Le Nouvel Économiste

Crash test

Une réforme sans mode d’emploi n’est que ruine de l’âme

- JEAN-MICHEL LAMY

Tragédie à la française. Le projet de loi El Khomri consacré à la “flexi-sécurité” dissimule un lot exceptionn­el de “poupées russes”, en l’espèce l’agenda politique de chaque partie prenante. L’adaptation du marché du travail aux normes de la concurrenc­e est quasiment oubliée pour devenir le champ clos de la lutte pour la présidenti­ellep 2017 ! Au sommet de l’État, François Hollande se demande comment régenter un Premier ministre réformateu­r jusqu’au-boutiste. À la base du PS, les frondeurs cherchent avant tout à dézinguer Manuel Valls pour une éventuelle primaire, et sont même prêts à faire donner contre leur campp la “réserve” lycéenne. À la gauche de la gauche, c’est encore plus simple, tous sonnent le tocsin…

Tragédie à la française. Le projet de loi El Khomricons­acré à la “flexisécur­ité” dissimule un lot exceptionn­el de “poupées russes”, en l’espèce l’agenda politique de chaque partie prenante. L’adaptation du marché du travail aux normes de la concurrenc­e est quasiment oubliée pour devenir le champp clos de la lutte ppour la pprésident­ielle 2017 ! Au sommet de l’État, François Hollande se demande comment régenterg un Premier ministre réformateu­r jusqu’au-boutiste. À la base du PS, les frondeurs cherchent avant tout à dézinguer Manuel Valls pour une éventuelle primaire, et sont même pprêts à faire donner contre leur camp la “réserve” lycéenne. À la gauche de la gauche, c’est encore plus simple, tous sonnent le tocsin.

Le contre-exemple d’une réforme sans mode d’emploi

Au sein des syndicats, la coupure entre une CFDT qui soupèse le texte et les abolitionn­istes semble irrémédiab­le. Dans l’opposition, le FN est contre et la droite en porte-à-faux. Quant à l’opinion publique, déboussolé­e, elle vote par sondages pour le maintien des acquis et affiche son hostilité au projet gouverneme­ntal. L’incompréhe­nsion est totale. La “séquence El Khomri” est la chronique annoncée d’une reculade à petits ou… grands pas. Parce que le gouverneme­nt Valls a tout faux sur l’échelle de Richter de la réforme. Il pourrait presque publier un manifeste ‘Comment couler votre propre pprojet?’.j À l’adresse de tous les dirigeants qui croient le changement possible, il existe pourtant une sorte de guide du routard des bonnes pratiques. Celui qui le suit a des chances d’éviter la défaite en rase campagne. Curieuseme­nt, les écrivains de la droite (Sarkozy, Copé, Juppé, Fillon, Le Maire) ignorent dans leurs livres ce genre d’itinéraire. Ils préfèrent promettre des programmes tout ficelés et tout chiffrés. Comme si la rationalit­é a priori des modèles économique­s pouvait servir de passe universel! Seule une stratégie globale est capablep de désamorcer les tabous liés au dossier sous revue. À cet égard le projet El Khomri est le contre-exemple magnifique qui restera dans les annales. L’avenir dira si les “réformateu­rs en paroles” de l’opposition sauront en tirer des enseigneme­nts opérationn­els pour leurs propres travaux. Prétendre bouger les lignes sans mode d’emploi conduit tout droit à une impasse. C’est bien ce qui explique le crash actuel. Roger-Gérard Schwartzen­berg, député radical du Val-de-Marne, salle des Quatre Colonnes à l’Assemblée nationale, soutien actif de la majorité, se rebelle: “pour réformer il y a deux conditions. Une première, de forme, exige de procéder à des concertati­ons suffisante­s en amont de la présentati­on du projet en Conseil des ministres. La seconde, encore plus importante, c’est qu’une réforme doit être un progrès; or celle du Code du travail, dans son état actuel, est une régression sociale. C’est la vieille pensée du CNPF des années 80. Je ne pense pas que Pierre Gattaz, le président du Medef, soit un colosse de la pensée économique ! On retrouve les mêmes idées : toujours plus pour le patronat, toujours moins pour les salariés. Jusqu’à présent, personne ne l’avait fait, ce n’est pas à la gauche de le faire”. Cette charge d’un modéré appuie là où ça fait mal. Le simulacre de dialogue social est aveuglant. Matignon s’est persuadé que la vague de rapports commandés, et débattus, sur le marché du travail (notamment ceux de Badinter et Combrexell­e) valait feu vert. L’avant-projet de loi a donc été expédiép sans autre forme de pprocès au Conseil d’État. C’est de là qu’il a fuité – ce qui a entraîné, la surprise passée, une bronca sans précédent au coeur de la majorité, symbolisée par le “trop, c’est trop” de Martine Aubry.

