MA TRÈS CHÈRE BANQUE
La légère insoutenabilité des portes tournantes
Imaginez-vous en train d’assister à un match de rugby, par exemple France-Angleterre, pendant la Coupe du monde : la France perd et vous apprenez le lendemain que l’arbitre était un ancien joueur de l’équipe d’Angleterre, récemment reconverti dans l’arbitrage. La Fédération internationale de rugby avait juste souhaité employer un expert, doté d’une très bonne connaissance du jeu. Il lui avait alors suffi de chercher dans le vivier des anciens joueurs pour trouver le candidat parfait. Pas d’inquiétude, délai de décontamination oblige, l’homme avait suivi un stage de formation à l’arbitrage de 6 mois au préalable. Pas de conflit d’intérêts possible, donc ! Dans le monde merveilleux de la finance, il est aussi possible de faire table rase du passé pour se consacrer à une activité beaucoup plus honorable : la régulation. Ainsi, François Villeroy de Galhau a été choisi pour occuper le poste de gouverneur de la Banque de France. La “mission sur l’investissement” que lui a confiée le gouvernement pendant quelques mois paraît avoir suffi à faire oublier ses douze années au sein de la plus grande banque française, BNP-Paribas. L’homme a basculé dans le camp des régulateurs. Comment les allers-retours de plus en plus fréquents entre la fonction publique et le secteur privé financier sont-ils aujourd’hui régulés ? Même en réduisant l’étude de cas aux autorités en charge de la supervision financière (l’AMF, l’ACPR et leurs consoeurs étrangères), le cadre législatif n’est pas simple à appréhender. Pour deux raisons au moins. Premièrement, la réglementation applicable à ces autorités s’apparente à un mille-feuille où s’entremêlent régime de la fonction publique et normes internes. Pour qu’un cadre législatif commun émerge, il faudrait un statut général pour ces autorités. On en est loin, vu l’absence d’uniformité au sein même des pays. Deuxièmement, l’accès à l’information relève du parcours du combattant, particulièrement s’agissant des normes de déontologie. En la matière, les deux autorités françaises font figure de mauvais élèves. Alors que la plupart des régulateurs dans d’autres domaines affichent clairement les règles s’appliquant à leurs membres, l’AMF et l’ACPR peinent à dévoiler le statut et les obligations déontologiques qui s’imposent à l’ensemble de leur personnel.
Encadrement asymétrique
L’encadrement des allers-retours entre la haute fonction publique et le secteur privé financier est surtout très asymétrique : on encadre le passage du public au privé, mais pas le mouvement inverse du privé au public. Ainsi, en France comme dans la plupart des pays, un délai de carence empêche les régulateurs de sauter dans le grand bain de la finance directement à la fin de leur mandat. Cette réglementation, issue de l’encadrement du pantouflage, est désormais généralisée (pour les fonctionnaires !). Mais il n’y a pas de règles équivalentes au sein des autorités quand elles recrutent dans le secteur privé. Une étude de l’OCDE, menée en 2009, montre que partout en Europe et en Amérique du Nord (sauf en Islande), les autorités de régulation recrutent leurs hauts responsables dans l’industrie financière. Au motif qu’ils satisfont le mieux à leur exigence d’expertise. Bien sûr, chaque autorité a sa politique de gestion des conflits d’intérêts. Celle-ci repose le plus souvent sur une exigence de déclaration d’intérêt censée alerter sur les risques de conflits. Rien au-delà ne vient encadrer, sur la base de règles et de principes communs, le passage du secteur privé financier au secteur public de la régulation. Il est sans doute impossible d’éliminer toutes influences ou comportements intéressés au sein des autorités de supervision financière. Mais il faut au moins faire en sorte d’édicter et d’appliquer des règles qui réduisent autant que possible les conflits ou collusions d’intérêts entre régulateurs et régulés.