Le Nouvel Économiste

François Hollande a-t-il lu Machiavel ?

Dans “le Prince”, son livre fondateur de la politique moderne, le penseur s’interroge sur la puissance réelle des hommes sur leur destin

- MICHÈLE COTTA

Les Français sont décidemmen­t un peuple très politisé, même s’ils affichent souvent leur désintérêt à l’égard des affaires publiques et de ceux qui les conduisent. En jetant un coup d’oeil sur les sujets de philosophi­e proposés aux candidats du baccalauré­at, toutes sections confondues, la semaine dernière, il est facile de constater qu’ils étaient sinon tous, du moins la plus grande partie d’entre eux, largement politiques. Et pas seulement le premier de la série S, “Travailler moins, est-ce vivre mieux”, carrément inspiré de la phrase de Sarkozy resté le slogan de sa campagne de 2007 : travailler plus pour gagner plus. Autrement dit, peut-on vivre mieux en gagnant moins ? Pas sur. “Pourquoi avons-nous intérêt à étudier l’Histoire ?”, sujet proposé au Bac philo série ES. Une interrogat­ion capitale, en effet, au moment où l’enseigneme­nt de l’Histoire fait problème dans les lycées et les collèges. Et aussi, soit dit en passant, à l’ENA, où l’Histoire n’occupe pas la place qu’elle devrait, dans cette pépinière de futurs leaders. Oui, répondra-t-on à la question, chacun a intérêt à étudier l’Histoire, pour mieux comprendre le présent et pour ne pas répéter les erreurs passées. Il n’est pourtant pas certain, en se référant aux décisions prises par les dirigeants politiques, de tous les pays d’ailleurs, que ce soit toujours le cas, ni que, pour eux, l’Histoire ait toujours le même sens. Autre sujet : “Savons-nous toujours ce que nous désirons ?” Cela, les hommes politiques le savent souvent dès leur plus jeune âge, soit qu’ils y aient pensé en se rasant, comme Nicolas Sarkozy. Soit qu’ils aient voulu être Pape, comme Alain Juppé, dès la maternelle. Emmanuel Macron, le petit dernier, est plus ambigu encore. A la question posée, par l’auteur de la première biographie qui lui est consacrée, il répond par ce qu’en psychanaly­se, on appellerai­t un déni. “Je vous mentirais en vous disant que je voulais devenir Président à 13 ans, même si la politique en tant que comédie humaine m’a intéressé très tôt.” Traduire : il sait très bien ce qu’il désire, depuis qu’il a 13 ans : l’Elysée. C’est surtout la citation de Machiavel proposée aux commentair­es des bacheliers philosophe­s, dont on pourrait se demander si elle n’est pas exactement liée à la période morose et destructri­ce que traverse la France. Et, au premier chef, François Hollande. Dans le livre fondateur de la politique moderne, “Le Prince”, Machiavel s’interroge sur la puissance réelle des hommes sur leur fortune, c’està-dire leur destin : quelle est exactement leur marge de manoeuvre, leur liberté d’action. “Je compare, écrit-il, la fortune à l’un des ces fleuves dévastateu­rs qui quand ils se mettent en colère, inondent les plaines, détruisent les arbres et les édifices..” Quand la fortune est à ce point adverse, y a-t-il une fatalité contre lequel l’homme ne peut rien ? Y a-t-il encore un moyen, pour lui, de changer son cours ?? Oui, d’abord parce que, toujours selon Machiavel, c’est affaire de bonne gouvernanc­e : dans des périodes plus calmes, l’homme peut préparer des abris et bâtir des digues. Oui encore, parce qu’il peut choisir la bonne occasion pour répondre aux coups du destin François Hollande a-t-il lu Machiavel ? En tout cas, il fait comme si. Face au déluge, aux intempérie­s, aux torrents boueux qui s’abattent sur lui avec une rare violence depuis quatre ans, il croit possible de ne pas être emporté, et de construire, d’ici à 2017, digues et abris. Et quelques pièges aussi à destinatio­n de ses adversaire­s. Bref, pour lui, dont on dit qu’il croit à sa chance, les orages passent, les fleuves débordent, les casseurs cassent, mais il est là, et bien là, décidé à vendre cher sa peau.

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