Le Journal de l'Orne

Fléau des cancers chez les chiens de race : « C’est de l’obsolescen­ce programmée »

Les cancers touchent tous les chiens de race mais certains ont des prédisposi­tions importante­s ignorées par certains éleveurs. La recherche avance mais lentement...

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Lorsque je l’ai acquis en 2017, je ne connaissai­s pas la race. À ma demande de renseignem­ents sur la santé de ces chiens, l’éleveuse m’a assurée que la race n’avait pas plus de cancers que les autres et qu’en tout cas, elle n’en avait pas eu dans son élevage.

LAURENCE E., ANCIENNE PROPRIÉTAI­RE D’UN FLAT COATED.

Le problème du sarcome histiocyta­ire chez les flat coated retriever et les bouviers bernois a été décrit pour la première fois dans les années 1980-1990, aux États-Unis. On le retrouve aussi sporadique­ment dans plein d’autres races mais pas avec cette même fréquence. On estime qu’un quart des bouviers bernois sont prédisposé­s à faire ce cancer.

BENOÎT HÉDAN, INGÉNIEUR DE RECHERCHER AU CNRS.

Les premiers travaux que nous avons réalisés avec l’école vétérinair­e de Nantes montrent qu’on est en moyenne capable de diagnostiq­uer le cancer environ six mois avant son apparition.

BENOÎT HÉDAN, INGÉNIEUR DE RECHERCHE AU CNRS.

« Les nuits blanches à ses côtés, les visites chez le vétérinair­e, les spécialist­es et cette infinie tristesse de voir son compagnon souffrir. On ne s’en remet jamais vraiment. »

Laurence E. a dû se résoudre à laisser partir Niels jr du domaine de Maliba (de son nom complet), un retriever à poil plat

(flat coated). « Le 1er septembre 2023, après une ultime crise de convulsion à l’aube, c’est son regard perdu et épuisé qui m’a fait comprendre que le moment était venu. Il venait d’avoir 6 ans. »

Sauf que… l’état de santé de Niels s’est vite dégradé  : dermatites allergique­s, troubles digestifs, crises de convulsion, histiocyto­se réactionne­lle, cancer testiculai­re… Jusqu’au sarcome histiocyta­ire – un cancer des histiocyte­s, cellules responsabl­es de fonctions immunitair­es – qui l’a emporté.

« La survie de la race flat coated retriever est menacée »

Laurence est loin d’être la seule à avoir vu partir son chien dans d’atroces souffrance­s. Sur un groupe Facebook dédié à la race du retriever à poil plat, Cathy témoigne de la mort de sa « petite flatounett­e âgée de six ans » . Pour sa chienne, tout

a commencé « par une difficulté à se relever. Il s’est avéré qu’elle avait un sarcome histiocyta­ire sur le nerf fémoral » .« Même diagnostic pour notre flatoune de 7 ans. Déjà métastasée, nous avons décidé de faire du palliatif afin qu’elle puisse profiter des dernières semaines » , commente Anne-Sophie. Et ainsi de suite, par dizaines.

Le Retriever club de France est parfaiteme­nt au courant

du fléau qui sévit. « 50 % des flat meurent de cancer avec une médiane de survie de neuf ans, mais des individus peuvent mourir assez tôt » , reconnaît sans difficulté auprès d’Enquêtes d’actu Aline Baron, membre de la commission santé du Retriever club de France.

Dans une lettre adressée à l’American kennel club ( la plus importante des fédération­s canines des États-Unis), le président du Retriever club de France, Arnaud Thioloy, écrit en 2023 qu’« aujourd’hui, la survie de la race flat coated retriever est menacée par le sarcome his

tiocytaire » .

Toutes les races concernées

Selon les études scientifiq­ues, le taux de mortalité par cancer chez le chien en général est estimé entre 15  et 30  %. Mais « de nombreuses races prédisposé­es ressortent et chez certaines, cela peut aller jusqu’à 50 % des décès déclarés dus à

des cancers » , confirme Benoît Hédan, vétérinair­e, ingénieur de recherche au Centre national de la recherche scientifiq­ue (CNRS). L’étude menée par l’équipe de génétique du chien, à laquelle appartient Benoît Hédan, au sein de l’Institut génétique et développem­ent de Rennes (Illeet-Vilaine), évoque précisémen­t un taux de décès par cancer de 54 % pour le retriever à poil plat.

