Meuse, Meurthe-et-Moselle et Moselle : quand la Lorraine vous entraîne
La Lorraine… Entreprendre ce voyage c’est programmer un tracé qui de Verdun vous mènera au pied des Vosges, traversant la Meuse, la Meurthe-et-Moselle, et la Moselle. La région, éclipsée des cartes administratives – elle appartient désormais au dénommé Grand Est qui intègre sa voisine, l’Alsace – côtoie toujours deux frontières, l’Allemagne et le Luxembourg, deux étendards indissociables de son passé chargé d’histoires douloureuses. À l’image de son parc naturel régional, fleuron de sa nature, elle n’en demeure pas moins « La » carte identitaire pour bien des… Lorrains.
La Lorraine… Voilà bien une région marquée au fer d’une histoire qui décline ses épisodes d’occupation et de guerre. Impossible d’y échapper, tant le passé est présent dans son paysage marqué par les conflits de 1870, de 1914-1918, de 19391945… Mais les fans de grand air seront comblés : la Lorraine est un territoire où la nature a son mot à dire, entre autres dans le parc naturel régional qui porte son nom, créé en 1974, formé de deux zones séparées par la vallée de la Moselle. Ce voyage, vous l’aurez compris, sera dense. Débuter ce périple par Verdun – dans le département de la Meuse – est une démarche logique : c’est la porte d’entrée historique à l’ouest de la Lorraine. On ne peut dissocier ce nom de Verdun de la Première Guerre mondiale que l’on appréhende respectueusement au Mémorial de la guerre de Douaumont. De votre point d’ancrage, l’aire de campingcars du camping de Verdun, Les Breuils, à peine 11 kilomètres vous séparent du sanctuaire. Quinze petites minutes pour sortir de la ville et entamer votre grimpette vers les hauteurs de massifs qui l’encerclent. Pour se rendre au Mémorial de Verdun, la porte de sortie sera la D603 sur laquelle se greffe la D913 – direction Douaumont – qui serpente le long de collines boisées. Vous apercevez sur les marges bien propres de cette route, des bosses, des trous. Les stigmates d’un terrain conservé en l’état, qui rappellent immédiatement les combats. Petit retour en arrière et en chiffres car ils sont très parlants. La bataille de Verdun, la « mère des batailles », c’est 300 jours ! 306 000 morts soit 1 000 morts par jour, Allemands et Français confondus. 60 millions d’obus et un nombre incalculable de Maggi Kub, ce petit carré – suisse – qui permit au poilu de boire sa soupe ! Ici, l’anecdote côtoie le pire ! On y apprend que le Stahlhelm allemand (casque en acier) est apparu en 1916. Il remplace le casque à pointe des débuts du conflit : la pointe devait dévier la lame d’une épée ennemie lorsqu’elle s’abattait sur la tête. Mais chevaux et sabres ne feront pas long feu dans cette guerre… moderne.
Une poignée de main historique
Dans la foulée, les Français concevront le casque Adrian M 1915, apparu durant l’offensive de Champagne en 1915 : dans les tranchées la plupart des blessures étaient provoquées à la tête par des éclats d’obus. Le remplacement des casquettes de la guerre précédente et des pantalons rouges, trop voyants, était une nécessité. Le Mémorial de Verdun (1967) est construit sur le village de Fleury, rayé des cartes. Une architecture d’un bloc ! Envisagez deux heures minimum pour voir l’ensemble des salles qui plongent dans « l’enfer de Verdun ». Il fut créé sous l’égide de l’académicien et ancien combattant Maurice Genevoix : « Ce Mémorial a été édifié par les survivants de Verdun, en souvenir de leurs camarades tombés dans la bataille pour que ceux qui viennent se recueillir et méditer aux lieux mêmes de leur sacrifice, comprennent l’idéal et la foi qui les ont inspirés et soutenus. » Aujourd’hui l’écrivain repose sous le dôme du Panthéon. Pour celui qui cherche à ressentir ce qu’a été Verdun, le Mémorial fait figure de passage obligé. Pour d’autres, il est un centre de documentation, à seulement 1,5 km de l’ossuaire et nécropole de Fleurydevant-Douaumont. 130 000 corps – Français, Allemands – aux ossements enchevêtrés, reposent dans ce bâtiment tout en longueur, construit en 1932 et qui ne subira aucune détérioration lors de la deuxième réplique mondiale. Symboliquement, c’est à Douaumont que le président François Mitterrand donne, en 1984, la main au chancelier Helmut Kohl. Une réconciliation franche et sincère ! Et les dépouilles – 9 – ressurgissent au gré des travaux du parking du Mémorial, en 2013, au village de Fleury – 26 –, etc. L’ossuaire de Douau
mont impressionne la mémoire du visiteur. 45 minutes, 40 km par la D905 plus au nord, changement de décor, changement d’époque. Marville est un village au patrimoine remarquable, pour deux raisons : la richesse de son bâti et son cimetière, SaintHilaire. Pour y accéder, dépasser le « Bon Dieu de Mouza », gravir à pied un chemin long de 500 m et franchir le portillon.
