Au commencement était le bobo
Je le sais, j’en suis un. Je dois être la seule personne que je connais à ne pas rejeter le terme. Il y a plusieurs années, le magazine Stratégies m’interviewait sur “l’insulte bobo” et, tout en approuvant leur condamnation des contradictions inhérentes à la “boboïtude”, j’avais à l’époque fait un bon mot dont je ne me doutais pas qu’il serait à ce point prémonitoire – et que je dois être le seul à avoir trouvé “bon” : “Je préférerais toujours un bourgeois bohème à un bourgeois FN”. Ben oui, pour moi, il n’y a pas photo. Le “bourgeois bohème” ou “bobo” est un terme proposé par le journaliste new-yorkais David Brooks au printemps 2000 dans son essai Bobos in Paradise – The New Upper Class and How They Got There.Après plusieurs années passées à l’étranger, Brooks découvre, de retour à NewYork, des “riches” d’une nouvelle espèce : installés dans un Brooklyn encore considéré comme une “no-go zone” par la plupart des New-Yorkais, plutôt que dans les beaux quartiers de Manhattan, ils ont l’air d’étudiants patibulaires et mal lavés, portent barbe broussailleuse, cheveux longs et bonnets de laine même en été, sirotent des cafés équitables et torréfiés sur place ou des smoothies de légumes verts cultivés sur le toit potager de vieux entrepôts industriels transformés en “espace de créativité collective” le jour et dancefloor la nuit. Ils se passionnent pour le design vintage et la récup plutôt que pour les intérieurs Armani Casa, se déplacent à vélo et ont “vaguement” une voiture qu’ils partagent le week-end avec des amis. Et pourtant ils sont millionnaires et gèrent leur business comme des pros : des start-up de jeux vidéo ou des sites d’e-commerce, des nouvelles marques de bougies artisanales ou de bières locales. La journaliste Melinda Wittstock, envoyée par l’Observer anglais pour enquêter sur cette étrange nouvelle espèce, les présente ainsi : Ils sont la nouvelle élite éclairée de l’ère de l’information et leurs vies affairées et lucratives paraissent faire la synthèse entre le confort et la conscience, le succès professionnel et la rébellion créative. Ils ont la trentaine, un niveau d’éducation élevé et ont façonné une nouvelle éthique sociale à partir d’une fusion défiant toute logique entre la contre-culture des sixties et le matérialisme entrepreneurial des années 80. Bienvenue dans le monde du bourgeois-bourrin 152 pages – 14€ Parution : 14 mars 2016 Lemieux éditeur Voilà un essai d’avant-garde. Vous détestez les bobos ? Vous allez haïr les boubours – à moins que vous n’en soyez un… Une nouvelle forme humaine émerge et prolifère depuis le début des années 2010: le bourgeois-bourrin, ou boubour. Né du rejet du bourgeois-bohème (bobo), cette élite molle à la mentalité bien-pensante qui a envahi la sphère publique et médiatique, le boubour oppose désormais sa vision du monde : masculinisme surgonflé, symboles ostentatoires de la puissance, discours antiintello et faussement transgressif. Bienvenue dans l’univers du boubour! C’est ainsi qu’après la pensée unique (qui est toujours celle des autres), le bon sens est revenu en flèche dans les débats publics, tout comme les notions de suivre un sens commun et d’observer plus de virilité dans la décision politique. Le boubour est le dignitaire satisfait de ce clinquant décomplexé, une sorte de missionnaire tous azimuts du confort intellectuel et de l’habitude. Le boubour, comme hier le poujadiste, incarne une dérive naturelle de la démocratie vers la démagogie. Il était grand temps de se pencher sur ce bipède qui prend de l’influence, et de le décaper en s’amusant. Un livre drôle et féroce sur la révolution réactionnaire à l’oeuvre. Nicolas Chemla (1974), diplômé d’HEC et titulaire d’un master d’anthropologie sociale, est consultant et spécialiste du luxe. Il est l’auteur d’un premier essai,