire n’est pas à la hauteur lorsqu’il s’agit de Léon Marchand. L’étudiant de deuxième année de l’université d’Arizona State ne se contente pas de gagner, d’établir des records, il le fait de manière si dominante et par des moyens si variés que les décrire est un effort aussi futile que d’essayer de le surpasser», écrivait le site spécialisé Swimswam. «Des Léon, il n’y en a même pas un par génération. Il y a eu Johnny Weissmuller, Mark Spitz, Michael Phelps ou Katie Ledecky, et il a le potentiel pour faire partie de cette lignée des meilleurs nageurs de l’histoire. Il n’y est pas encore, mais presque. Il est de ceux qui changent le jeu. Il n’y a actuellement personne à qui le comparer, même quelqu’un qui se rapprocherait un peu de lui. Il a une telle polyvalence!», expliquait dans Le Parisien l’Américain Rowdy Gaines, triple médaillé d’or aux JO de 1984.
Technique parfaite, en raison de l’héritage familial, papillon inné (découvert à 8 ans, immédiatement adopté et maîtrisé naturellement) ce qui lui a permis de moins travailler cette nage que le crawl, la brasse ou le dos (sa toute relative faiblesse) cette année, sans que ses performances en souffrent, Léon Marchand s’appuie sur une particularité. Sa coulée est un modèle. Les portions sous l’eau (56,42 m sur les 60 m autorisés lors du 200 m papillon) le distinguent de ses rivaux. Par leur durée, leur efficacité. Elles requièrent une capacité pulmonaire exceptionnelle et une puissance physique au zénith pour que les ondulations du dauphin le propulsent et permettent une reprise de nage sans àcoups. «Ça fait vraiment mal au niveau des poumons et des jambes. Mais quand je vois ce qu’on gagne grâce à ça… J’ai une vision un peu périphérique et je me vois remonter mes adversaires. C’est une sensation assez sympa», a-t-il raconté dans L’Équipe. Un panel rare, une force unique qui complètent le travail effectué avec un préparateur mental pour se préserver de l’usure qu’impose au quotidien l’entraînement au plus haut niveau et affronter les griffes de la compétition avec une carapace offrant de ne pas confondre fol espoir et peur de l’échec. Pour évoluer détaché, sûr de sa force.
«Le Français de 21 ans inaugure une nouvelle ère de la natation, avec la bénédiction de Michael Phelps», a souligné Sports Illustrated après ses récents exploits, avant d’expliquer: «La combinaison de l’entraînement acharné de Bowman et de l’extraordinaire sens de l’eau et des qualités athlétiques de Marchand l’ont fait entrer dans l’histoire. Marchand n’est pas un spécimen physique extraordinaire, mais il a maîtrisé la chose qui a le plus changé le jeu au XXIe siècle: les échappées sous l’eau. Phelps a bien décrit l’évolution. Il a attribué à Ian Thorpe, légende australienne de la nage libre, le mérite d’avoir changé le sport avec ses nages sous l’eau, puis a noté que Ryan Lochte et luimême l’avaient améliorée. “Il est passé à un autre niveau, Léon a appris de nous tous”.» L’Américain ajoutant dans La Stampa: «Pourquoi devrais-je être jaloux? Je le vois travailler tous les jours à l’entraînement et je me revois en lui. Je suis heureux de ne pas avoir à nager aujourd’hui, je n’aimerais pas l’avoir comme rival.»
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Difficile de trouver plus élogieux. À Fukuoka, le phénomène français avait changé de dimension. Dans les années 1980, le sport français a été porté par les exploits (par ordre alphabétique) de Serge Blanco, Bernard Hinault, Yannick Noah, Michel Platini et Alain Prost. La génération Paris 2024 pourra s’appuyer sur les exemples Antoine Dupont, Kylian Mbappé, Victor Wembanyama et Léon Marchand. Pour aller plus vite, viser plus haut, voir plus loin…
Maxime Grousset, un sprint de bronze. Après la médaille de bronze sur le 50 m papillon, le Français (47’’42) a, sur l’épreuve reine du 100 m nage libre, décroché la médaille de bronze d’une épreuve remportée par l’Australien Kyle Chalmers (47’’15) devant l’Américain Jack Alexy (47’’31).
21 ans et déjà dans le livre d’or de la natation française
Jean Boiteux est longtemps resté l’unique champion olympique (400 m nage libre, en 1952, à Helsinki) d’une natation française qui a attendu la fin des années 1990 (Roxana Maracineanu sur 200 m dos, en 1998, à Perth) pour coiffer une première couronne mondiale. Avant de voir briller un phénomène, Laure Manaudou (3 médailles olympiques, dont une d’or, six médailles mondiales, dont 3 titres et 13 médailles européennes, dont 9 titres). «C’est Laure qui m’a lancé vers les sommets, qui m’a décomplexé», n’hésita pas à rappeler Alain Bernard, premier homme à passer sous les 47 secondes sur 100 m (en 2009), un an après être devenu champion olympique à Pékin.
La France allait surfer sur la vague bleue. Grand et petit bassin, championnats du monde, d’Europe ou JO, eau libre, natation synchronisée… L’école française s’appuie sur les préceptes de Claude Fauquet, directeur technique national de 2001 à 2008 qui, après le fiasco des JO d’Atlanta en 1996 (aucune médaille), installe des points de passage obligé, impose les minima, ne tolère aucune exception lors des championnats de France à quitte ou double.
«On regarde, on admire»
Une règle intangible qui fait couler des larmes, mais se trouve à la base des succès (6 médailles dont 1 titre aux JO de 2004, comme en 2008 ; 7 médailles, dont 4 en or en 2012). La France découvre et accompagne des champions (Camille Muffat, Jérémy Stravius, Camille Lacourt, Amaury Leveaux, Fabien Gillot, Florent Manaudou…), façonnés par des entraîneurs charismatiques (Philippe Lucas, Denis Auguin, Lionel Horter, Fabrice Pellerin…). Irrésistible dans les années 2000, brillante jusqu’au début des années 2010, la natation française a, après l’âge d’or, bu la tasse, éprouvé des difficultés à se renouveler, souffert de psychodrames, progressivement disparu avant d’être inspirée par le phénomène Léon Marchand, couvert d’or à Fukuoka (3 titres mondiaux au Japon). Pauline Mathieu, spécialiste du dos en équipe de France a, sur France Inter, raconté: «On regarde, on admire. Il dégage une telle sérénité en dehors des bassins, c’est sur cela qu’il faut prendre exemple. On ne peut pas faire tous comme lui dans l’eau, mais ce qu’il fait en dehors de l’eau, sa façon de se préparer, c’est un champion, il faut s’en inspirer.»
Dans le sillage de son phénomène (premier nageur tricolore à compter 5 titres mondiaux), l’équipe de France espère combler, à Paris, le vide olympique. La dernière médaille d’or aux JO, décrochée par Florent Manaudou, date de 2012 à Londres, sur 50 m nage libre. Une autre époque…