La fatigue du pouvoir

À l’Élysée, ni le secrétaire général du gouverneme­nt – chargé de viser la validité juridique des textes – ni le secrétaire général – chargé de viser la validité politique des textes – n’ont su jouer leur rôle de filtre et de lanceur d’alerte auprès du chef

l’État. C’est toute la machineély­p séenne qui dysfonctio­nne. D’autant que le primat donné à la négociatio­n au niveau de l’entreprise – l’axe central qui parcourt tout le projet – est une rupture de taille. Cette inversion des normes signifie que l’entreprise pourra déroger par le bas aux protection­s sociales fixées par l’accord de branche – alors que dans l’ancien monde, c’est interdit. Une telle dynamite ne se manie pas à la légère. Encore moins à quatorze mois de la prochaine présidenti­elle. Bien entendu, les exégèses de cette contre-performanc­e sont multiples. La fatigue du pouvoir en est une. François Hollande, roi de “l’entredeux” – de la synthèse,y disent ses amis – en est une autre. À chaque décision il ajoute un supplément d’hésitation. “Quand le président de la République aura fait son choix sur la ligne qu’il entend suivre, il y aura moins de couacs ; pour l’instant il y en a un certain nombre”, assène le député Roger-Gérard Schwartzen­berg.

La palme du réformateu­r

Cette hésitation ontologiqu­e pousse le Premier ministre à faire preuve d’autorité alors qque le décideur en dernier ressort est à l’Élysée. Manuel Valls, qui veut s’emparer de la palme du réformateu­r, ajoute en fait à la confusion. Les syndicats y puisent leur carburant pour jouer l’immobilism­e face à un exécutif en compétitio­n interne. Ajoutez le piment d’une pseudo-agora numérique qui pétitionne à coups de clics. Ce qqui fait monter d’un cran l’anxiété à l’Élysée, et avec elle l’envie d’aménager a minima le projet. À croire que le syndrome “Le Maire” a gagné le sommet du pouvoir. Au ‘Point’, il a avoué : “j’ai cru pendant très longtemps que parce qu’on comprenait un problème, on pouvait y apporter des solutions, et que l’intelligen­ce suffisait. Eh bien je considère aujourd’hui que c’est le coeur qui permet d’abord de comprendre les problèmes et d’y apporter des solutions”.

L’évangile du réformateu­r

En réalité, la première intelligen­ce est de savoir où l’on habite. L’évangile du réformateu­r gagnantgag­nant prend appui sur deux données de base. La première est d’afficher en toute transparen­ce la casquette que l’on porte. Si l’on est social-démocrate tendance économie libérale, il faut le revendique­r devant le suffrage universel. La seconde exigence est de remporter une élection sur un mandat clair pour avoir la légitimité d’agir. Chacun a compris maintenant que François Hollande a failli sur ces deux pplans lors de sa campagne de 2012. À sa décharge, il faut rappeler qu’au début du quinquenna­t, le matraquage fiscal était 100 % de gauche. Seul l’échec avéré a obligé François Hollande à devenir “pro-business”. Les détracteur­s de la gauche “morale” sur l’air “des promesses non tenues” devraient se le rappeler.

Le guide du routard

Le guide du routard réformateu­r insiste par ailleurs sur la nécessité d’un diagnostic partagé. Il s’agit d’identifier un choix de société et dix priorités hiérarchis­ées. C’est le travail qu’a entrepris France Stratégie à l’intention de tous les candidats à la présidenti­elle : ils feraient bien de s’en inspirer.p Ceux-ci sont certes pplus prolixes sur les outils à utiliser. À droite, tous s’en remettent au mythe des cent jours et à son cortège de lois rédigées d’avance, d’ordonnance­s, de référendum­s. Un calendrier serré a du bon, à condition d’éviter le surdosage. Ce qui est d’intérêt général est toujours de détecter les gagnants et les perdants d’une réforme. Il faut savoir compenser. Le pouvoir socialiste a ainsi omis de mettre en exergue dans le projet El Khomri les avancées comme le CPA (Compte personnel d’activité) qui jette les bases d’une sécurité sociale profession­nelle. Par exemple, les droits à la formation sont attachés à l’individu et non plus à l’entreprise. En revanche, tous ces mécanismes novateurs représente­nt un coût pour l’employeur (idem pour le compte pénibilité). Tous ces enjeux n’ont échappé ni aux syndicats, ni aux frondeurs parlementa­ires. Du coup, la négociatio­n qui s’est engagée entre Matignon et les partenaire­s sociaux sur le “El Khomri” risque fort de renouer avec les ornières habituelle­s. En bout de course, rien n’assure que le curseur des charges ne soit pas aggravé pour les comptes de l’entreprise, ni que le partage du risque entre employeur et salarié – notamment pour les indemnités de licencieme­nt – soit rééquilibr­é en faveur de l’embauche. Tout ça pour ça ? Pour le prince communiqua­nt qu’est Manuel Valls, la leçon pourrait être rude. Une bonne communicat­ion vise toujours à élargir le cercle des partisans. Or le cercle en question rétrécit de jour en jour. Alors que tout se joue à quitte ou double.

“Pour réformer il y a deux conditions. Une première, de forme, exige de procéder à des concertati­ons suffisante­s en amont de la présentati­on du projet en Conseil des ministres. La seconde, encore plus importante, c’est qu’une réforme doit être un progrès ”

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