Un dimanche à la campagne
Vers 1900, afin de savourer un bon repas dans la région havraise, on n’hésite pas à effectuer quelques kilomètres le long de la côte, pour aller s’asseoir à la table de la belle Ernestine.
Depuis les années 1870, Ernestine Aubourg tient une auberge à SaintJouin-Bruneval. La proximité de la ville du Havre, de même que celle du village d’Étretat, alors une station balnéaire à la mode, lui assure une clientèle nombreuse et régulière. Ici défilent le Tout-Paris et la frange aisée de la population havraise, attirés par des menus de terroir, simples mais particulièrement roboratifs. Le week-end, on affiche souvent complet. Dans son jardin, à l’ombre des pommiers, ou entre les murs de ses salles à manger décorées d’autographes des célébrités fréquentant son établissement, celle que l’on surnomme « la belle Ernestine » sert à ses convives du bouquet, du barbeau, des montagnes de crevettes roses, des tripettes de mouton… On s’en lèche les doigts et on en redemande !
Rendez-vous des stars
Ernestine a une affection pour les artistes, qu’elle sollicite en fin de repas avec papier et crayon en main pour obtenir un petit mot, un dessin, une signature… Le musicien Offenbach, l’écrivain Alexandre Dumas, les peintres Gustave Courbet et Claude Monet passent par là. Et il y a aussi Guy de Maupassant, qu’elle dit avoir fait sauter sur ses genoux quand il était enfant, et qui l’immortalise dans Pierreet Jean en la rebaptisant pour l’occasion : « La patronne, qu’on appelle la belle Alphonsine, s’en vint, souriante, sur sa porte […] Sous une tente, au bord de l’herbage ombragé, des étrangers déjeunaient déjà, des Parisiens venus d’Étretat […] On dut manger dans une chambre, toutes les salles étant pleines. »
Des tripes pour la reine
Même Marie-Christine, cette reine d’Espagne qui achèvera sa vie au Havre, entend parler de sa cuisine et désire y goûter. Pas de chichis pour Ernestine et tête couronnée ou pas, sa prestigieuse visiteuse se contentera du plat du jour : « Une reine, eh ben ! Une reine, c’est fait comme moi ! J’vas li servir des tripes à c’te femme ! J’suis sûre qu’a n’en mange pas souvent. » La reine reprendra des tripes. Deux fois… Et elle reviendra déjeuner à Saint-Jouin. Ernestine s’éteint en 1918 et ses recettes disparaissent avec elle. Dommage!