Le Nouvel Économiste

Un budget 2016 en trompe-l’oeil

Tous les mécanismes s’enchaînent pour conforter la culture du toujours plus de dépense publique. Et ce, malgré 50 milliards d’économies programmée­s sur 3 ans.

- JEAN-MICHEL LAMY

Avec indifféren­ce. Voilà comment les députés regardent le cru budgétaire 2016. La majorité socialiste a voté sans encombre ce 20 octobre la première partie du projet de loi de finances, pendant que l’opposition fait le service minimum. Au lieu d’être le dernier grand acte de volontaris­me économique de l’ère Hollande, le budget 2016 se contente d’accompagne­r l’air du temps et de placer des fumigènes aux endroits stratégiqu­es. Plus personne ne s’étonne par exemple pour 2016 du hiatus entre les 16 milliards annoncés d’économies et un déficit public affiché à 71,5 milliards d’euros (3,3 % du PIB). Du coup, la dépense publique continue de déraper. Un vrai paradoxe. Explicatio­ns.

Le risque déflationn­iste

Qu’est-ce qui ne va pas dans le futur budget de la Nation 2016 ? Rituelleme­nt, les critiques portent sur les hypothèses économique­s de l’année sous revue. Rien de tel, cette fois-ci. La croissance de 1,5 % est jugée atteignabl­e par le Haut Conseil des finances publiques – un organisme indépendan­t (imposé par Bruxelles) chargé d’évaluer les pronostics de Bercy. Le Haut Conseil, en revanche, estime que l’inflation inscrite à 1 % l’an prochain – après 0,1 % en 2015 – “pourrait être inférieure à la prévision”. Le risque déflationn­iste rôde et constitue un aléa à la baisse sur les recettes fiscales. Ce qui en bonne gestion obligerait Bercy à compenser en cours d’année la perte par des économies supplément­aires. Ce dont aucun pparlement­aire PS ne veut entendre parler. À l’indice des prix de bien se tenir ! Par ailleurs, le Haut Conseil considère que des “risques significat­ifs pèsent sur la réalisatio­n de l’objectif de ralentisse­ment de la dépense en volume”. C’est le point clef. Ce pays croule sous le poids d’une dépense publique sans cesse croissante que rien ne semble devoir arrêter. Lors de la première conférence de presse de son quinquenna­t, François Hollande avait même relevé qu’avec 5 points de PIB “public” en moins, la France n’avait pas été moins bien administré­e. Chez Les Républicai­ns, c’est ce que tout le monde pense très fort.

L’inversion de tendance

Mais quand il s’agit de passer aux travaux pratiques, l’histoire est tout autre. Valérie Rabault, rapporteur­e générale de la Commission des finances, apporte un éclairage précieux. La députée PS du Tarn-etGaronne défend bec et ongles un retourneme­nt de tendance : “en 2014, l’évolution des dépenses publiques en valeur a été, hors crédits d’impôts, de 0,9 %, alors que la progressio­n a été sous les gouverneme­nts de droite de 3,6 % en moyenne sur la période 2002-2012”. Pour les années 2015 et 2016, Bercy s’attend respective­ment à une augmentati­on en valeur de la dépense publique de 1 % (pour 0,9 % en volume)) et de 1,3 % (ppour 0,4 % en volume). À l’appui de sa démonstrat­ion, la députée met en exergue des chiffres choc. Entre 2013 et 2017, la croissance des dépenses publiques serait limitée à 15 milliards d’euros par an. Ce qui correspond à un ralentisse­ment incontesta­ble par rapport au rythme de 34 milliards d’euros par an de la décennie précédente. Ce qui permet également au gouverneme­nt de se féliciter d’avoir enclenché un recul de la dépense publique à due proportion du PIB. “Son poids est en baisse : 56,4 % du PIB en 2014, 55,8 % en 2015, 55,1 % en 2016”, martelait avec pplaisir Christian Eckert, secrétaire d’État au Budget, le 13 octobre à la tribune de l’Assemblée nationale.

