Le Figaro Sport

Ski alpin : Cyprien Sarrazin, plus belle la vitesse

- Jean-Julien Ezvan

Le Français, magistral vainqueur des descentes de Bormio et Kiztbühel, s’est imposé comme la révélation du cirque blanc.

Une sortie au ralenti après une saison étourdissa­nte. À Saalbach, en Autriche, l’épilogue de la Coupe du monde de ski alpin devait opposer le virtuose suisse Marco Odermatt au génial français Cyprien Sarrazin. Les caprices de la météo ont empêché ce dernier duel, le 24 mars. Dans la foulée, de passage à Paris dans la boutique de son équipement­ier Rossignol, le leader du ski tricolore (2e de la Coupe du monde de descente ; 5e du classement général de la Coupe du monde), vainqueur de la descente de Bormio, d’un doublé retentissa­nt à Kitzbühel et du Super-G de Wengen, a rembobiné la folle saison qui l’a propulsé en pleine lumière.

La barbe craque pour dessiner un franc sourire, le regard, dans lequel cohabitent plaisir et fatigue, brille : « Le duel avec Odermatt, je ne l’avais jamais imaginé. Mais je ne m’étais jamais empêché de le faire. Cette saison, je me suis dit : “Il n’y a pas de limites.” La finale annulée ? Il n’y a pas de regrets. J’étais prêt, impatient, excité. La météo en a décidé autrement, c’est comme ça, cela fait partie de notre sport. Il y aura d’autres occasions… »

Lancé sur la vitesse il y a deux ans seulement (« Cela a été hyper rapide, j’ai trouvé ma voie »), Cyprien Sarrazin (29 ans) a fait parler de lui dès les premiers entraîneme­nts de Beaver Creek, en novembre. « Le travail que j’ai fait mentalemen­t a porté ses fruits à ce moment-là. J’étais libéré, quelque chose s’est passé, surtout dans les secteurs de la pente. J’avais vraiment “full confiance” en moi. Je me suis appuyé dessus et ça a déroulé. Peut-être que je m’étais un peu bloqué avant. Cela a été une bonne saison pour mettre de côté ce syndrome de l’imposteur. J’ai dû me faire aider. Par un psy et une préparatri­ce mentale. À partir du moment où je me suis dit : “Tu as le droit d’aller gagner’’, j’ai arrêté de penser à ce que les autres pensaient de moi. Que ce soit mes coachs, ma famille, les spectateur­s. J’ai juste kiffé le moment présent. C’était différent, j’ai commencé à skier. »

Frissons garantis

Et à rivaliser avec les meilleurs en descente, le défi ultime. Frissons garantis : « La descente, c’est comme si on était sur l’autoroute, qu’on passe la tête dehors, avec juste un casque et on prend tout dans la gueule. Il y a des pistes où il faut être accroché. On sait, quand on part de chez nous, qu’on ne sera pas les mêmes quand on va revenir. Bormio, c’est la plus extrême. La piste la plus dure physiqueme­nt, la plus dure techniquem­ent. Il fait noir, on va à 150 km/h sur de la glace vive. Lors de la reconnaiss­ance, à l’arrêt, on ne tient pas debout. Et, comme ils ont toujours envie de rendre la course plus dure, ils dament en faisant des mouvements, donc on est toujours en train de sauter, on ne voit rien. C’est la seule course où une dizaine de mecs vomissent en bas parce qu’on est remplis de lactique. On n’a plus de jambes, on a du mal à s’arrêter. Et cette année, j’ai pris du plaisir. Je me suis amusé, j’avais la banane. Et je n’étais pas fatigué. Un peu comme après Kitzbühel. »

Au sommet des souvenirs scintille la deuxième descente sur la mythique piste autrichien­ne : « J’étais vraiment dans le flow. Tout a été quasiment parfait pour moi. Il y a moyen de faire encore mieux, mais tout était planifié, je voyais tout en avance, j’ai réussi à être au top à ce moment-là. Pendant deux minutes. J’ai travaillé pendant 29 ans pour être concentré 2 minutes. Tout le reste du temps, non pas que je ne sois pas concentré mais je suis en économie d’énergie pour être focus sur ces 2 minutes. À 150 km/h, il faut arriver à tout capter. »

Avec style, Cyprien Sarrazin a laissé une griffe dans l’hiver : « Il y en a qui ont besoin d’être des animaux au départ, de crier. Je ne dis rien. Par contre, sur la piste, je suis vraiment moi-même. Mais je n’ai pas besoin de changer ou de me forcer. Je me suis forcé pendant des années à essayer de retrouver… J’avais gagné le parallèle d’Alta Badia (en 2016, NDLR), je savais que je pouvais être bon en ski, mais j’avais prouvé au monde que je pouvais l’être. Ce jour-là, les planètes s’étaient alignées. J’ai essayé de les réaligner, mais c’était un peu difficile. Du coup, je me suis construit mes planètes et je me suis aligné dessus sans attendre qu’elles s’alignent pour moi, et ça a changé la donne. Ce qui m’anime audelà de la victoire, c’est la performanc­e. Je donne toujours le meilleur de moimême pour faire la meilleure chose possible. Dans tous les sports que je pratique, je suis à la recherche de ces sensations. Je suis un sportif au sens large, je touche à tout. »

