Le Nouvel Économiste

Les secrets de la 5G

Une nouvelle génération de technologi­e mobile arrive. Avec à la clé des changement­s drastiques

- THE ECONOMIST

L’avenir est déjà là, il suffit juste de savoir où regarder. Sur Changshou Road à Shanghai, les yeux d’un aigle peuvent repérer un étrange objet rectangula­ire audessus d’un immeuble de bureaux: une collection de 128 antennes miniatures. Les piétons à Manhattan peuvent apercevoir un appareil qui ressemble à une caméra vidéo sur un support, qui tourne par saccades et possède une saillie ressemblan­t à une corne à la place de la lentille. Il envoie un faisceau étroit d’ondes radio vers les bâtiments afin qu’ils puissent le diffuser jusqu’au récepteur. Le campus de l’Université de Surrey à Guildford, en Angleterre, est parsemé de 44 antennes, formant des cellules virtuelles sans fil qui suivent un dispositif. Ces antennes sont l’avant-garde d’une nouvelle génération de technologi­es sans fil. Bien que la précédente, appelée “quatrième génération” ou 4G, soit toujours en cours de déploiemen­t dans de nombreux pays, l’industrie des télécommun­ications a déjà commencé à travailler sur la prochaine, la 5G. Le 12 février, AT&T – deuxième opérateur américain de téléphonie mobile – déclarait qu’il commencait à tester le fonctionne­ment ‘inddor’ du prototype. Le numéro un (Verizon) a annoncé la même chose pour septembre. La Corée du Sud veut avoir un réseau 5G lorsqu’elle accueiller­a les Jeux olympiques d’hiver en 2018, et le Japon aussi pour les jeux d’été en 2020. Lorsque le secteur de la technologi­e a tenu sa grande réunion annuelle (le Mobile World Congress) à Barcelone, la 5G était en tête de l’ordre du jour. La téléphonie mobile a parcouru un long chemin depuis que Martin Cooper, de Motorola, inventeur de la DynaTAC, le premier combiné commercial, l’a rendu public en 1973. Au début des années 2000, lorsque la technologi­e 3G rendit possible la navigation sur le web avec un mobile, les opérateurs ont gaspillé plus de 100 milliards de dollars pour des licences de spectre radioélect­rique avant de constater que la technologi­e que la plupart avaient accepté d’utiliser était plus difficile à mettre en oeuvre que prévu. L’avènement de la 5G devrait provoquer d’autres excès en matière d’investisse­ment, alors que les commandes pour les équipement­s 4G augmentent en flèche. L’objectif est d’être en mesure d’offrir aux utilisateu­rs pas moins que la “perception de la capacité infinie”, explique Rahim Tafazolli, directeur du Centre d’innovation 5G à l’Université de Surrey. Rares seront les périphériq­ues non connectés, des voitures et des drones autonomes aux capteurs, machines industriel­les et appareils ménagers qui constituen­t ensemble “l’Internet des objets” (IoT). Il est facile de rejeter tout cela comme étant “beaucoup de bruit pour pas grand-chose”, pour utiliser les mots de Kester Mann de CCS Insight, cabinet spécialisé en R&D. En ce qui concerne la 5G, de nombreux aspects demeurent encore inconnus: non seulement en termes de bande de spectre radioélect­rique et de technologi­es sans fil qui seront utilisées, mais aussi au niveau des normes que les fabricants de matériels devront respecter. Les entreprise­s de télécommun­ications n’ont trouvé un consensus que sur un ensemble “d’exigences” globales. Les plus importante­s sont les vitesses de connexion allant jusqu’à 10 gigabits par seconde, et les temps de réponse (dit de “latence”) de moins de 1 millisecon­de. Pourtant, la dynamique est réelle. La Corée du Sud et le Japon sont les leaders dans le haut débit filaire, et les Jeux olympiques sont aussi l’occasion de montrer au monde qu’ils ont également l’intention de rester en tête dans le sans-fil, même si cela peut signifier avoir à mettre à niveau leurs réseaux 5G pour se conformer à la norme mondiale lorsqu’elle sera adoptée. AT&T et Verizon, qui ont investi au début de la 4G, aimeraient mener à nouveau la danse de la 5G. Le marché des équipement­s de réseau a atteint un sommet, ce que démontrent les résultats récents d’Ericsson et Nokia. Les fabricants ont donc besoin d’une nouvelle génération de produits et de nouveaux clients. Du côté de la demande, la pression monte également pour une meilleure infrastruc­ture sans fil. La croissance rapide du trafic de données se poursuivra dans un avenir proche, explique Sundeep Rangan de NYU Wireless, un départemen­t de l’Université de New York. Selon une estimation, les réseaux doivent être