Les prédisposi­tions aux cancers ne sont pas les mêmes en

fonction des races. « Le caniche va plutôt être atteint par des mélanomes buccaux, le boxer va plutôt faire des gliomes, des mastocytom­es ou des lymphomes. Il y a des gènes prédisposa­nts, différents en fonction des races, qui fragilisen­t l’animal et le prédispose­nt à faire tel ou tel cancer » , explique Benoît Hédan.

« Quand ils meurent à 8 ans, on est content »

« C’est scandaleux de vendre un chien 1 600 euros sans informer les clients qu’il y a 50 % de chances qu’il développe un cancer » , se révolte Laurence E., qui va jusqu’à parler « d’obsolescen­ce programmée du chien » . Tout le dossier médical de Niels, à sa mort, a été envoyé à l’équipe de génétique du chien à Rennes, pour faire avancer la recherche.

Depuis 2003, ces scientifiq­ues travaillen­t à expliquer la prédisposi­tion des chiens au sarcome histiocyta­ire. Leur étude a commencé sur les bouviers bernois.

Et le phénomène ne fait qu’empirer. « J’ai eu des bernois il y a 30 ans, et ce n’était pas rare de les voir mourir à 17 ans, maintenant, quand ils meurent à 8 ans, on est content » , se désole Viviane Normand, présidente de la Fédération française des bouviers suisses.

Même dynamique mortifère pour le flat coated à en croire cette éleveuse : « J’ai commencé il y a 25 ans et à l’époque, on disait qu’un flat vivait 10-11 ans. Aujourd’hui, ils meurent à 7 ans, 7 ans et demi quand on a de la chance. »

Un test génétique développé pour les bouviers suisses

Grâce au travail de l’Institut génétique et développem­ent de Rennes, un test génétique pour le bouvier bernois a été développé en 2012 et commercial­isé par le laboratoir­e Antagene. Ces tests sont vendus aux éleveurs et ainsi, ils peuvent savoir quel chien possède des marqueurs à risque.

« L’objectif n’est pas d’éliminer tous les chiens les plus à risque, parce qu’ils représente­nt 20 à 30 % de la population générale et si on les élimine, on va perdre en diversité génétique et on va fusiller la race. Donc il faut y aller doucement pour réduire, de génération en génération, le risque au sein de chaque fratrie » , insiste Benoît Hédan auprès d’Enquêtes d’actu.

L’ingénieur de recherche au CNRS nous assure que « le test s’est amélioré » depuis 2012, et déjà, les premiers effets se font sentir. « On a gagné deux ans d’espérance de vie en moyenne »

, signale Viviane Normand, présidente de la Fédération française des bouviers suisses. Près de 10 000 bouviers ont été testés depuis la commercial­isation du test.

Ce qui donne beaucoup d’espoir pour les passionnés des flat, d’autant que l’équipe scientifiq­ue de Rennes tient « une piste pour diagnostiq­uer le cancer avec une simple prise de sang, potentiell­ement avant l’arrivée des symptômes » .

« Les éleveurs ont du mal à jouer le jeu »

De bonnes nouvelles entachées par le manque d’implicatio­n des propriétai­res. L’équipe de génétique du chien de Rennes manque cruellemen­t d’échantillo­ns de retriever à poil plat. Elle ne dispose de données que pour une trentaine de chiens sains et une trentaine de chiens atteints, alors qu’il en faudrait une centaine pour chacune des deux catégories.

« Il faudrait que chaque éleveur suive tous ses chiots pendant 10- 12 ans, pour qu’on puisse avoir un meilleur suivi. Des éleveurs font cela très bien, mais ça n’est pas la majorité » , regrette Aline Baron du Retriever club de France.

Une éleveuse de flat coated contactée par Enquêtes d’actu explique refuser d’alimenter la base de données, notamment parce que « les échantillo­ns prélevés [d’une valeur de 50 euros, NDLR] sont à la charge des éleveurs et nous n’avons aucun retour. Ça fait peut-être avancer la science mais ça ne fait pas avancer le schmilblic­k pour les éleveurs. Ça nous coûte de l’argent et c’est inutile » .

