Le Sultan et la Chancelière
La vérité est que dans la crise des réfugiés, la Turquie n’a jamais été aussi forte dans son bras de fer avec l’Europe, notamment avec une Allemagne démunie et fragilisée
Derrière les postures et les déclarations de bonnes intentions, la crise migratoire à laquelle fait face l’Europe marque un tournant dans la construction européenne. En ouvrant unilatéralement les frontières de l’Europe à tous les vrais et faux réfugiés qui souhaitaient s’y établir, la chancelière Angela Merkel a détruit ce qui marchait finalement le mieux au sein de l’Union européenne, car concret pour ses citoyens, à savoir la liberté de circuler sans restriction partout (ou presque) à l’échelle de notre continent. Quelques mois auront suffi aux Allemands, au départ béats et naïvement généreux, pour comprendre que la réalité au quotidien se conjugue souvent très mal avec les bons sentiments. D’un accueil voulu raisonné, Berlin a dû faire face à une déferlante migratoire sans précédent. Avec tous les excès qui y sont associés, le point d’orgue ayant été ces centaines d’agressions à caractère sexuel de femmes allemandes par des migrants lors des fêtes de fin d’année. Aujourd’hui, critiquée par son propre camp, la Chancelière cherche à endiguer la vague submersive qu’elle a initiée. Elle a bien tenté de faire partager le fardeau de son inconséquence par ses voisins, sans succès. L’Europe centrale et celle du Nord refusent les quotas qu’elle propose et ferment peu à peu les frontières intérieures de l’Union pour bloquer le plus loin possible, c’est-à-dire en Grèce, les flux de candidats à l’Europe. Amitié francoallemande oblige, la France a tenu un discours équilibré mais, sur le fond – et elle a eu raison – a fait preuve d’autant de fermeté que ses partenaires orientaux.
Enchères ouvertes
Désormais, l’Allemagne imagine le salut de l’Europe dans un partenariat renforcé avec la Turquie par laquelle transitent la plupart des migrants, notamment ceux venant de Syrie et d’Irak, mais pas seulement. Le 29 novembre dernier, Berlin avait promis à Ankara un chèque (européen…) de quelque 3 milliards d’euros en échange de la fixation sur son territoire des migrants désireux de rejoindre l’Europe. Elle avait aussi promis unilatéralement que l’Europe pourrait accélérer les discussions relatives à l’adhésion de la Turquie à l’Union et – concession majeure – que les citoyens turcs pourraient entrer sans visa en Europe à compter d’octobre 2016. Un peu plus de trois mois après cet engagement réciproque, rien ou presque n’a été fait pour stopper les flux des réfugiés dont le nombre semble ne jamais se tarir. Pourtant, la Turquie aurait pu assez aisément stopper, à tout le moins tarir peu à peu, le flux des migrants. Sa police est bien faite, son armée contrôle d’une main de fer les frontières et les régions irrédentes, notamment dans le sud-est du pays. Et force est de constater que le respect des droits de l’homme n’a jamais été aussi peu un souci, le bâillonnement en cours de la presse d’opposition en étant la plus belle démonstration du moment. La vérité est que la Turquie n’a jamais été aussi forte dans son bras de fer avec l’Europe, notamment avec l’Allemagne. Elle le sait et en joue. Adepte de la realpolitik, Recep Erdogan sait faire monter les enchères et vendra au prix fort son soutien à l’endiguement des flux massifs de réfugiés transitant par le territoire turc. La proposition faite par Erdogan lundi 7 mars du sommet UE-Turquie de maintenir sur son territoire les candidats à l’exil européen moyennant une contribution financière supplémentaire de 3 milliards d’euros (qui s’ajouteraient aux 3 milliards promis fin novembre) en est un bel exemple. Le sultan a toutes les cartes en main face à une chancelière qui n’a jamais été aussi démunie et fragilisée.
La Turquie aurait pu assez aisément stopper, à tout le moins tarir peu à peu, le flux des migrants. Sa police
est bien faite, son armée contrôle d’une main de fer les frontières et les régions irrédentes, notamment dans le sud-est du pays. Et force est de constater que le respect des droits de l’homme n’a jamais été aussi peu un souci