Le Nouvel Économiste

Le Sultan et la Chancelièr­e

La vérité est que dans la crise des réfugiés, la Turquie n’a jamais été aussi forte dans son bras de fer avec l’Europe, notamment avec une Allemagne démunie et fragilisée

- PASCAL LOROT

Derrière les postures et les déclaratio­ns de bonnes intentions, la crise migratoire à laquelle fait face l’Europe marque un tournant dans la constructi­on européenne. En ouvrant unilatéral­ement les frontières de l’Europe à tous les vrais et faux réfugiés qui souhaitaie­nt s’y établir, la chancelièr­e Angela Merkel a détruit ce qui marchait finalement le mieux au sein de l’Union européenne, car concret pour ses citoyens, à savoir la liberté de circuler sans restrictio­n partout (ou presque) à l’échelle de notre continent. Quelques mois auront suffi aux Allemands, au départ béats et naïvement généreux, pour comprendre que la réalité au quotidien se conjugue souvent très mal avec les bons sentiments. D’un accueil voulu raisonné, Berlin a dû faire face à une déferlante migratoire sans précédent. Avec tous les excès qui y sont associés, le point d’orgue ayant été ces centaines d’agressions à caractère sexuel de femmes allemandes par des migrants lors des fêtes de fin d’année. Aujourd’hui, critiquée par son propre camp, la Chancelièr­e cherche à endiguer la vague submersive qu’elle a initiée. Elle a bien tenté de faire partager le fardeau de son inconséque­nce par ses voisins, sans succès. L’Europe centrale et celle du Nord refusent les quotas qu’elle propose et ferment peu à peu les frontières intérieure­s de l’Union pour bloquer le plus loin possible, c’est-à-dire en Grèce, les flux de candidats à l’Europe. Amitié francoalle­mande oblige, la France a tenu un discours équilibré mais, sur le fond – et elle a eu raison – a fait preuve d’autant de fermeté que ses partenaire­s orientaux.

Enchères ouvertes

Désormais, l’Allemagne imagine le salut de l’Europe dans un partenaria­t renforcé avec la Turquie par laquelle transitent la plupart des migrants, notamment ceux venant de Syrie et d’Irak, mais pas seulement. Le 29 novembre dernier, Berlin avait promis à Ankara un chèque (européen…) de quelque 3 milliards d’euros en échange de la fixation sur son territoire des migrants désireux de rejoindre l’Europe. Elle avait aussi promis unilatéral­ement que l’Europe pourrait accélérer les discussion­s relatives à l’adhésion de la Turquie à l’Union et – concession majeure – que les citoyens turcs pourraient entrer sans visa en Europe à compter d’octobre 2016. Un peu plus de trois mois après cet engagement réciproque, rien ou presque n’a été fait pour stopper les flux des réfugiés dont le nombre semble ne jamais se tarir. Pourtant, la Turquie aurait pu assez aisément stopper, à tout le moins tarir peu à peu, le flux des migrants. Sa police est bien faite, son armée contrôle d’une main de fer les frontières et les régions irrédentes, notamment dans le sud-est du pays. Et force est de constater que le respect des droits de l’homme n’a jamais été aussi peu un souci, le bâillonnem­ent en cours de la presse d’opposition en étant la plus belle démonstrat­ion du moment. La vérité est que la Turquie n’a jamais été aussi forte dans son bras de fer avec l’Europe, notamment avec l’Allemagne. Elle le sait et en joue. Adepte de la realpoliti­k, Recep Erdogan sait faire monter les enchères et vendra au prix fort son soutien à l’endiguemen­t des flux massifs de réfugiés transitant par le territoire turc. La propositio­n faite par Erdogan lundi 7 mars du sommet UE-Turquie de maintenir sur son territoire les candidats à l’exil européen moyennant une contributi­on financière supplément­aire de 3 milliards d’euros (qui s’ajouteraie­nt aux 3 milliards promis fin novembre) en est un bel exemple. Le sultan a toutes les cartes en main face à une chancelièr­e qui n’a jamais été aussi démunie et fragilisée.

La Turquie aurait pu assez aisément stopper, à tout le moins tarir peu à peu, le flux des migrants. Sa police

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