BDSM, culottes, pieds… Les fétichistes souffrent-ils de pathologies ?
ÉPISODE 2. Domination, achat de culottes sales ou de photos de pieds… Où commence le trouble psychologique lorsqu’on parle de fétichisme dans la pratique sexuelle ?
Le psychologue français Alfred Binet est le premier, au XIXE siècle, à proposer le mot « fétichisme » pour évoquer des « préférences » amoureuses jugées « bizarres » à l’époque. Auparavant, le fétichisme désignait l’adoration religieuse d’un objet matériel. « L’adoration religieuse est remplacée par l’appétit sexuelle », écrit Binet en 1886 dans un article intitulé Le fétichisme dans l’amour.
Le psychologue distinguait deux types de fétichisme. Un qu’il qualifiait de « petit », de « léger » et celui qu’il disait « grand », « vrai » ; le second constituant une forme « pathologique, c’est-à-dire exagérée » du premier.
Par l’extrémisme de certaines scènes et demandes, d’aucuns seraient tentés d’associer ces pratiques à un trouble, une maladie.
« Il y a beaucoup de discours qui viennent pathologiser ces relations. Mais si les personnes sont consentantes, quel est le problème ? », questionne Vincent Desplains, sexothérapeute de Rouen (Seine-maritime). Cela dit, ce psycho praticien établit une limite : « On parle de pathologie lorsque ça devient obsessionnel et qu’on impose à l’autre ses désirs. »
C’est pour cela que les sexologues que nous avons contactés pour les besoins de cette enquête, conçoivent le fétichisme seulement s’il y a une addiction. Pour eux, « le fétichisme ou trouble fétiche est une pathologie » en psychiatrie, faisant partie des paraphilies qui peuvent être prises en charge comme toute autre addiction.
« Au bout d’un moment, l’objet (contexte, matière ou partie du corps) va prendre le dessus sur la connexion émotionnelle dans le rapport sexuel à deux ou plusieurs. Cela engendre des troubles sexuels, de l’excitation en règle générale, parce que sans cet objet la personne n’est pas excitée », nous explique Candice Decroocq, psychologue, spécialisée dans la sexologie clinique.
Cette psy exerçant à Paris prend l’exemple d’une personne fétichiste des talons qui « ne peut pas avoir de rapport sexuel avec sa copine si elle ne porte pas de talons » :« Cette personne est focalisée sur l’objet et non pas sur la connexion émotionnelle qu’il va entretenir avec sa partenaire. »
Emyy Chaann, Lyonnaise âgée de 27 ans qui exerce l’activité de domina, est témoin d’« une vraie souffrance » chez certains de ses clients.
❝ J’ai énormément de soumis qui sont célibataires parce que dès qu’ils abordent ce sujet, cela met fin à leur relation. Mes soumis le vivent très mal, ils voient des psy parce qu’ils ne se trouvent pas normaux. Souvent, ils s’excusent d’être comme cela.
EMYY CHAANN,
DOMINA DE LYON.
L’addiction ne fait pas de doute pour nombre de ses clients. « Des gens sont prêts à faire des restrictions sur des choses utiles et vitales comme la nourriture pour avoir ces séances, parce qu’ils en ont besoin. » Il est arrivé plusieurs fois que des étudiants se privent de nourriture plusieurs jours pour pouvoir payer leur séance. Dans ces cas-là, Emyy Chaann les renvoie, car « il est pour moi hors de question qu’un étudiant ne puisse plus se nourrir parce qu’ils m’a donné de l’argent ».
Lié à un traumatisme
« Ce qu’on essaie d’aller chercher, c’est l’origine de cette obsession », car pour Candice Decroocq, « la pratique du fétichisme est souvent liée à un traumatisme de l’enfance, sexuel ou non, qui a été associé à la sexualité ». Avec un de ses patients, fétichiste des pieds, « nous avons remonté à son enfance et il s’est aperçu que le moment où il s’est senti le mieux dans son enfance, c’était avec une petite fille de son âge avec qui ils jouaient à se mettre les pieds dans la figure. Il a senti quelque chose de très agréable et son père s’est moqué de lui en disant qu’il était amoureux. Il a ressenti de la honte et aujourd’hui, il cherche à réactiver cette honte en permanence ».
