Frank Riboud et Jacques Bungert : « Les destins de Céline Boutier et du tournoi sont liés pour l'éternité »
Les président et vice-président de The Amundi Evian Championship rêvent d'une nouvelle victoire de la Française Céline Boutier le dimanche 14 juillet, un an après son premier succès en Majeur.
Toujours aussi complice, le duo de dirigeants célèbre le 30e anniversaire du rendez-vous haut-savoyard en se projetant sur les trente prochaines années !
LE FIGARO. - The Amundi Evian Championship fête son 30e anniversaire, qu'est-ce que cela évoque pour vous et les équipes ?
FRANCK RIBOUD. - Je dis à tout le monde que trente ans, c'est court dans le golf. Les références temporelles s'élèvent souvent à cent ans, cent cinquante ans dans ce sport… En même temps, on est parti de zéro, on est toujours là et le tournoi est devenu Majeur. C'est donc une assez grande fierté.
JACQUES BUNGERT. - De la fierté, et même un peu de surprise. Franck avait commencé avec Valérie Pamard avant que je n'arrive, il y avait une énorme ambition, c'est certain, mais tout s'est construit année par année. C'est aujourd'hui que l'on prend conscience du chemin parcouru, avec ses anecdotes, ses coups de chance, ses moments forts, ses tensions… Qui pouvait en effet imaginer que notre tournoi deviendrait un Majeur de son sport en si peu de temps ! Un parcours inégalé dans l'histoire du sport.
Reconnaissez-vous l'un et l'autre le fait que vous êtes obsédés par l'innovation ?
F.R. - Ce n'est pas une obsession, c'est une méthodologie. C'est un peu différent. En préparant le tournoi, on se dit tous les ans qu'il y a des cibles à viser : les journalistes, les joueuses, les fédérations, les spectateurs, les partenaires… « Mais qu'est-ce qu'on pourrait apporter de plus ? » Lors de ce tournoi 2024, on va déjà regarder ce que l'on va faire évoluer en 2025. C'est un réflexe, une méthode, la volonté de toujours améliorer les choses. Nous sommes organisés autour de nos trois piliers : le sport féminin, la redistribution, la transition écologique. Et nous priorisons ce qui va se passer dans les années à venir. Cela peut être le « prize money », le passage à l'électrique, un nouveau tournoi de jeunes aux États-Unis…
J.B. - Comme l'évoque Franck, l'innovation n'est pas une fin en soi. Ce sont les enjeux de nos cibles qui déterminent notre action en matière de marketing, de communication et d'évolution du tournoi. On voit bien qu'il y a une évolution majeure autour des réseaux sociaux qui deviennent des canaux de communication à part entière à travers des influenceurs qui sont devenus des créateurs de contenus pour les grandes marques. Nous sommes une marque qui bénéficie de la caisse de résonance des grandes marques qui constituent notre Club des Sponsors. Tout ce qui concourt à donner de la puissance et de la visibilité au tournoi nous intéresse. Mais les sujets d'innovation digitale ne doivent pas être des gadgets. Autre sujet, la transition écologique. Il est évident que nous sommes attentifs aux innovations et à la recherche en matière d'agronomie et d'irrigation. Nous savons que c'est un enjeu majeur.
Il y a dix ans, dans ces pages, vous disiez tous deux d'une même voix : L'obtention du titre de tournoi Majeur dans l'univers très traditionnel du golf est le résultat d'une alchimie et d'une équation qui sont juste incompréhensibles pour des Français » . Est-ce plus clair aujourd'hui ?
F.R. - Non, non, non… mais ce n'est pas tant parce que nous sommes Français que parce que cette équation a beaucoup d'inconnues et qu'elle n'est pas facile à résoudre. Au fil du temps, pour l'Evian Championship, nous avons résolu des points nécessaires, parfois par chance, beaucoup par détermination. Je pense que la vraie question, c'est : « Est-ce qu'on en avait rêvé au départ ?» La réponse est « non ». Ce serait présomptueux de le dire. Toutefois, au fil des éditions, on a pris confiance en nous. Et on s'est dit : « Cela ne sert à rien d'être francofrançais, justement. » Le golf appartient à un monde anglo-saxon et c'est à nous de nous adapter. Donc, on s'adapte. Et puis, il y a eu des rencontres. Mike Whan a certainement participé à cette décision. On vient de loin avec Jacques, parce que faire évoluer le tournoi signifiait lui permettre de devenir le cinquième Majeur du circuit féminin. C'était tout de même un crime de lèse-majesté, puisqu'il n'y a que quatre Majeurs chez les hommes… 2008 et la crise économique sont passés par là. Notre discours sur la vision du golf féminin, le caractère durable de ce tournoi qui reposait quasiment sur un contrat avec la ville d'Évian, ont parlé aux Américains. Ils avaient eux aussi des besoins et cela s'est bien goupillé, comme on dit… en France ! Je ne sais pas si nous y arriverions aujourd'hui, si notre proposition trouverait le même accueil. Cette histoire, c'est du structurel et du conjoncturel avec beaucoup de travail, de présence, de compréhension et d'engagement.
Votre ferveur et l'ambition qui vous portaient ont fait la différence ?
J.B. - Pourquoi parler au passé ? En réalité, notre action est toujours très calme et déterminée. Il y a une réelle humilité et le sentiment d'avoir des bases solides, d'être bien ancrés dans notre ambition, et des valeurs qui ont du sens pour nous. Chaque année, nous avançons. Franck répétait souvent : « Nous, on ne recherche rien. » Et c'était vrai. Rappelez-vous de notre démarche quand nous sommes allés chercher, d'abord en 2000, une présence dans le calendrier américain puis le «majorship».
