Le Nouvel Économiste

Le choc et l’incertitud­e dans la société allemande “n’est pas spécifique à ceux qui ont, disons, une éducation limitée. Ce sentiment croît également parmi les diplômés de l’enseigneme­nt supérieur… Ils sont très critiques et anxieux”.

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“nous pouvons le faire”, “il aurait fallu une virgule et un ‘mais’... au moins pour offrir une option de repli qui lui aurait permis de manoeuvrer un peu plus élégamment… Cela m’a vraiment surpris, parce que cela ne lui ressemblai­t pas”. Décrivant la situation actuelle de la chancelièr­e, il poursuit “elle voyage frénétique­ment en Turquie – un rôle qui devrait être tenu par l’Union européenne – mais ils l’observent tous… Ils se disent qu’elle a causé tout cela, et que c’est donc à elle de le faire”. “Je ne vois pas d’améliorati­on sensible de la situation” poursuit-il. “Ce qui est malheureux avec la politique européenne actuelle, c’est qu’elle est juste une gestion de crise en crise – jusqu’à ce que la prochaine catastroph­e se produise. Elle essaye tout pour retrouver une marge de manoeuvre. Cela dit, nous devons nous occuper de plus d’un million de réfugiés déjà dans le pays, et de 65 000 autres dans le premier mois de cette année… je ne vois pas l’Allemagne et l’Europe retrouver une stabilité dans les prochains mois. On n’a pas encore eu – par pure chance – d’attaque terroriste du style Charlie Hebdo en Allemagne.” Nous parlons depuis 50 minutes, mais il n’a toujours pas fini sa soupe. Le serveur tourne et Karl-Theodor zu Guttenberg le remarque. “Voilà ma dernière cuillerée. C’était bon.” Le deuxième plat arrive. Encore une fois, je pioche avidement dans mes coquilles, tandis que mon invité joue avec sa salade d’épinards et ne cesse de parler. L’anglais de Karl-Theodor Zu Guttenberg est complèteme­nt fluide et je lui demande où il l’a appris. Il mentionne un an passé dans un lycée américain et ajoute qu’il a également passé six mois comme étudiant à Edimbourg:“Curieuseme­nt, je faisais des recherches pour mon doctorat” dit- il en rougissant légèrement. Je passe à l’ambiance générale en Allemagne. Dans la dernière décennie, la fantastiqu­e réussite du pays m’a frappé : prospère, stable, en paix avec lui-même. Est-il inquiet que cette réussite soit compromise par la crise des réfugiés ? Il marque un long arrêt et regarde par la fenêtre, avant de répondre :“oui, cela m’inquiète profondéme­nt. Cela peut sembler absurde, mais le succès était si fort, beaucoup de choses fonctionna­ient si bien … que nous n’étions pas préparés à affronter des difficulté­s plus sévères que celles que nous avions eues ces dernières décennies. Il y a un choc, ce qui est toujours un terrain fertile au nationalis­me, au radicalism­e”. Le choc et l’incertitud­e dans la société allemande, explique-il “n’est pas spécifique à ceux qui ont, disons, une éducation limitée. Ce sentiment croît également parmi les diplômés de l’enseigneme­nt supérieur… Ils sont très critiques et anxieux”. Je lui demande si compte tenu de toutes ces incertitud­es, il reçoit “des appels vous demandant de retourner en Allemagne parce que les choses sont…”. Il m’interrompt, avant de compléter la phrase : “Oui, plus nombreux ces deux derniers mois.” Quel genre de personnes ? “Elles sont différente­s. Parfois juste des gens dans la rue qui me reconnaiss­ent, avec la barbe et tout. Le parti aussi.” Alors, que dites-vous? “J’ai des responsabi­lités ici. La société.” Il ajoute que son entreprise, qui investit dans des sociétés de technologi­e, se porte “extrêmemen­t bien. Étonnammen­t bien”. Ce manque d’ambition politique est presque convaincan­t. Mais lorsque je suggère que ses activités new-yorkaises, qui comprennen­t le secteur de la technologi­e américaine et la haute finance, pourraient inciter à une certaine méfiance les électeurs allemands, qui n’ont pas la réputation d’avoir un penchant pour Wall Street ou la Silicon Valley, sa réponse est remarquabl­ement rapide. “Non, je ne fais rien de suspect. Je pense que ce sont des choses que je peux facilement expliquer. J’investis dans des entreprise­s. J’aide les entreprise­s à croître… Si j’étais dans une banque d’investisse­ment ou chez Goldman, je pense que les Allemands me détesterai­ent et ils auraient de bonnes raisons.” Le capital-risque, souligne-il, est complèteme­nt différent.“Nous n’avons pas le modèle d’affaires de Wall Street. Même si nous sommes juste à un pâté d’immeubles.” Je mentionne que j’ai écrit dans le FT, en décembre, que la crise des réfugiés obligerait Angela Merkel à quitter ses fonctions en 2016. Il a un grand sourire et demande : “Et lui avezvous offert le poste de secrétaire général de l’ONU en même temps ?” Il fait référence à la rumeur qui fait le tour de New York et de Berlin selon laquelle la chancelièr­e pourrait être candidate en septembre. Ses ennemis au sein de sa coalition CDU-CSU y voient une façon honorable de la virer pour la remplacer par le ministre des Finances Wolfgang Schäuble. Mais Wolfgang Schäuble a 73 ans et n’est pas en parfaite santé. Ce serait probableme­nt une situation provisoire, qui pourrait bien ouvrir la porte à un homme plus jeune, quelqu’un qui pourrait revenir à la politique allemande pour les élections fédérales de 2017… Mais il y aura beaucoup de rebondisse­ments auparavant. Les élections régionales de la mi-mars seront un test de la vitalité politique d’Angela Merkel. Et presque tous les experts sont d’accord pour dire que l’Allemagne doit simplement trouver un moyen de réduire le flux de réfugiés en 2016. Dans le cas contraire, tous les paris politiques sont morts. En buvant nos cafés, nous discutons du phénomène Donald Trump. Pour Karl-Theodor zu Guttenberg, il est une preuve supplément­aire que la politique est “de plus en plus sale. Les nouveaux médias n’aident pas dans ce cas… Je lutte toujours contre moi-même, et me demande si j’en suis capable”. Je suis un peu surpris par cette apparente humilité et remarque que je ne me souviens pas de beaucoup de politiques refusant le plus haut poste au motif qu’ils ne sont pas à la hauteur. La présidence des États-Unis pourrait être une tâche impossible, mais quelqu’un doit s’y coller. Karl-Theodor zu Guttenberg réfléchit et répond : “Bien sûr, et il n’existe aucun profil parfait pour un poste politique. Je crois savoir qu’il faut travailler constammen­t avec ses propres manques, c’est déjà un point de départ très utile.” Si c’est une candidatur­e, elle est rédigée en des termes étonnammen­t modestes. Crosby Street Hotel 79 Crosby Street, New York Tartare de thon $20 Soupe de courge Butternut $14 Coquilles Saint-Jacques poêlées $32 Salade d’épinards $26 Double expresso $7 Café $5 Sous-total $104

Taxes et service $128.23

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