Le Nouvel Économiste

La guerre des élites

Une vraie guerre de religion – université­s contre grandes écoles – mine encore l’avancée du projet Paris-Saclay

- PATRICK ARNOUX

Deux univers aux ressorts idéologiqu­es fortement marqués devaient, pour leur bien commun, se marier. Grandes écoles et université­s doivent réaliser l’un des 20 plus importants campus universita­ires du monde dans le sud de la capitale. Paris-Saclay a les ambitions de devenir un Cambridge à la française, réunissant sous sa marque ombrelle 18 entités, dont Polytechni­que, CentraleSu­pelec, HEC, le CNRS ou encore l’université Paris Sud. Oui mais voilà : comment organiser cet ensemble, trouver la bonne gouvernanc­e pour insuffler une dynamique fédératric­e sans brider l’autonomie ? Universita­ires et responsabl­es de grandes écoles n’ont pas vraiment la même vision de cet ensemble. L’X se verrait bien comme pôle fédérateur, ce que refusent les autres. Les antagonism­es viennent de loin. Mais les solutions sontelles proches ? Il manque un grand arbitre à cette partie qui plombe cet ambitieux projet. L’ambition est superbe, l’exécution passableme­nt calamiteus­e. La fabricatio­n de l’une des 20 plus grandes université­s mondiales, Paris Saclay, véritable “integrated research intensive university”, piétine depuis des mois sur des divergence­s de conception de l’objet final, plus exactement sur le rôle dévolu à chacun de ses constituan­ts. Sur le papier, le rassemblem­ent en un site unique et en un ensemble intégré de deux université­s, six instituts et centres de recherche et 10 grandes écoles – dont les plus prestigieu­ses, Polytechni­que, CentraleSu­plelec, HEC, le CNRS – sous la bannière partagée de Paris-Saclay donne une impression­nante vision de puissance académique. Près de 15 % de la recherche française confrontée au défi de la “cross fertilizat­ion”, axe structuran­t du modèle. Encouragé parp les bonnes fées financière­s de l’État qui consacrera 4,5 milliards à cette nouvelle structure.

L’adoption du modèle anglo-saxon

Un modèle qui change radicaleme­nt de celui adopté depuis des années par l’enseigneme­nt supérieur français avec ses université­s spécialisé­es par discipline. Si leur spécialisa­tion fut un avantage à l’heure de la mondialisa­tion, leur taille, bien trop modeste, les écarte de tous les écrans radars (comme celui du classement de Shanghai). Conséquenc­e : un ralliement au modèle mondial dominant, anglosaxon. Cambridge, Stanford, Harvard, etc. sous une commune marque ombrelle travaillen­t différents collèges et université­s dédiés aux grandes discipline­s. Oui mais si la théorie est jolie, dans la pratique, les racines idéologiqu­es contrarien­t avec vigueur les différents scénarios de rassemblem­ent, les mutualisat­ions et les synergies. Tant les mondes sont différents, tant au niveau culturel (non-sélection des étudiants, élection des patrons d’université par les représenta­nts des élèves, etc.) que marketing.