Marville, cité florissante
Il s’ouvre sur un héritage religieux quasi fantastique : chapelle, Vierge de pitié, stèles, calvaire, maison du gardien, ossuaire de crânes. Juché sur sa motte, le bâti du centre historique se décline tout en longueur, idéal pour des plans cinéma comme ceux de « Suite française », film au casting prestigieux : Michelle Williams, Matthias Schoenaerts, Lambert Wilson, Kristin Scott Thomas… Faites-vous aider du savoir d’un guide avisé pour appréhender la lecture urbanistique de ce village qui fut la seconde ville du Luxembourg au XVIe siècle. Maisons des congrégations, demeures marchandes, cossues, hôtels particuliers l’attestent. On doit cette mise en valeur à des membres très impliqués de l’association « Marville Terres Communes », qui souhaitent voir la renaissance éclatante de leur cité dont les façades de la Grande Place sont les joyaux. L’association « Vent des forêts » travaille elle aussi d’arrache-pied. Depuis 1997 elle greffe des oeuvres contemporaines dans le sud meusien. Lahaymeix, 74 habitants, fut le premier des six villages à dire « Oui » à ce vent qui souffle désormais sur 130 oeuvres in situ dispersées sur 5 000 ha d’une nature rurale et très boisée, drainée de 45 km de sentiers. Vous les découvrirez sur le lien : www.ventdesforets.com/oeuvre. Magnifique ! Et quelle aubaine pour les amoureux de randonnées qui font mouche à tous les coups : les sentiers sont bien fléchés. Ces portes dérobées ont pour nom, circuit de Louvent (41 balises/9 km-3h), des Trois Fontaines (31 balises/8 km2h30)… Bref, une idée géniale portée depuis 2008 par son directeur artistique Pascal Yonet : « Ici, au coeur de la Meuse, on brise la distance entre l’art contemporain et les gens, entre la nature et les artistes. Et de cet échange émane une relation privilégiée – on ne travaille pas seuls – avec ceux qui ont
l’expertise de ce territoire. Résultat : 30 000 visiteurs par an, le double en 2020. » Pascal, toujours sur la brèche, bouillonnant d’idées, promu chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, vous invite avec son équipe à venir entretenir le souffle de ce vent qui tisse entre l’homme, l’art et la nature, des liens assurément uniques.