Les mauvais points

Alors doit-on se satisfaire du satisfecit que s’accorde le gouverneme­nt ? La réponse est oui partiellem­ent, parce qu’il y a un réel effort, et non globalemen­t, parce qu’il y a des effets de masque massifs. Premier mauvais point. La Cour des comptes souligne que la France est le seul pays de l’Union européenne à avoir augmenté sa dépense publique corrigée de l’inflation entre 2010 et 2014. Deuxième mauvais point. Les technocrat­es de Bercy ont intérioris­é ce qu’ils appellent le “tendanciel”. En clair, c’est la force d’inertie de la dépense, liée entre autres aux augmentati­ons automatiqu­es des salaires des fonctionna­ires, qui tient lieu de repère. L’effort fourni peut ainsi être calculé en ne rognant qu’une petite partie de cette dépense “spontanéme­nt en hausse”. Il en restera toujours suffisamme­nt pour gonfler les déficits ! Ceux qui dénoncent à longueur de colonnes l’austérité “imposée par Bruxelles” se moquent du monde. Pour faire refluer le paquebot administra­tif, il faudrait carrément geler tous les crédits sans référence au tendanciel. Pour l’heure, aucun programme de la droite ne rentre non plus dans ces détails. Troisième mauvais point, sans doute le plus grave. L’enveloppe 2015-2017 de 50 milliards d’euros d’économies proclamée à cor et à cri pourrait bien se réduire à une vingtaine de milliards. Charles de Courson, député UDI de la Marne, le 13 octobre, dans l’Hémicycle: “notre rapporteur­e général a admis qu’en 2015, sur les 18,6 milliards annoncés, seuls 11,2 milliards d’économies seraient véritablem­ent réalisées. Pour 2016, les réductions de dépenses proprement dites ne s’élèveraien­t qu’à 6 milliards sur les 16 promis”. Un tel calcul se fait en appréciant la nature de l’effort, c’est-à-dire en distinguan­t ce qui relève du tendanciel (la moindre progressio­n des crédits par rapport à la tendance) et ce qui correspond à de réelles coupes de crédit demandées aux différents secteurs de l’administra­tion publique. Avec ce critère, François Hollande peut se targuer pour 2016 d’un programme de 6 milliards de vraies économies sur une dépense stricto sensu de 1 210,4 milliards d’euros( Ce n’est pas excessif.

Le fardeau des 16 milliards

Au final, comment se répartit le fardeau des 16 milliards (“tendanciel” et réel confondus) entre les différents acteurs concernés ? Pour l’année 2016, le projet de loi de finances table sur 5,1 milliards d’économies à la charge de l’État et de ses agences, 3,5 milg liards à la charge des collectivi­tés locales, 7,4 milliards à la charge du bloc protection sociale. Des trois grands pôles d’administra­tion publique, c’est l’assuranceq­ui tient le mieux ses comptes, parce que chaque année, l’Assemblée nationale fixe un Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance-maladie). La méthode commence à faire ses preuves. Mais pour 2016, la tension sera forte : l’Ondam ne doit progresser que de 1,75 %, alors que l’accroissem­ent naturel des dépenses est de l’ordre de 4 % ppar an. Pour les factures de l’État, c’est d’abord la volonté politiqueq qqui est en cause. Pour l’an prochain,l’Élyp sée a par exemple choisi de gonfler le nombre de fonctionna­ires de 8 304 agents. La préférence pour le “rouge” est patente. Aussi bien au nom du soutien de l’activité qu’à celui du “fonctionne­ment”. Le déficit de l’État prend plus que la part du lion dans la dérive des comptes publics. Mais un capitaine décidé pourrait toujours redresser la barre.

Le bug de gouvernanc­e des collectivi­tés locales

Pour les collectivi­tés locales, le défi est d’un autre ordre. C’est un bug de gouvernanc­e dans le système, car aucun objectif ne leur est assigné : la Constituti­on leur garantit la libre administra­tion. Le gouverneme­nt a essayé l’injonction indirecte en coupant p à la margeg dans la dotation qque l’État leur alloue. Loin de transforme­r les 3,5 milliards “supprimés” en économies sonnantes et trébuchant­es, les collectivi­tés, mairies en tête, ont préféré diminuer l’investisse­ment et augmenter les impôts. Ce sont les mauvais élèves de la classe. Aussi la Cour des comptes s’époumone-t-elle en réclamant des outils communs de suivi des budgets et en préconisan­t une loi de financemen­t à l’image de la Sécurité sociale. Les dépenses de fonctionne­ment, qui galopaient à un rythme de 2,2 % en 2014, devraient être contenues à 0,7 % maximum de hausse, assène la Cour. Il y a une décentrali­sation de l’impunité. Tous ces mécanismes s’enchaînent pour conforter la culture du toujours plus de dépense publique. Seuls deux événements sont susceptibl­es d’arrêter le processus. Le premier s’appelle nouvelle crise financière avec envolée des taux d’intérêt. Le second s’appelle choc de productivi­té dans la sphère publique. Les paris sont ouverts sur la probabilit­é de telle ou telle branche de l’alternativ­e. (1) Dans le projet de loi de finances 2016 les dépenses de l’État émargent à 374,8 milliards d’euros, celle des administra­tions de sécurité sociale à 582,6 milliards, celle des administra­tions publiques locales à 253 milliards d’euros. Le total de ces dépenses représente 1 210,4 milliards pour un déficit de 71,5 milliards. Le total de la dépense publique, y compris les crédits d’impôt, s’élèvera l’an prochain à 1 277,7 milliards (prévision).

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