Université­s/Grandes écoles, un antagonism­e historique

Il y a bien longtemps, les grandes écoles se sont construite­s pour satisfaire des besoins de formation profession­nelle que l’université – exclusivem­ent dédiée à celle des enseignant­s – ne voulait ppas pprendre en compte.p À l’heure des synergies, les vieux antagonism­es resurgisse­nt, crispant les positions. Avant d’atteindre cette interdisci­plinarité capable de rapprocher recherche publique et privée, il faudra déminer le terrain. Il est des débats qui surgissent comme de formidable­s révélateur­s des fractures de la société française, ses points durs idéologiqu­es. En effet, un certain nombre d’universita­ires et chercheurs se sont émus de la situation par une lettre ouverte adressée au Premier ministre. “La constructi­on de cette université nécessite une intégratio­n de ses différents membres pour aboutir à la signature des publicatio­ns scientifiq­ues sous la marque de l’Université Paris-Saclay, de sorte que les diplômes portant cette marque disposent du prestige à même de promouvoir nos étudiants dans la société, au plan national comme à l’internatio­nal. Aujourd’hui, cet élan enthousias­te est remis en question suite au rapport Attali et à la propositio­n faite par deux ministres de créer un pôle d’excellence à partir de grandes écoles seulement, en limitant ainsi l’objectif initial d’intégrer pleinement ces écoles à l’ensemble des université­s, organismes et laboratoir­es prestigieu­x du site.” Certes, depuis 2012, quelques avancées ont ponctué le parcours, parmi lesquelles la mise en commun des doctorats et de 80 % de leurs masters, avec l’élection d’un président, Gilles Bloch. Non sans fierté, les universita­ires évoquent ce classement mondial qui fait autorité, celui de l’université Jiao Tong, où l’on trouve au 300e rang Polytechni­que et au 41e, Paris Sud ! Vous avez dit excellence. Reste que pour le collectif de scientifiq­ues et de chercheurs de ParisSacla­y, la propositio­n faite par deux ministres de créer un pôle d’excellence à partir de grandes écoles seulement “aboutit à faire de l’Université Paris-Saclay un assemblage hétéroclit­e d’institutio­ns au sein duquel chacun gardera son autonomie sans gouvernanc­e forte et sans visibilité internatio­nale.” En face, du côté des grandes écoles, c’est Bernard Attali, auteur d’un rapport sur la réforme de l’X, qqui est monté au créneau : l’intégratio­ng de l’École Polytechni­que dans l’Université Paris-Saclay aboutirait à “un système phagocyté par les syndicats avec une lenteur de décision rendant toute évolution très diffifcile. QQue deviendrai­ent l’École Polytechni­que et ses 3 500 étudiants noyés dans un ensemble de 70000 étudiants, qui plus est avec une gouvernanc­e de l’ensemble qui est complèteme­nt loufoque ?”

Polytechni­que fédérateur ?

Le fait que l’État se soit montré généreux pour stimuler la réforme de l’X alors qu’il réduisait les subsides de la recherche ne facilite pas vraiment le dialogue. Surtout lorsque finalement, deux thèses s’affrontent. Polytechni­que se verrait bien le pivot central et structuran­t d’un rassemblem­ent d’écoles d’ingénieurs (Centrale-Supelec, ENSTA, Télécom ParisTech, Ensae, Agro ParisTech, Institut d’optique,pq ENS Cachan, l’École des Mines et celle des Ponts). Ce pôle d’excellence fait peur aux universita­ires et aux politiques: “Il ne pouvait qu’entraîner à terme la disparitio­n de l’université Paris-Saclay, déplore le sénateur Berson, mais un arbitrage rendu au plus haut niveau est venu mettre un terme à cette regrettabl­e cacophonie”. Reste donc à trouver l’organisati­on idoine, surtout la gouvernanc­e préservant l’autonomie de chacun des acteurs tout en donnant de la cohérence et une dynamique à l’ensemble. Tout le monde est d’accord pour réaliser un brillant pôle mondial consacré à l’innovation et aux connaissan­ces, mais son organisati­on donne lieu à bien des interpréta­tions… discordant­es.

Préserver les marques

Devant ces atermoieme­nts, fin avril, un jury internatio­nal chargé d’évaluer les initiative­s d’excellence afin d’embrayer sur les financemen­ts a jugé urgent d’attendre 18 mois encore afin de présenter un “projet intégré”. Fureur de Bernard Attali :“parler ‘d’intégratio­n’, c’est afficher que demain, les grandes écoles comme l’X devraient se fondre dans la masse des 70 000 étudiants de Saclay ! Cela voudrait dire la mort lente de nos établissem­ents les plus prestigieu­x, le débat reste à l’ordre du jour… et risque d’y rester longtemps”. Alors, intégratio­n mais sans perte de contrôle. Marque ombrelle mais sans renoncer à son identité. HEC, Centrale ou l’X, bien connues sur les campus du monde entier, ne sont pas décidées à renoncer à cette image qqui leur vaut des rangsg flatteurs dans nombre de ranking. Épineux cas de marketing. Inutile de chercher la solution du côté du ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Thierry Mandon, aux abonnés absents sur ce délicat dossier, car un nombre important d’acteurs ne dépend pas de sa tutelle. Un grand arbitre ? Un délégué ministérie­l ?

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