F.R. - Il y a un mot qu'il faut ajouter, c'est le mot « liberté » ! On n'a pas de pression. On savait qu'on voulait permettre aux joueuses d'avoir la capacité de gagner leur vie dans un cocon, en prenant soin d'elles. C'est toujours notre priorité.
J.B. - La liberté dont parle Franck, c'est ce qui nous permet de rester calmes. La liberté vis-à-vis de nos partenaires, qui disent parfois qu'ils sont étonnés par le mix entre le professionnalisme et la convivialité du tournoi. Notre objectif reste
toujours le même : « Comment fait-on pour progresser ?» Au fond, à trente ans, on se pose la question de savoir comment nous continuerons d'évoluer ces trente prochaines années. (Rires.)
Pensez-vous que tous les observateurs ont conscience de la masse de travail que représente ce tournoi ? -
F.R. Nous avons visité beaucoup de tournois et j'ai l'orgueil de dire qu'Evian est unique.
J.B. - Les gens ne se rendent pas toujours compte de ce que de tels enjeux économiques sous-tendent. Une ambition déclarée ne suffit pas, évidemment. Derrière, cela suppose un éco-système économique qu'il faut développer en permanence pour progresser car nous sommes seuls avec nos partenaires. Contrairement à l'USGA, la PGA et le Royal & Ancient qui ont la capacité de faire jouer des vases communicants entre leurs événements masculins - qui drainent des revenus importants - et féminins. Ce n'est pas notre cas.
F.R. - Il y a un voeu politique sur l'égalité hommesfemmes, puisque tout le monde est convaincu qu'il faut y arriver. Nous, les premiers mais pas à n'importe quel prix. Cela doit être construit sur des bases économiques saines. Nous le démontrons tous les ans depuis trente ans à Evian. Souvenons-nous que nous sommes partis d'un « prize money » de 1 million de francs… Le tournoi est passé à huit millions de dollars de dotation. C'est clair et cohérent. Mais nous ne sommes pas dans une course au « prize money ». On travaille pour le sport féminin. Tout le monde est d'accord avec ça, à commencer par les médias, mais aucun ne veut payer des droits télés pour les femmes à hauteur de ce qu'ils payent pour les hommes. Il y a donc encore du chemin à faire.
Pensez-vous que le peu de visibilité dont dispose le golf masculin, compte tenu du flou des accords entre le PGA Tour et le LIV Golf, peut avoir un impact sur le golf féminin ?
F.R. - Non, parce que le golf féminin a son propre chantier. Et on a vraiment du pain sur la planche, indépendamment de ce qui se passe dans le golf masculin. Il y a quand même une très grosse pression sur cette égalité hommes-femmes. Moi, je le vois bien quand je vais voir des sponsors. Je lis toujours le rapport RSE avant d'entrer dans une discussion avec un potentiel sponsor, s'il est coté. Il y est décrit l'égalité hommesfemmes. Est-ce que tout le monde est à la hauteur de ses engagements ? Comme toujours, c'est plus ou moins, cela dépend des entreprises. Nous avons donc une carte à jouer pour les aider. Nous sommes crédibles parce que nous n'avons pas démarré le sport féminin la semaine dernière. C'était il y a trente ans. Et il n'y avait pas grand monde à l'époque.
J.B. - Sur ce que vit le golf masculin et les affres de son contexte politique et géopolitique liés à sa gouvernance, le golf féminin, lui est resté assez protégé. Néanmoins, les acteurs qui se sont opposés dans le golf masculin vont se retrouver dans le golf féminin. Notre rôle, c'est d'anticiper pour toujours maîtriser notre destin et notre système de valeurs, avec le même objectif de développement du sport féminin.
Comme l'Amundi Evian Championship qu'elle a remporté l'an dernier, Céline Boutier est trentenaire en 2024. Son destin est-il désormais lié pour l'éternité à celui du tournoi ?
F.R. - Ils sont liés pour l'éternité parce qu'elle est la première et la seule Française à avoir gagné un Majeur des temps modernes, aurais-je tendance à dire. A fortiori sur le sol français.
J.B. - À jamais la première ! (Rires.)
F.R. - Après, Evian n'est pas un tournoi français, c'est un rendez-vous Majeur. Le souvenir est très lié à l'émotion reçue. C'est clair, pour nous, cela a été un grand moment. On est un peu cocorico en disant cela parce qu'à l'international, Céline a été une gagnante comme une autre.
Quelle image vous reste-t-il de l'édition 2023 qui a eu un fort retentissement en France ?
F.R. - Ce n'est pas une image, mais un film. Céline, je la connais depuis qu'elle est toute petite. Mon fils Hugo était au Paris Country Club à ses débuts et j'ai vu Céline commencer, même si elle est plus âgée. Nous avons invité Céline très tôt à Évian. Elle est passée par la Galaxy. Quand on l'invitait, elle ne passait pas le cut, toute tremblante. Donc, l'an dernier, on l'a vue au premier tour, puis au deuxième, au troisième compter cinq coups d'avance. On s'est dit : « Elle va le faire ! C'est dingue ! » C'est ça mon souvenir. Et mon inquiétude, c'est qu'il faut qu'elle gère cette année, surtout. La pression revient. Elle a gagné ici, ça c'est fait.
J.B. - Moi, j'ai quand même un petit moment qui me reste, c'est La Marseillaise sur le green du 18. Cela avait de la gueule. Je n'oublierai jamais l'émotion qui est née de ça, devant les Américains. Cette année, le dernier tour tombe un 14 Juillet, ce serait formidable qu'elle gagne de nouveau !