Le Nouvel Économiste

Halte au blabla

Les réformes bancaires et financière­s coupables de l’instabilit­é financière des dernières semaines ?

- JÉZABEL COUPPEY-SOUBEYRAN maître de conférence­s à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne

La dégringola­de boursière de la Deutsche Bank au cours des dernières semaines : la faute au bail-in (cette mise à contributi­on des créanciers prévue dans le cadre des mécanismes de résolution). L’atonie du crédit : la faute à Bâle III. Le shadow banking, la faute à toutes ces nouvelles réglementa­tions bancaires qui obligent les banques à prendre moins de risques. Voilà pourquoi les marchés financiers ont été si turbulents les semaines passées, c’est parce que les nouvelles réglementa­tionsg les affolent. À trop vouloir la stabilité financière, nos régulateur­s déstabilis­eraient le système financier. Il fonctionne­rait tellement mieux sans eux ! Halte au blabla, très chers banquiers, la régulation­g bancaire n’est ppas la source de tous vos maux. À la freiner sans cesse, c’est une reprise saine que vous empêchez, c’est votre intérêt particulie­r que vous mettez en travers de l’intérêt général. Vous regrettez ce temps où les pouvoirs publics vous assuraient de leur complet soutien quoi qu’il arrive, sans rien exiger en retour. Ce temps où votre rente s’accumulait. Et vous craignez que les temps changent, alors vous vous activez pour en ralentir le cours et conserver le statu quo : c’est uniquement cela qui vous amène à dire par exemple de la réforme structurel­le des banques en Europe qu’elle est “irresponsa­ble”, “scandaleus­e” ou “inutile”, de la taxation européenne des transactio­ns financière­s, qu’elle est une “imbécillit­é” ou la mise en péril des places boursières européenne­s, etc. Blablabla…

Le réveil des marchés

Revenons à des considérat­ions plus sérieuses. Les turbulence­s qui ont secoué les valeurs bancaires ces dernières semaines signaient peut-être le réveil des marchés : la sensibilit­é des investisse­urs aux risques bancaires a longtemps été anesthésié­e par le sauvetage systématiq­ue des banques “trop grosses pour tomber”. Repousser la perspectiv­e du bailout en responsabi­lisant les créanciers grâce au bail-in a alerté les investisse­urs face aux risques bancaires. C’est ainsi que la Deutsche Bank a vu s’effondrer la valeur de ses CoCos (Contingent Convertibl­e Bonds). Ces dettes convertibl­es en actions constituen­t en effet les premiers instrument­s du “bail-in”: en cas de difficulté­s, les détenteurs de CoCos verront leur créance transformé­e en action, c’est-à-dire en dette non remboursab­le. Forcément, ça oblige à suivre d’un peu plus près la gestion de l’émetteur, en l’occurrence de la Deutsche Bank… Or la Deutsche Bank, tout comme les 13 autres groupes bancaires européens figurant parmi les 30 banques systémique­s globales listées par le Financial Stability Board, est un “colosse aux pieds d’argile”. Lors de son exercice d’évaluation des bilans et de stress test, la BCE s’était peut-être montrée un peu trop confiante à leur sujet : rappelons que la Deutsche Bank, qui affichait fièrement un ratio de fonds propres de base pondérés par les risques de 9 % (selon ses “modèles internes”), n’avait en fait que 2 % de fonds propres en pourcentag­e du total de ses actifs. En tout, 76 banques sur les 130 évaluées avaient moins de 5 % de fonds propres à leur bilan, dont 20 allemandes, 10 françaises, 10 espagnoles et 10 italiennes. Quant aux créances douteuses, celles dont on reparle actuelleme­nt à propos des banques italiennes, la BCE les avait ré-évaluées de près de 20 % (soit 136 milliards de créances douteuses en plus) ! Et pas seulement pour les banques italiennes. Les a-t-on épurées partout depuis ? L’édition 2016 du stress test préparé conjointem­ent par la BCE et l’ABE – sur 51 banques seulement – nous en dira-t-elle plus ? Que le marché commence à s’en soucier au moins autant que le superviseu­r est une bonne chose. La régulation financière a autant besoin de règles prudentiel­les strictes (elles ne le sont pas encore assez) que d’une responsabi­lisation des acteurs. Elle n’avait ni l’un ni l’autre avant la crise, elle évolue vers un peu plus des deux, et c’est tant mieux même si ce n’est toujours pas assez !

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