Même chose pour une de ses patientes qui avait des pratiques sadomasochistes et qui souhaitait être cravachée au point de faire fuir ses partenaires.
❝ On a réussi à relier cela à une activation émotionnelle intense : sa grand-mère lui avait donné une fessée devant tous ses cousins.
Elle avait senti exactement la même honte que lors de l’acte sexuel. La personne est tellement imprégnée émotionnellement qu’elle recherche à revivre le traumatisme.
CANDICE DECROOCQ,
SEXOLOGUE.
Des fétichistes peuvent jeter leur dévolu sur une partie du corps, d’autres sur des situations, « c’est en fonction du vécu de chacun. Il y a des canaux sensoriels préférentiels. Des gens sont plus visuels, olfactifs… On associe une odeur ou un objet à quelque chose de très intense émotionnellement, sur laquelle on ne met pas de mot et on cherche à réactiver cette expérience », précise Candice Decroocq.
Quels soins ?
Pour aider ses patients, cette sexothérapeute utilise « les mêmes méthodes que pour les personnes atteintes de troubles de l’alimentation ou les personnes souffrant de troubles de l’usage de substances (alcool, médicaments, stupéfiants, etc.) ».
❝ On ne peut pas supprimer complètement l’addiction, mais on peut faire en sorte que le patient puisse la contrôler et laisse la place à autre chose dans sa vie sexuelle s’il ressent que le fétiche prend trop de place.
CANDICE DECROOCQ,
SEXOLOGUE.
La sexologue utilise la thérapie cognitive et comportementale et « pratique beaucoup l’hypnose ». « Si vous voulez arrêter de manger du fast-food parce que vous êtes addict à ça, je ne vais pas supprimer l’addiction, mais par le biais de suggestions hypnotiques, on va la déplacer sur quelque chose qui n’est pas ou moins délétère dans votre vie, comme par exemple boire de l’eau », compare Candice Decroocq.
Melainya, ambassadrice du site pour adultes Joyclub.fr, en convient : « Pour ceux pour qui le fétiche est indispensable à l’obtention du plaisir, cela peut constituer un réel obstacle dans leur vie personnelle et amoureuse. » Cependant, elle nuance cette approche clinique en soulignant qu’« heureusement, avec une bonne information et un soutien adapté, il est possible de mener une vie heureuse et épanouie tout en ayant un fétiche ».
Le manuel des troubles mentaux (DSM 5) spécifie bien que « de nombreux individus qui disent avoir des pratiques fétichistes ne se plaignent pas nécessairement de perturbations cliniques associées à ces comportements fétichistes » ; « ces personnes peuvent être considérées comme ayant un fétiche, mais ne pas recevoir le diagnostic de trouble fétichisme »
À ne pas confondre avec le kink sex
Candice Decroocq insiste sur le fait qu’« avoir une sexualité saine » n’a pas de limites, « tant que l’expérience est consensuelle, volontaire et non exploitante ».
❝ S’il s’agit juste d’une scène ou d’objets qui à un moment donné vous excitent, mais que vous n’en êtes pas dépendant, alors c’est du kink sex. C’est une différence importante, parce qu’il n’y a pas d’addiction dans ce cas. Sans répercussion dans la sphère professionnelle, sociale, amoureuse et financière, on ne parle pas de trouble fétiche.
CANDICE DECROOCQ,
PSYCHOLOGUE.
« Tant qu’il n’y a pas de souffrance pour soi et/ou autrui, ce n’est pas pathologique. Toutes les pratiques sont bonnes », insiste Candice Decroocq.
Le sexothérapeute Vincent Desplains est d’accord pour dire qu’en termes de sexualité, « il n’y a aucune règle à partir du moment où il y a le consentement, la sécurité et le respect. Si toutes les parties sont d’accord et qu’il n’y a pas de mise en danger, surtout pénale, chacun fait comme il veut ».