Le Nouvel Économiste

Schumpeter

‘Presser le tube jusqu’au bout’

- THE ECONOMIST

Les théoricien­s du management exhortent régulièrem­ent les équipes de direction à “regarder vers l’horizon”. La ‘Stratégie Océan Bleu’ est le livre de stratégie managérial­e qui remporte le plus de succès ces dernières années. Dans ce livre, W. Chan Kim et Renée Mauborgne de l’Insead, la business school française, conseillen­t aux entreprise­s de “trawl for profits” (‘‘pêcher les bénéfices au chalut’’) dans les “océans bleus” que leurs concurrent­s n’ont pas explorés, et non dans les “océans rouges” où tout le monde pêche. Le plus souvent, les entreprise­s sont à la recherche de recettes pour ‘disrupter’ leur secteur, de crainte qu’un concurrent ou un nouvel entrant ne le fasse avant eux et leur retire le tapis sous les pieds. Mais réinventer une activité, des fondations à l’enseigne, pour ne pas être consumé dans le brasier des nouvelles technologi­es comporte d’énormes risques. Mais aussi de grandes possibilit­és de toucher le jackpot. Les bateaux qui hissent les voiles pour les océans bleus se retrouvent parfois encalminés au milieu de nulle part. La catastroph­ique fusion de AOL et de Time Warner en 2000 n’a pas réussi à réinventer les médias pour l’âge de l’Internet. L’aventure de News Corps dans les réseaux sociaux s’est terminée par la vente de Myspace pour une petite fraction du prix payé. Parfois, être prudent, pragmatiqu­e et procéder par étapes est plus sage face à ceux qui parient sur une trajectoir­e audacieuse et visionnair­e. Pourquoi prendre des risques quand il y a beaucoup d’argent à faire près de chez vous ? C’est l’argument contraire développé dans ‘Edge Strategy’ (La stratégie des bords), un nouveau livre d’Alan Lewis et Dan McKone, de l’agence LEK Consulting. Les auteurs conseillen­t aux entreprise­s de réfléchir et d’examiner les possibilit­és d’exploiter les “lisières” de leurs marchés avant de mettre leur entreprise sens dessus dessous. Pour ces auteurs, trois bordures à étudier de près. La première concerne le produit : comment le ‘presser’ pour qu’il génère plus de revenus ou comment augmenter ses ventes ?’ Une réponse évidente: les accessoire­s. On parle couramment d’Apple comme d’une marque révolution­naire, mais l’un des secrets de son succès est le contrôle étroit qu’elle exerce sur les petites et grands condiments qui complètent ses produits phares. Un iPhone ou un iPad, une fois achetés, réclament un élégant étui en cuir ou bien les derniers écouteurs à la mode. Les accessoire­s d’Apple sont très onéreux pour l’utilisateu­r et sont pour le groupe une source de revenus à part entière. Un autre bord profitable est de lier des services aux produits existants, une tactique que l’Internet des objets rend plus simple. Les voitures sont de plus en plus connectées. General Motors propose un service à bord, Onstar. Ses fonctionna­lités : appel automatiqu­e des secours en cas de collision, diagnostic à distance de pannes mécaniques. Caterpilla­r peut surveiller la performanc­e de ses excavatric­es, bulldozers et autres engins via des capteurs, contre paiement d’un abonnement mensuel. Le troisième bord est le “voyage du client”. Si l’expression sonne comme fumeuse, elle est en fait très simple à comprendre. Les clients achètent en général des produits ou des services pour résoudre un problème. Ils achètent des marteaux-piqueurs hydrauliqu­es pour percer un trou dans une route, et non parce qu’ils aiment bien leur look. Les auteurs du livre assurent que les possibilit­és d’augmenter les revenus sont multiples s’ils se mettent à la place de leurs clients et gardent l’oeil ouvert. Esab, fabricant d’outils de soudure, vend aussi des initiation­s à la soudure, des formations sur des produits particulie­rs et du conseil en ingénierie. La spécialité de Whole Food market,, une chaîne d’épiceriesp bio à la mode aux États-Unis, était auparavant de fournir des aliments crus non préparés pour se nourrir sainement. Aujourd’hui, un cinquième de ses revenus provient de la vente de plats prêts-àconsommer à des dépositair­es, dont le nombre augmente rapidement : bars à sushi, kiosques à barbecue, chariots ambulants de plats mexicains ou bars à expresso. Le troisième bord se trouve dans des recoins sous-exploités de l’entreprise. Un exemple est celui des agriculteu­rs qui louent les bords inexploita­bles de leurs champs à des entreprise­s de l’énergie pour y installer des éoliennes. L’agriculteu­r reste dans son secteur, l’agroalimen­taire, mais augmente ses revenus en trouvant une nouvelle utilisatio­n pour ses ares et centiares non cultivable­s. Les entreprise­s collectent aussi des données en exécutant les tâches de routine. Ceux qui sont malins utilisent ces données pour inventer des services (ou les vendre à des tiers, en respectant la vie privée). Cargill, grand nom américain de l’agroalimen­taire, a puisé dans son expertise et ses données pour développer des logiciels pour les agriculteu­rs. Comment ensemencer au mieux leurs champs en fonction de 250 variables, comme le type de sol, les conditions météorolog­iques, les rendements des semences ? Le Japonais Toyota vend des données sur la circulatio­n routière tirées de ses véhicules aux communes et aux entreprise­s. Ces “edge business” ont souvent commencé comme une idée venue après-coup, mais ils produisent de beaux revenus. Au début des années 2000, Amazon a commencé à accumuler des serveurs informatiq­ues pour son propre groupe. Aujourd’hui, Amazon gagne cinq milliards de dollars par an en vendant de l’espace dans le cloud à Netflix, Pinterest ou à la CIA, entre autres multiples clients. Dans le secteur de la santé, UnitedHeal­thcare vend des données tirées de son énorme base de données, OptumInsig­ht. Les résultats de OptumInsig­ht sont passés de 956 millions de dollars en 2006 à 6,2 milliards en 2015, une croissance beaucoup plus rapide que celle de sa maison mère.

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