JO Paris 2024 : Masomah Ali Zada, la flamme de l’équipe olympique des réfugiés
PORTRAIT - Trente-six athlètes ayant dû fuir leur pays vont participer aux Jeux sous la bannière olympique. Leur chef de mission, cycliste de 27 ans, entend être un exemple pour les femmes afghanes, et pas seulement.
De l’enfer afghan au paradis de l’Olympe. À seulement 27ans, Masomah Ali Zada a déjà vécu plusieurs vies. Loin d’être toutes enchantées. Née officiellement le 11mars 1996 en Afghanistan - même si elle avoue ne pas être certaine de l’exactitude de la date -, elle a d’abord connu la persécution réservée aux membres de sa communauté hazâra, une minorité chiite, par les talibans, alors au pouvoir. À tel point que ses parents décident de fuir le pays pour rejoindre l’Iran et Téhéran. Où elle ne découvre pas pour autant un eldorado où il fait bon vivre.
«J’ai grandi là-bas dans un quartier très pauvre, où il n’y avait pas de possibilité de faire du sport pour les réfugiés, se souvient-elle. Mais il m’arrivait parfois d’en voir à la télévision et de découvrir quecertaines femmes pouvaient être très fortes , plus que certains hommes. Donc le sport était toujours dans un coin de mon esprit. Simplement, il ne m’était pas possible d’en faire car c’était mal vu pour les femmes. Mais moi j’aspirais à être forte physiquement, à pouvoir me défendre si quelque chose m’arrivait.»
De l’Iran, Masomah Ali Zada garde un précieux enseignement: celui d’avoir appris à y faire du vélo. Mais au début des années2000, après la chute du régime des talibans, toute sa famille décide de retourner en Afghanistan. Sauf que l’influence des fondamentalistes demeure forte à Kaboul.
«Derrière le guidon, je me sentais libre»
«En Iran, il était parfaitement normal pour une femme de faire du vélo et c’était mon père qui m’avait appris à en faire quand j’étais là-bas, raconte-t-elle. Mais le problème en Afghanistan venait des talibans, de leur mentalité. Quand ils sont arrivés, ils ont tout simplement interdit aux femmes de sortir de la maison, alors faire du vélo, c’était inimaginable pour eux… Et c’est toujours le cas aujourd’hui.»
Et la jeune femme de poursuivre: «Quand je repense à toutes les difficultés que j’ai rencontrées en Afghanistan pour faire du vélo, je me demande pourquoi je continuais à en faire? Sans doute parce que derrière le guidon, je me sentais forte, libre, j’avais le pouvoir. À chaque fois que j’étais sur mon vélo, j’oubliais tous mes problèmes. Je n’étais concentrée que sur les paysages que je traversais, sur le vent qui venait toucher mon visage…
Cette sensation, je ne la trouvais que sur un vélo. Cela nourrissait ma passion et c’est pour cela que j’ai insisté.»
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Même si elle intègre à l’âge de 16ans l’équipe nationale afghane, il n’était pas encore question pour elle de devenir une cycliste de haut niveau. Jusqu’au tournant de l’année 2016 et la diffusion sur Arte d’un documentaire, Les Petites Reines de Kaboul, sur les jeunes femmes afghanes pratiquant le vélo malgré les insultes et les brimades. Un film dans lequel apparaît Masomah en compagnie de sa petite soeur, Zahra.
À l’autre bout du monde, devant son petit écran de télévision à Orléans, Patrick Communal est impressionné par leur courage, leur résilience, et il décide d’entrer en contact avec elles via Facebook. Avocat au barreau de la cité orléanaise, celui-ci entame les démarches administratives, et politiques, pour «exfiltrer» la jeune femme et sa famille de Kaboul et leur permettre d’obtenir le statut de réfugiés en France. Un chemin de croix qui va aboutir le 22avril 2017, lorsque Masomah Ali Zada, sa soeur, ses trois frères et ses parents posent le pied à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. La fin de l’enfer, et le début d’une nouvelle vie.
Accueillie dans le Morbihan
«J’ai eu la chance, contrairement à de nombreux autres réfugiés, de ne pas arriver illégalement en France, précise-t-elle. La majorité des réfugiés arrive exténués dans un pays, en ne connaissant personne, en ne parlant pas la langue… Avec ma famille, nous avons eu le privilège d’être accueilli à l’aéroport par des amis avant de partir à Guéhenno, dans le Morbihan, où nous avons été accueillis avec des fleurs et des gâteaux, et où un hébergement nous attendait. Cela reste mon plus beau souvenir. C’est sûr que de passer de Kaboul, une très grande ville, à Guéhenno, un petit village de moins de 1000 habitants en pleine campagne, a été un choc.
Sans parler de la météo. Je ne vais pas dire que j’ai découvert les nuages et la pluie ici, mais je n’en avais jamais vu autant en si peu de temps. Du coup, c’était difficile la première année de m’adapter. Mais j’ai été tellement soutenue et aidée que malgré des moments délicats, cela reste un merveilleux moment de ma vie.» Et celle-ci d’ajouter: «Quand je compare ma vie en France au niveau du droit des femmes, en termes de sécurité ou sur le plan social, à celle que j’ai connue en Afghanistan, il y a une énorme différence. À Kaboul, chaque jour il fallait se battre pour pouvoir disposer des droits les plus basiques.»
À peine arrivée, Masomah décide de suivre des cours intensifs en français, langue qu’elle maîtrise à la perfection aujourd’hui alors qu’elle est en 2e année de master ingénierie urbaine (génie civil) à Lille. Mais audelà d’études brillantes, l’Afghane est enfin libre de se sentir «pousser des ailes à bicyclette», comme l’affirme la célèbre chanson d’Yves Montand.
