Conclave, appel ultime, clé USB… Les coulisses et petits secrets d’une liste de Didier Deschamps
RÉCIT - Le sélectionneur adopte une méthodologie bien huilée avant de valider ses choix pour une grande compétition internationale.
Mercredi, Didier Deschamps a retrouvé l’ensemble de son staff dans un hôtel proche de la Fédération française de football située dans le 15e arrondissement de Paris. À l’abri des regards et dans un espace réservé pour l’occasion, le sélectionneur, entouré de Guy Stéphan, son adjoint, Franck Raviot, entraîneur des gardiens de but, et Cyril Moine, préparateur physique, ont passé l’après-midi et la soirée sur la liste des Bleus qu’il sélectionnera pour l’Euro 2024 en Allemagne (14 juin-14 juillet).
Entre les plateaux-repas, avec des mets légers, compétition à venir oblige, les quatre hommes, chacun avec leur feuille devant les yeux, ont disserté, passé des coups de fil et reçu les ultimes informations pour trancher. La phase ultime d’un groupe pensé depuis des mois. « Ce n’est pas une liste qui tombe du ciel, décrypte au Figaro Guy Stéphan, présent au côté de « DD » depuis 2012 en équipe de France et trois ans plus tôt à l’OM. La liste est décidée la veille au soir de l’annonce, à 99,9 %. C’est arrivé une fois en douze ans, pas avant une grande compétition, mais un rassemblement classique, que l’on change nos plans en raison d’une blessure.»
Feuille blanche, salle réservée, plateaux-repas
Chaque détail compte, même si le gros du travail a été effectué en amont, au gré des stages, des observations devant la télévision ou au stade, et au fil des nombreux échanges avec d’autres « relais » de Deschamps et de ses adjoints (coachs, anciens partenaires, dirigeants, proches des joueurs…) afin de glaner toutes les informations sur les éléments en balance. Mercredi soir, la liste a été bouclée, sauf surprise majeure. Ce jeudi, Deschamps en informera son président, Philippe Diallo et le team manager, Philippe Brochérieux, entrera les noms sur une clé USB avant de rejoindre les studios de TF1 en fin de journée pour que nos confrères préparent les infographies. Au « Journal de 20h », le couperet tombera et l’aventure Euro débutera.
« Dans les rassemblements précédents, on a été très attentif aux comportements des joueurs, leurs qualités sur le terrain, ceux qui sont titulaires et ceux qui font de bonnes ou mauvaises entrées en jeu, précise Stéphan. On a pu voir l’état d’esprit, la cohésion. On part avec des éléments très concrets. » En 2024, comme lors de la Coupe du monde 2022 au Qatar, l’élargissement possible de 23 à 26 éléments décidé par les instances internationales a changé les plans initiaux de Deschamps et de son staff. Le champion du monde 1998 et 2018 n’est pas fan de l’idée, mais s’adapte. « C’est le maître-mot de mon mandat », répète-t-il.
Mercredi soir, veille de l'annonce, la liste est bouclée à 99,9%
Entre la gestion des états d’âme des remplaçants ou la question de l’intendance (mise en place de l’entraînement, attribution des positions à table, dans le bus, le vestiaire, à l’hôtel…), le patron des Bleus s’en serait passé. D’où l’aspect essentiel de l’état d’esprit des hommes choisis, capables de pouvoir supporter toutes les situations entre le début du rassemblement le 28 ou 29 mai à Clairefontaine et une potentielle finale le 14 juillet à Berlin. Une longue aventure. Surtout pas un fleuve tranquille. Souvenez-vous de l’historique grève des joueurs à Knysna en 2010…
« Ce ne sont pas seulement les meilleurs joueurs français dans la liste, mais ce sont ceux qui ont la capacité à bien vivre ensemble, argumente le bras droit de Deschamps, pour la sixième liste du duo après 2014, 2016, 2018, 2021 et 2022. En Russie, l’ensemble de l’aventure avait duré 55 jours, il faut être capable de se supporter. L’état d’esprit est une part importante dans notre choix. Durant la compétition, on doit passer beaucoup d’énergie évidemment sur ceux qui jouent, mais on doit aussi avoir du temps pour ceux qui ne jouent pas. Le joueur sur le banc en début de compétition peut être celui qui sera déterminant au milieu ou en fin de tournoi, il faut faire attention à tous les détails et convaincre ceux présumés remplaçants qu’on aura besoin d’eux à un certain moment, même si ce n’est pas vrai pour tout le monde.»
Deschamps appelle des joueurs pour les prévenir... mais pas toujours
Pour Aurélien Tchouameni (Real Madrid), Kingsley Coman (Bayern Munich), ou encore Christopher Nkunku (Chelsea), blessés ou en phase de reprise, Deschamps a directement eu ces derniers jours les joueurs concernés au téléphone pour les sonder et obtenir les ultimes informations quant à leur santé. En parallèle, Frank Le Gall, médecin des Bleus, a, lui, conversé avec les staffs médicaux des clubs en question. Une question demeure, tous les joueurs sont-ils mis au courant de leur sélection avant la liste ? La réponse est non.
Là aussi, la méthodologie de Deschamps ne bouge pas d’un iota. La grande majorité l’apprendra devant la télévision ce jeudi soir, quand d’autres, pour des raisons diverses, seront déjà mis au parfum. « Ce sont des cas particuliers, avoue Guy Stéphan, qui laisse le soin au sélectionneur de prendre son téléphone. S’il y a des joueurs qui avaient l’habitude d’être avec nous et qui ne sont pas dans la liste, Didier va les appeler. Mais ce sont des cas exceptionnels.»
À titre d’exemple, Olivier Giroud, habitué des Bleus, mais en balance avant la Coupe du monde 2022 au Qatar, avait, avant la liste, reçu un coup de téléphone de son entraîneur qui le sondait pour savoir si ce dernier acceptait d’être remplaçant avec la présence de Karim Benzema. Avec un message clair : « Es-tu prêt à te contenter de miettes, même moins que ça, durant tout le Mondial ? » L’international avait répondu par l’affirmative, d’où sa présence dans la liste, avant finalement d’être titulaire au Qatar avec la blessure de l’ex-Madrilène.
Autre exemple, le rappel inattendu du même Karim Benzema, placardisé pendant cinq ans pour « l’affaire de la sextape », pour l’Euro 2021. Un choix qui avait surpris certains cadres de la sélection. Et un secret savamment gardé par le duo Deschamps-Stéphan, qui avait
rencontré à l’abri des regards le Ballon d’Or 2022 quelques semaines avant la liste. « Sa sélection avait été préparée dans le plus grand secret, reconnaît Stéphan, gêné puis chambreur… avant un grand éclat de rire. On racontera cela dans un livre. »