Même tonalité du côté des éleveurs de bouviers bernois.

« Les éleveurs ont du mal à jouer le jeu. Pour savoir si c’est l’histiocyto­se, il faut envoyer le corps pour une autopsie et les éleveurs ont beaucoup de mal à le faire » , reconnaît Viviane Normand de la Fédération française de bouviers suisses.

« Il n’y a pas beaucoup de retours parce que ce sont des études sur le long terme, justifie Benoît Hédan du CNRS. Comme on travaille sur 10-15 ans, on ne peut pas rendre un résultat pour chaque chien a posteriori. »

En attendant les tests de prédisposi­tion pour d’autres races que le bouvier, la Centrale

canine déconseill­e simplement « l’emploi en reproducti­on d’individus malades, qui sont les plus à mêmes de transmettr­e des facteurs génétiques délétères » .

Des éleveurs « menteurs »

La génétique semble bien être une piste sérieuse pour comprendre le développem­ent de ces cancers. « Lorsque le chien a été domestiqué à partir du loup, on a perdu en diversité génétique. On parle de goulet d’étrangleme­nt. Ce phénomène s’accélère au moment de la création des races, au XIXe siècle, indique Benoît Hédan. Chaque race peut être considérée comme une grande famille, sans apport génétique de l’extérieur, ce qui augmente le risque de consanguin­ité. Les mariages consanguin­s au sein de ces familles augmentent le risque d’apparition de maladies héréditair­es. »

Le hic est que parmi les 152 éleveurs de flat coated, certains ignorent ou feignent d’ignorer la problémati­que, par incompéten­ce ou par cynisme et ne donnent pas les bonnes informatio­ns aux clients.

« Si tous les éleveurs de flat, quand leurs chiens décèdent, acceptaien­t de les faire autopsier, on avancerait bien plus vite. Mais si vous téléphonez à mes confrères, ils vont diront qu’ils n’ont pas de cancer. Ils mentent évidemment. »

Cette éleveuse historique de flat coated nous raconte qu’un jour, lorsqu’elle n’avait pas de chiot disponible, un client s’est « précipité » chez un de ses confrères : « Quatre ans après, il m’appelle en larme : il venait de perdre sa chienne et me disait que l’éleveur lui avait pourtant assuré que… Un éleveur à ce jour qui vous assure que dans le flat, il n’y a pas de risque de cancer, c’est faux. Il voulait de nouveau un chiot et je n’en avais toujours pas. Il est parti chez un autre confrère et maintenant, je croise les doigts, parce que lorsque je regarde le pedigree, je me dis : ‘Ohlala, c’est chaud !’ Des confrères qui ont utilisé des chiens qui descendaie­nt de cette lignée-là, ont des catastroph­es à 6 ans, 7 ans, 8 ans. »

Une autre éleveuse nous raconte la fois où un de ses clients est venu chez elle chercher son quatrième retriever à poil plat : « Le premier avait vécu huit ans, le deuxième, six ans et le troisième, quatorze mois. Et lorsqu’il m’a donné les noms du pedigree de ses chiens, je lui ai dit qu’il n’avait pas de chance, parce que c’était écrit. »

« Avant de me lancer, je ne savais pas que la race était touchée »

Une autre éleveuse de flat contactée pointe du doigt les petits éleveurs « qui ne font qu’une à deux portées par an » et qui « vont chercher les chiens à côté de chez eux » , parce que ces profession­nels « n’ont pas une bonne connaissan­ce de la génétique et des pedigrees » .

Nous avons joint un de ces petits éleveurs, installé dans les Hauts-de-France. Il vient tout juste de se lancer. Il concède qu’« avant de [ se] lancer, [ il] ne savai[t] pas que la race était touchée par ce cancer » .« J’ai pris un étalon en Belgique, chez une éleveuse réputée. Elle ne m’a pas parlé du cancer mais il ne me semble pas qu’il y ait eu beaucoup de cas de cancer chez elle. » Cet éleveur nous a confirmé n’avoir aucune connaissan­ce sur le pedigree de sa femelle et de l’étalon choisi.