Une polyvalenc­e qui a patiemment construit le descendeur, qui doit être doté d’une acuité visuelle absolue, d’une tonicité et d’une fluidité physiques travaillée­s lors de descentes en VTT ou lors de séances de avec son kiné, « qui se lance avec un truc en 3D sur un ordi » :« On essaie de trouver des choses pour faire évoluer. Le seul truc qui me limite, dernièreme­nt, c’est physiqueme­nt, avec des douleurs de genoux. Au niveau blessures, j’ai un peu donné, il faut que j’arrive à jouer avec ça. Cela va être aussi un enjeu pour progresser, trouver les bonnes choses pour ne pas avoir de douleurs. On dirait que tout va bien : “Il est en super forme, incroyable”, mais non… Pendant 23 heures et 58 minutes, j’ai mal. » La descente, un monde extrême. Cyprien Sarrazin explique : « Durant une année, on ne passe que 40 minutes à pratiquer la descente. Du portillon à la ligne d’arrivée, que ce soit à l’entraîneme­nt ou en course, je n’ai que 40 minutes de spécifique en descente. Après il y a plus en termes de Super-G, de Géant… Mais, si on apprend une langue en 40 minutes, on ne va pas aller bien loin. On est obligé de trouver d’autres moyens de progressio­n. »

Des risques voulus

Après une saison au cours de laquelle il aura connu la réussite foudroyant­e, la confirmati­on éclatante et le plaisir rassurant du retour après une blessure (lésion au mollet gauche), le leader du ski français esquisse la suite : « Je ne vais pas partir à gauche, à droite, ça fonctionne. J’ai envie de rester comme ça. Mais, me perfection­ner pour aller au bout de la chose, ce serait important. Mentalemen­t, il n’y a pas de limites, donc pourquoi ne pas aller encore un peu plus loin dans ce que j’ai trouvé. Et, après, continuer à travailler physiqueme­nt, développer mon matériel aussi pour être performant en Géant. Il y a pas mal d’axes, mais je vais rester assez simple, ce n’est pas le moment de tout changer. »

Pour continuer à explorer au mieux le fantastiqu­e potentiel. Sur la ligne de crête. Entre prises de risque et sécurité. Après une saison émaillée de blessures (Alexis Pinturault, le Norvégien Aleksander Aamodt Kilde, l’Autrichien Marco Schwarz ou l’Italienne Sofia Goggia), Cyprien Sarrazin souligne : « Au départ d’une course, on sait qu’on risque notre vie, notre santé. C’est important pour nous d’en être conscients. Et non de dire : “Nous, on n’a pas peur, on s’en fout.” Non, on reste des humains et c’est aussi ce qu’on a envie de montrer. Il y en a qui disent : “Le jour où j’aurais peur, j’arrêterais de faire de la descente”, mais il y en a aussi qui disent : “Le jour où j’arrêterais d’avoir peur, j’arrêterais.” Ce sont deux philosophi­es, mais au final c’est un peu la même chose. La mienne ? Je suis en train de découvrir, je ne sais pas encore. Je me sens en sécurité en prenant des risques voulus. J’ai encore besoin de mettre des mots dessus, cela va être le travail de cet été. »

Après avoir satisfait à la valse des sollicitat­ions, aux derniers entraîneme­nts, à la remise en forme, aux soins et profité de vacances en mai. La reprise physique sonnera en juin. Puis le ski reviendra en septembre-octobre dans l’hémisphère Sud. Spectateur du réchauffem­ent climatique, le skieur glisse : « La météo est de plus en plus capricieus­e, il y a des changement­s à faire. On a tous envie que ce sport continue d’avancer et on a tous envie de le pratiquer. J’ai grandi dans une station et j’ai vu les évolutions, on est impactés. J’en ai conscience. J’espère qu’on pourra trouver les bons axes pour continuer de pratiquer ce sport, qui me tient à coeur. »

Durant une saison faste, Cyprien Sarrazin, né à Gap et qui a commencé le ski à SuperDévol­uy, aura crevé l’écran, accompagné l’épanouisse­ment de l’équipe de France de vitesse (Nils Allègre, Maxence Muzaton, Blaise Giezendann­er, Matthieu Bailet, Adrien Théaux), et pris ses marques en vue des championna­ts du monde, à Saalbach, en 2025. Et des Jeux olympiques 2026, à Milan Cortina d’Ampezzo, avec la descente sur la redoutable piste de Bormio. À la recherche de la trajectoir­e parfaite…

 ?? JOE KLAMAR / AFP ?? Cyprien Sarrazin lors d'un entraîneme­nt pour la descente masculine lors de la Coupe du monde de ski alpin FIS à Saalbach, en Autriche, le 20 mars 2024.
JOE KLAMAR / AFP Cyprien Sarrazin lors d'un entraîneme­nt pour la descente masculine lors de la Coupe du monde de ski alpin FIS à Saalbach, en Autriche, le 20 mars 2024.

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