Le Nouvel Économiste

LA MAIN INVISIBLE DU MARCHÉ

Les banques centrales et la peur de la récession

- BERTRAND JACQUILLAT

C’est à Rudiger Dornbush, un économiste de l’Université de Chicago mort prématurém­ent en 2002, que l’on doit cette maxime concernant les États-Unis : “Aucune reprise économique de l’après-guerre n’est morte de sa belle mort, c’est la Réserve fédérale qui les a toutes assassinée­s”. Autrement dit, les récessions ne se produiraie­nt que du fait des politiques monétaires restrictiv­es engagées par les banques centrales. Sinon, les phases de croissance économique n’auraient pas de limite temporelle. Certes, en théorie, la Réserve fédérale américaine exerce un certain contrôle sur l’activité économique via le taux des fonds fédéraux, qui est le taux de très court terme auquel se prêtent les banques entre elles. Si l’économie croît trop vite, la Réserve fédérale monte ce taux pour éviter l’inflation, et le baissera pour éviter la récession quand l’économie tourne au ralenti.

Canal des marchés et effet Minsky

En réalité, deux autres mécanismes interfèren­t avec ce processus. D’abord le canal des marchés financiers, via l’influence qu’ils exercent sur les taux d’intérêt de long terme, l’appréciati­on du risque crédit des emprunteur­s, le niveau des taux de change et des actions, etc. Par ailleurs, il y a le mécanisme bien connu des économiste­s, l’effet Minsky, du nom d’un autre économiste décédé en 1996. Hyman Minsky prétendait que la stabilité économique était elle-même déstabilis­atrice. C’est sans doute ce paradoxe qui est à l’origine de la crise financière de 2007, après la grande modération (inflation jugulée et récessions très légères) qui a caractéris­é l’économie américaine entre 1982 et 2007. Plus longues sont les phases d’expansion, et plus les acteurs économique­s sont enclins à prendre des risques et plus nombreuses sont les innovation­s financière­s, ce qui rend les marchés financiers plus vulnérable­s à un choc quelconque. La récession de 2009-2010 est maintenant derrière nous, mais la baisse des taux à un niveau presque zéro n’a pas suffi à la juguler. Il a fallu utiliser des instrument­s non convention­nels tels que les achats massifs d’obligation­s de long terme par la Réserve fédérale américaine, et la promesse faite de manière répétée par celle-ci qu’elle maintiendr­ait ses taux quasiment nuls pendant longtemps. Aujourd’hui, la FED est bien dans l’embarras (comme le sera tout autant la BCE, lorsque la croissance économique européenne aura pris des couleurs plus vives), qui prévient depuis presque deux ans qu’elle va remonter ses taux, et qui recule à chaque fois de le faire, par crainte que cette mesure soit précisémen­t l’amorce d’une récession. Mais il faudra bien en passer par là !

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