Le Nouvel Économiste

Le prénom du ‘fils de’

Après le Conseil constituti­onnel, Jean-Louis Debré ne replongera pas dans le marigot politique

- MICHÈLE COTTA

Son bureau est un des pplus beaux de Paris. À l’intérieur, une vaste table encombrée de papiers, des fauteuils guéridons, des boiseries dorées tout juste réhabilité­es à l’intention du futur occupant des lieux.Le balcon ouvre sur les jardins du Palais Royal. Une vaste terrasse, sur laquelle souvent ses prédécesse­urs déjeunaien­t aux beaux jours, relie le superbe bâtiment du Conseil constituti­onnel au ministère de la Culture. Cet endroit de rêve, Jean-Louis Debré vient de le quitter au terme du mandat de 9 ans que lui avait confié Jacques Chirac en 2007. Dans l’intervalle, il y aura fait la preuve que point n’est besoin d’être un constituti­onnaliste patenté pour repeindre à neuf une vénérable institutio­n. Bien bel itinéraire que celui de Jean-Louis Debré : celui qui a été longtemps le “fils de” a gagné, en trente ans de carrière, un prénom. Il n’était pas, à en croire l’un de ses prédécesse­urs mal intentionn­é, le plus doué de cette fratrie de quatre fils, dont le père, Michel Debré, Premier ministre du général de Gaulle, a écrit de ses mains, ou presque, la constituti­on de la Ve République. Et pourtant, au moment où il tire sa révérence, quel chemin parcouru! On peut dire de Jean-Louis Debré, ancien juge d’instructio­n, devenu conseiller municipal,p conseiller ggénéral, ppuis députép de l’Eure, et maire d’Évreux, ministre de l’Intérieur enfin, qu’il aura occupé toutes les fonctions représenta­tives de la République. De tous les mandats qu’il a exercés, c’est à la présidence de l’Assemblée nationale, de 2007 à 2012, qu’il a acquis une autre dimension. Des parlementa­ires aux huissiers, des journalist­es aux questeurs, chacun a pu mesurer, pendant cinq ans, son affabilité – pour ne pas dire sa jovialité –, sa largesse d’esprit et son ouverture, aux députés de l’opposition par exemple, qui n’ont jamais été aussi bien traités que par lui. En même temps que sa fidélité : fidélité aux principes républicai­ns inculqués par son père dès le plus jeune âge, et surtout fidélité à Jacques Chirac, depuis les années 90, pendant lesquelles il n’a jamais un seul instant douté de lui, jusqu’à aujourd’hui, où l’ancien président de la République, affaibli, n’a plus grand monde autour de lui.

Conseil constituti­onnel, le pendant et l’après

Le conseil constituti­onnel a marqué, dans sa vie ppolitique,q un autre tournant. À dire le vrai, si Jean-Louis Debré a accepté la présidence du prestigieu­x Conseil, c’est surtout qqu’il savait qqu’avec Nicolas Sarkozyy à l’Élysée, il serait vite contraint à une traversée du désert politique. Les deux hommes ne s’aiment pas, depuis qu’en 1994, l’un avait choisi Balladur tandis que l’autre restait auprès de Jacques Chirac. L’essentiel est que, dans cette assemblée de neuf personnes choisies pour assurer la constituti­onnalité des lois, il a trouvé ses marques. Annulant tour à tour, avec la même autorité tranquille, la taxe des 75 % proposée par François Hollande avant son élection, et les comptes de campagne de Nicolas Sarkozy, il a reçu, avec une égale équanimité, un appel téléphoniq­ue vengeur de l’ancien président de la République, et un simple accusé de réception des services de l’actuel Président. Celui-ci, un peu plus tard, ne lui a néanmoins pas caché que cette décision ne lui avait guère facilité la vie. En cinq ans, assure Jean-Louis Debré, le Conseil a rendu plus de décisions que depuis sa création, il y a près de cinquante ans. Il faut dire que l’instaurati­on de la procédure de “question prioritair­e de constituti­onnalité” – acceptée, puis défendue par Nicolas Sarkozy – a ajouté une dimension supplément­aire au Conseil, qui peut désormais être saisi par toute personne contestant une décision ou un vote parlementa­ire portant atteinte à la constituti­on. Une prérogativ­e essentiell­e aux yeux de Jean-Louis Debré, qui a rendu 536 décisions de QQPC depuisp 2008. À peine sorti de la rue de Montpensie­r, Jean-Louis Debré n’a pas envie, il l’a dit, de rentrer en politique. Tout l’en dissuade aujourd’hui: les divisions qui s’étalent, la politique devenue spectacle, le jeu des partis, pourtant bien faibles aujourd’hui, et puis ces clivages entre gauche et droite à un moment où tout – dangers du terrorisme, difficulté­s économique­s, chômage – devrait amener à l’union nationale. Jean-Louis Debré ne replongera donc pas dans le marigot politique. Il ne rentrera pas non plus, comme tant d’autres l’ont fait avant lui, dans un cabinet d’avocats d’affaires. À la direction des archives, où il vient d’être nommé, il préférera se consacrer à l’Histoire et à l’écriture. Son livre, ‘Ce que je ne pouvais pas dire’, – c’est-à-dire tout ce que son droit de réserve lui a interdit de révéler pendant ces neuf dernières années – sera en librairie avant l’été.

Jean-Louis Debré n’a pas envie, il l’a dit, de rentrer en politique. Tout l’en dissuade

aujourd’hui : les divisions qui s’étalent, la politique devenue spectacle, le jeu des partis,

pourtant bien faibles aujourd’hui, et puis ces clivages

entre gauche et droite à un moment où tout – dangers

du terrorisme, difficulté­s économique­s, chômage – devrait amener à l’union nationale.

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