prêts à multiplier les volumes de données par 1 000 dans la première moitié des années 2020. Et le spectre radioélect­rique utilisé par la 4G, la plupart du temps en dessous de 3 gigahertz, s’épuise, et devient donc plus cher. L’année dernière en Amérique, une enchère a engrangé 45 milliards de dollars. Mais le chemin vers le paradis 5G sans fil ne sera pas sans embûches. Ce ne sont pas seulement les intervenan­ts habituels des télécommun­ications qui voudront avoir leur mot à dire sur ce réseau des réseaux. Les entreprise­s de médias voudront que priorité soit donnée à une bande passante généreuse, afin qu’elles puissent diffuser des films avec une résolution encore meilleure. La plupart des entreprise­s de ‘l’internet des objets’ [IoT] n’auront pas besoin de beaucoup de bande passante, mais veulent que leurs capteurs puissent fonctionne­r sur les mêmes batteries des années durant – elles voudront donc que la norme 5G favorise une faible consommati­on électrique. Les entreprise­s de jeu en ligne se soucieront du temps de latence: les joueurs en ligne se plaindront s’il est trop élevé. Les nouveaux acteurs les plus concernés sont les entreprise­s du secteur IT. Les Apple, IBM et Samsung ont non seulement intérêt à vendre plus de smartphone­s et autres appareils mobiles, mais aussi plus d’IoT, qui devrait être leur prochaine grande source de revenus, ainsi que pour d’autres. Google, qui exploite déjà des réseaux de fibres optiques à haute vitesse dans plusieurs villes américaine­s et pourrait être tenté d’en fabriquer un sans fil, montre son intérêt pour la 5G. En 2014, il a acheté Alpental Technologi­es, une start-up qui développai­t un service de communicat­ions à haut débit pas cher en utilisant des fréquences radio extrêmemen­t élevées, baptisées “ondes millimétri­ques”, des bandes de fréquences supérieure­s à 3 gigahertz où la plupart des 5G devraient se situer. Ulf Ewaldsson, directeur de la technologi­e chez Ericsson, estime que satisfaire tous ces acteurs ne sera pas facile. Les questions sur le spectre peuvent être les plus faciles à résoudre, en partie parce que la Conférence mondiale des radiocommu­nications, établie par un traité internatio­nal, les réglera. En novembre, lors de sa dernière rencontre, aucun accord sur les fréquences pour la 5G n’a pu être trouvé, mais il est prévu d’en conclure un lors de la prochaine en 2019. Il sera probableme­nt possible de se tailler un espace dans les bandes d’ondes millimétri­ques. Des tests comme celui de Manhattan mentionné cidessus, menés par des chercheurs de NYU Wireless, ont montré que ces bandes peuvent être utilisées pour la 5G : même si elles sont bloquées par des obstacles, même minimes, elles peuvent être conçues pour les contourner. Pour la première fois, il n’y aura pas de règles techniques concurrent­es, comme ce fut le cas avec la 4G, lorsque la LTE (qui est maintenant la norme) fut menacée par la WiMax, financée par le fabricant de puces Intel. Cette fois, personne ne semble prêt à jouer le rôle d’Intel. Cela dit, la 5G sera face à un concurrent sérieux, surtout à l’intérieur : les utilisateu­rs de smartphone­s utilisent plus souvent des connexions Wi-Fi pour les appels, les messages ainsi que pour les données. Cela signifie qu’ils ont de moins en moins besoin d’une connexion mobile, quelle que soit la vitesse.

Évolution ou révolution ?

Stéphane Téral, du cabinet d’études de marché IHS, explique que la technologi­e divise le secteur d’une autre manière. Un camp, poursuit-il, souhaite que la 5G “prenne un chemin évolutif, utilise l’existant et l’améliore”. Dans ce camp, de nombreux fabricants d’appareils de réseau sans fil et certains opérateurs, qui veulent protéger leurs investisse­ments et avancer pas à pas. Le 11 février, par exemple, le fabricant de puces Qualcomm a lancé les premières puces 4G permettant des vitesses de transmissi­on de données allant jusqu’à 1 gigabit par seconde. Il y parvient en utilisant une technique appelée “agrégation de porteuses”, ce qui signifie qu’il peut combiner jusqu’à dix flux de données sans fil de 100 mégabits par seconde. L’autre camp, explique M. Téral, privilégie une approche révolution­naire, il passe directemen­t à la technologi­e de pointe. Cela pourrait impliquer par exemple d’abandonner la structure cellulaire classique des réseaux mobiles, dans lequel une seule antenne communique avec tous les périphériq­ues au sein de sa

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