«Lors de mes premiers mois dans le Morbihan, je suis allée voir une course cycliste et j’y ai rencontré Bernard Hinault . J’avoue que je ne savais pas trop qui il était à l’époque mais j’avais pris une photo avec lui car on m’avait dit qu’il était très célèbre et qu’il avait été un grand champion. Maintenant, je sais qui il était et la chance que j’ai eue de le rencontrer. Pareil pour Jeannie Longo que j’ai connue seulement en 2016 à Albi. J’ai participé à la même course qu’elle et après, elle m’avait offert sa médaille.»
Première olympiade à Tokyo
Suite logique, l’Afghane se met un nouveau rêve en tête: celui de disputer des Jeux olympiques. «En France, très jeunes, les enfants savent ce que ce sont les JO, ils les voient à la télévision, ils en connaissent les valeurs, ce qui n’est pas du tout le cas en Afghanistan», lâche-t-elle.
«En ce qui me concerne, j’ai dû attendre 2012 pour en avoir connaissance, avec la sélection afghane que nous avions accueillie à son retour de Londres dans l’école où j’étais. Nous étions fiers, contents. Il y avait Rohullah Nikpai, qui avait décroché la médaille de bronze entaekwondo . Il y avait aussi des chanteurs connus qui étaient là, c’était une belle fête, tout le monde était uni et cela m’avait énormément touché. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment pris conscience de l’importance des Jeux olympiques. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à rêver d’y participer un jour.»
Un rêve qui prend forme lorsqu’elle obtient une bourse du Comité international olympique (CIO) pour “athlète réfugié” qui lui ouvre les portes des Jeux de Tokyo. En 2021, elle y décroche la 25eplace du contre-la-montre féminin. «De Tokyo, je garde le souvenir de ma course. Il y avait une côte assez raide et il y avait des gens qui avaient crié “Ali Zada! Ali Zada!” C’était dur, il faisait chaud et j’étais fatiguée mais quand j’ai entendu ces encouragements, j’avais l’impression que je participais auTour de France . Cela m’a boosté et j’ai pédalé encore plus fort.»
Un an plus tard, elle intègre la commission des athlètes du CIO, une première pour une réfugiée. Avant, fin 2023, d’être nommée chef de mission de l’équipe olympique des réfugiés en vue de Paris 2024. «Pour moi, c’est une fierté de pouvoir représenter non seulement les athlètes et l’équipe, mais aussi les plus de 100millions de personnes déplacées dans le monde. À Paris, nous aurons l’occasion de montrer à la planète entière ce dont les réfugiés sont réellement capables, et de redéfinir la façon dont le monde nous perçoit.»
«Vivre dans une société en paix»
Un rôle qui l’oblige cependant à renoncer à son statut d’athlète de haut niveau pour gérer au mieux une équipe de 36 athlètes venus principalement d’Afghanistan, d’Iran, de Syrie et du Soudan. Un nombre en constante augmentation après les 10 engagés de Rio et les 29 de Tokyo. «C’est bien que les réfugiés puissent participer aux Jeux, mais ce serait mieux qu’il n’y ait pas de réfugiés du tout et que chacun puisse représenter librement son pays dans un climat de paix, de liberté, énonce-t-elle, inquiète pour l’avenir.
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Bien sûr que l’évolution actuelle est préoccupante. Il faut se battre pour la paix et encourager les gens qui sont au pouvoir d’oeuvrer pour cela. Ce qui se passe aujourd’hui dans le monde ne fait qu’augmenter le nombre de réfugiés . Pourtant, nous avons tous le droit de vivre dans une société en paix.» Et au-delà de ce message, Masomah Ali Zada aspire à faire plus.
«Sur les réseaux sociaux, je reçois beaucoup de messages de la part de femmes afghanes qui me disent que je suis leur inspiration. Hélas, elles n’ont pas la possibilité de faire la même chose que moi mais je garde l’espoir que cela change dans le futur. Même des hommes afghans m’envoient des messages pour me dire que je suis un bon exemple. Cela me change des insultes que je recevais.
Poussée par son père
Ma mère ne comprend pas toujours tout ce que je fais, pourquoi je parle autant aux médias. Mon père comprend un petit peu plus. D’ailleurs, avant les Jeux olympiques de Tokyo, mon père avait partagé une interview que j’avais donnée sur sa page Facebook. C’était la première fois qu’il le faisait et normalement, cela ne se fait pas dans mon pays. Chez nous, on n’exprime pas nos sentiments par des mots mais j’ai vu à ce moment-là qu’il était vraiment fier de moi, même s’il ne me l’a jamais dit directement.»
Et la jeune femme de conclure, justement en hommage à son père: «Mon père a beaucoup souffert de ne pas pouvoir suivre des études. Il m’a donc toujours encouragée, poussée à étudier alors qu’en Afghanistan, je n’aimais pas aller à l’école. Il était totalement à l’opposé de nombreux autres parents qui, eux, se réjouissaient d’avoir une fille qui arrêtait ses études pour rester s’occuper de la maison
Mon père n’avait pas cette mentalité, il estimait qu’il était important pour une femme d’être éduquée, de faire du sport, d’avoir une bonne santé. Tout ce que j’ai réalisé dans le sport, c’est grâce à mon père. Quelque part, je ne considère pas que c’était mon combat, mais celui de mon père surtout. Si je ne l’avais pas eu derrière moi, à me soutenir, je n’aurais pas été capable de continuer.» Et les Jeux auraient perdu une magnifique source d’inspiration et d’espoir.