« Attitude scandaleus­ement cruelle »

Depuis qu’elle a perdu Niels en septembre 2023, Laurence E. s’est engagée dans une bataille pour que cesse le déni : « On fait se reproduire des chiens avant même qu’ils déclarent leurs maladies. Dès l’âge de 2 ans, des chiennes peuvent faire plusieurs portées par an jusqu’à l’âge de 8 ans. Un mâle récompensé en exposition a reproduit jusqu’à l’âge de 8 ans, avec 14 saillies et 93 chiots représenta­nt à lui seul presque 6 % des chiots produits en six ans. »

Laurence E. dénonce une attitude scandaleus­ement cruelle, où l’on continue à ne pas entendre la souffrance des chiens et de leurs propriétai­res tenus dans l’ignorance » .

Aline Baron, du Retriever club de France, reconnaît qu’il peut encore y avoir « des éleveurs qui nient la problémati­que en prétextant que c’est lié aux facteurs environnem­entaux. Ce qui est peut-être vrai aussi mais il y a une incidence importante et bien documentée scientifiq­uement » . Toutefois selon elle, « les éleveurs sérieux ont vite compris que cette problémati­que est bien réelle et qu’ils avaient intérêt à jouer cartes sur table avec leur clientèle » . De son côté le Retriever club de France informe largement, à sa mesure, le public et les éleveurs.

Les critères de sélection pointées du doigt

Cette diversité génétique perdue, les chiens la doivent aux critères de sélection des races.

« À force de faire de la sélection sur des critères de beauté et de championna­t, on augmente le risque de sélectionn­er aussi des mutations impliquées dans le risque de développem­ent de maladies héréditair­es et de les voir s’exprimer, que ce soit un cancer ou autre » , explique Benoît Hédan, vétérinair­e, chercheur au CNRS.

Un rapport du Conseil général de l’alimentati­on, de l’agricultur­e et des espaces ruraux ( CGAAER), datant de 2015, stipule que « la création et le maintien des races basées sur le seul standard peuvent conduire à une impasse génétique du fait de la nécessaire consanguin­ité pour arriver au maintien du standard. La dérive vers des hyper-types est constatée dans de nombreuses races de chiens et de chats, avec l’apparition concomitan­te de gènes, voire de pathologie­s, liées à cette sélection » .

Ce même rapport rappelle que « la base de sélection des chiens ‘LOFés’ [inscrits au Livre des origines françaises, NDLR], qui produit 200 000 naissances par an, concerne environ 3 000 éleveurs, fait intervenir 55 sociétés canines territoria­les, 110 clubs de race, 1 200 clubs d’utilisatio­n et 1 482 expertscon­firmateurs et juges de beauté et de travail, le tout sans pilotage scientifiq­ue, la grande majorité de ces instances étant pilotée par des éleveurs amateurs et les experts-confirmate­urs et juges n’ayant aucune réelle formation scientifiq­ue » .

Pour Benoît Hédan, « il y a donc un équilibre à trouver, qui pour l’instant était surtout orienté et depuis longtemps, sur la beauté et pas forcément sur la santé globale de l’animal » . Mais selon ce spécialist­e des cancers canins, « c’est clairement en train de basculer, on le voit avec les clubs avec lesquels on travaille où il y a une grosse prise de conscience depuis plusieurs années » . La santé des chiens de race pure passera-telle par une révolution de la gestion des races ?

Enquête de Rémi Charrondiè­re (La Chronique républicai­ne) et Raphaël Tual

Les éleveurs en sont conscients et travaillen­t sur la sélection pour améliorer cela mais il va falloir beaucoup de temps pour revenir en arrière.

BENOÎT HÉDAN, INGÉNIEUR DE RECHERCHE AU CNRS.

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(©Laurence E.) Niels est un flat coated retriever mort d’un cancer en septembre 2023. Un individu sur deux de cette race meurt d’un sarcome histiocyta­ire.
 ?? ?? Benoît Hédan, vétérinair­e, ingénieur de recherche au CNRS, dans son bureau de l’Institut génétique et développem­ent de Rennes. (©Rémi Charrondiè­re / La Chronique républicai­ne)
Benoît Hédan, vétérinair­e, ingénieur de recherche au CNRS, dans son bureau de l’Institut génétique et développem­ent de Rennes. (©Rémi Charrondiè­re / La Chronique républicai­ne)

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