Le Piémont vosgien
Quittons la Meuse pour la Meurthe-etMoselle. Fabrice André est aussi un passionné, animé par ce goût du partage. Autour et sur le lac de Madine, il s’adapte à tous les âges. Partez avec lui, le week-end – il travaille en semaine –, à pied ou sur un bateau. Au programme, photographie d’oiseaux, observation du paysage, décryptage botanique… Sa connaissance des milieux naturels lorrains étaye votre curiosité face au vivant des berges et des eaux de ce lac. Plus à l’est, à 120 km – votre route double Nancy – direction le Piémont vosgien, son lac – la Pierre Percée –, Badonviller et l’arrière du front français de 1914-18. « Une cité martyre, détruite à plus de 50%. Une ville décorée de la Légion d’honneur et de la croix de guerre. » Ces propos sont de M. Jean-Pierre Cuny, membre de l’association guerre-Vosges-Badonviller, fils de pompier et ancien soldat du feu. Intarissable, il nous trimbale dans la forêt domaniale, son terrain de jeu ! Un terrain accidenté, saigné de tranchées militaires bien visibles sous l’épais massif forestier, perforé de galeries. Un parcours balisé de lieux emblématiques : col de la Chapelotte, grotte des Poilus, observatoire Adonis, infirmerie et même un bout de terre de Corse. L’automne, on s’étonne de croiser des cueilleurs de châtaignes : « Les soldats d’un bataillon corse les recevaient dans leur colis. Quelques-uns de ces fruits, jetés à même le sol, ont germé et sont devenus de beaux châtaigniers, des châtaigniers corses, dont on dit que leurs fruits sont sucrés.» À ce propos, et comme un pain de sucre émergeant de la forêt vosgienne, le légendaire rocher de Dabo. Tout en grès rose, coiffé à 664 m d’altitude d’une chapelle dédiée au Pape Léon IX, enfant du pays. Mais si le Rocher est visible toute l’année, attention, son accès par la seule D45A est réglementé en période hivernale. 2h30 et 130 km plus tard, par des routes françaises – le raccourci autoroutier passe par l’Allemagne –, voici plus au nord, en Moselle, la résidence seigneuriale de Malbrouck. Cette sentinelle facile d’accès en camping-car veille sur le village de Manderen.
Marlborough, Malbrouck
Plantée sur sa colline, elle côtoie deux frontières : Allemagne et Luxembourg. Leur point de convergence avec la France se situe dans l’eau de la Moselle, à Schengen. On vient y faire son plein : la ligne de
carburant file plus vite que celle de la facture. Top ! Des remparts, on aperçoit des éoliennes. Elles sont allemandes. Alors on a coutume de dire ici qu’elles tournent grâce au vent… français ! Et dix petits jours de siège, par le duc de Marlborough, celuilà même « qui s’en-va-t-en-guerre », aïeuls de Winston Churchill, ont suffi à sceller son nom dans l’épaisseur de ses murs : quatre mètres tout de même. Derrière eux, bien à l’abri des regards inquisiteurs, on y pratiqua l’alchimie, et enferma une sorcière. Le château, pillé, vendu à des fermiers (1793), pilonné pendant la Seconde Guerre par les Allemands, puis les alliés, sera acheté en 1975 par le conseil départemental. Enfin ses ruines… Profitant de la charte de Venise – traité qui fournira un cadre international à sa restauration – Malbrouck fut l’un des plus gros chantiers de France, confié et mené à bien par des compagnons du devoir du Tour de France, tailleurs de pierre, charpentiers, couvreurs, maçons…
Mais Malbrouck dissimule bien son jeu. À l’intérieur un impressionnant dispositif de salles contemporaines, d’exposition, de projection ou de causerie, lui confère des dispositions pour accueillir des manifestations de grande ampleur : Napoléon, Samouraïs et chevaliers, Robert Doisneau, Brassens, et son festival de BD, thématisé (Tintin, Astérix…) qui draine la foule des grands jours. A 30 minutes, par la D62, se trouve l’un des « plus beaux villages de France », Rodemack. Loin d’être sous cloche – il a une vie, de vrais commerces et même une distillerie municipale – il abrite, dans ce nord de la Moselle, 2000 habitants. L’un d’entre eux, né à Rodemack, s’en est allé le 23 décembre 2015: il s’agit du botanisteécologiste Jean-MariePelt, enterré dans son village natal, et très apprécié des auditeurs de France Inter. Il avait – les deux hommes se connaissaient très bien – publié l’ouvrage « Robert Schuman. Père de l’Europe ». A Scy-Chazelles, en Moselle (57), « Un beau village de Lorraine accroché au flanc du Mont Saint-Quentin… » écrit Pelt, vous visiterez, car elle fait partie de ces prestigieuses « Maisons des illustres », la demeure de cet avocat et député de la Moselle (1886-1963) qui débuta sa carrière à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, en tant que ministre des Affaires étrangères. Il va oeuvrer activement au lancement de la construction européenne dont il sera élu premier président de l’Assemblée parlementaire en 1958. Une Europe des Six. Cette maison, propriété du département est telle qu’elle était pendant les dernières années de sa vie. Vous ferez la connaissance de ce grand européen, roi de l’évasion – sa tête avait été mise à prix par les nazis – dans un espace muséographique interactif et modernisé digne de ce Lorrain de coeur. Bon voyage !