La raison économique hors jeu
Aucun candidat ne s’attaque à la question essentielle de la croissance
Cinq “grands” candidats, selon les sondages,g, sont maintenant en lice pour l’Élysée. Chacun a une approche économique différenciée, mais tous évitent de regarder en face l’objectif simple de hisser la croissance du pays à 2 %, voire 3 %. Certes, le PIB n’a pas une tête d’électeur. Pourtant, le doublement du rythme annuel de progression du PIB changerait du tout au tout le climat social.
La raison économique hors-jeu
Est-ce la peur d’échouer ? Est-il plus chic d’être le candidat du travail ou de la feuille de paie que celui de la croissance? Toujours est-il que ce déni culturel bloque par avance l’adoption de mesures directement axées sur le redressement de l’expansion. Qui sont connues des économistes ! Les candidats, eux, préfèrent le tour de passe-passe. Pour Le Pen, c’est l’abandon de l’euro. Pour Mélenchon, c’est la planification écologique. Pour Hamon, c’est le revenu universel. Pour Macron, c’est pouvoir vivre de son travail. Pour Fillon, si le coeur de la stratégie reste à la compétitivité, la rhétorique du pouvoir d’achat commence à s’entendre. C’est à se demander, comme Patrick Artus, “si l’on peut faire de bonnes politiques économiques dans une démocratie”. L’économiste de Natixis recense qquelquesq faits inquiétants.q Le choix du protectionnisme aux États-Unis, qui aura surtout comme effet d’accroître le prix des importations, donc de réduire le revenu réel du pays. Le choix du “Hard Brexit”, alors que le commerce extérieur du RoyaumeUni a beaucoup bénéficié de son appartenance à l’Union européenne. Dans cette perspective renversante, la France pourrait être le troisième pays de la liste qui vote pour des politiques économiques contraires à ses intérêts collectifs. La présidentielle de 2017 est en effet devenue un jeu de massacre où les candidats les moins probables en sélection finale ont soudain leur chance. La volatilité d’un groupe central de l’électorat est telle que le basculement d’un camp à l’autre peut tout changer au dernier moment. C’est la raison politique pure qui en décide. Dans un tel schéma, la raison économique est hors-jeu.
La posture et l’utopie Hamon
Benoît Hamon, le vainqueur de la primaire PS pour la présidentielle, incarne tous azimuts cette posture. En direction de l’Union européenne, il envoie une bordée de missiles. Ainsi le député PS est contre le traité commercial signég avec le Canada et accepté par l’Élysée, il est pour la remise en cause du respect de la limite des 3 % de PIB de déficits publics, il prône la mutualisation de la dette au niveau de la zone euro. Tout pour plaire à Berlin ! Qu’importe, l’intendance suivra… En direction de l’électorat populaire, il vante un revenu universel à 300 ou 400 milliards d’euros, sans trop de précisions sur l’articulation avec les aides existantes, avant de reconfigurer l’opération à 45 milliards seulement. L’accélération de la transition énergétique est censée multiplier les emplois stables, tout comme peut-être la légalisation de la vente de cannabis ou les 32 heures. Un tel condensé ne résume pas la pensée Hamon, qui a pour premier souci de montrer sa capacité à anticiper le monde de demain, à l’égard entre autres du contrat de travail. Ce condensé en revanche témoigne de l’absence totale de références à un modèle économiqueq bouclé sur de solides équations. À l’inverse de la stratégie de Manuel Valls Premier ministre, qui s’appuyait sur deux piliers. D’une part le sérieux budgétaire – en tout cas revendiqué comme tel – et d’autre part le retour à la compétitivité des entreprises via le CICE et un marché du travail plus flexible. Deux piliers violemment récusés depuis toujours par l’équipe Hamon. Du coup, le soutien “officiel” de Bernard Cazeneuve, Premier ministre continuateur de la stratégie Hollande-Valls, à la campagne Hamon sonne bizarrement. Au sein du Parti socialiste, deux lignes, l’utopique et la réaliste, vont continuer de coexister. La clarification attendra – la cohérence des arbitrages économique aussi.
La rupture selon Le Pen et Mélenchon
Du côté de Marine Le Pen, le bouton “rupture” est revendiqué. Les experts de la place de Paris ont beau expliquer que la sortie de l’euro ruinera les agents économiques ayant des dettes extérieures et entraînera l’explosion des taux d’intérêt, que l’instauration de droits de douane aboutira à l’envolée des prix des importations et à la baisse du revenu réel des ménages, rien n’y fait. La fusée économique Le Pen sera lancée à Lyon le 5 février à 15 heures. Pour Jean-Luc Mélenchon, l’enseigne est plus importante que le contenu. Il est le porte-drapeau des insoumis. Pas question de se soumettre aux règles du capitalisme. Il s’agit de présenter un vaste programme qui entend éradiquer tous les dysfonctionnements de la société. Le point faible est dans l’oubli complet de l’interdépendance entre ces 83 mesures qui provoquera des chocs en retour et l’impasse complète sur la nécessaire coopération européenne et internationale. “Construire un rapport de forces” ne résout pas tout.
L’approche Fillon-Macron
François Fillon avait fait campagne sur un programme de redressement prolongeant et amplifiant en réalité celui du tandem Hollande-Valls. Sans le torpillage de frondeurs à l’Assemblée nationale et sans une série de dispositifs bridant les entreprises, le retour à la confiance était jouable. Le candidat Fillon n’en a pas moins commencé à amender son projet en le parsemant de touches de pouvoir d’achat destinées aux salariés (20 euros par mois sur la feuille de paie pour un coût de 6 milliards d’euros par an), aux petites retraites (pour un coût de 1,5 à 2 milliards), aux ppensions de réversion (ppour un coût de 200 millions). À ce stade, l’ensemble garde sa logique, bien loin toutefois d’un plan Marshall pour dynamiser la croissance. Le dernier de la bande des Cinq, Emmanuel Macron, garde encore en réserve ses munitions. Il a reçu le renfort de Jean Pisani-Ferry, l’ancien commissaire de France Stratégie, pour construire un projet global attendu pour fin février. A priori, c’est la garantie d’une ligne homogène. La grande difficulté sera de trouver un fil conducteur à des annonces déjà dispersées dans tous les domaines tout en gardant le profil de droite et de gauche. Qui trop embrasse mal étreint.
L’insuffisante modernisation du capital des entreprises
Le point commun de tous ces programmes est de chercher à séduire des électorats spécifiques au lieu de prendre pour horizon une croissance fédératrice. Rien de bien excitant peut-être, mais un tel objectif obligerait chacun à traiter en toute priorité les problèmes les plus graves de l’économie française sans emprunter les chemins de traverse. Patrick Artus en énumère trois. Le premier est l’insuffisance de la modernisation du capital des entreprises : le niveau de gamme du made in France est dramatiquement faible. L’industrie espagnole est en train de le rattraper avec des coûts plus faibles. Le manque de robots par salarié est criant . La solution est de poursuivre la baisse de la fiscalité sur les entreprises (travail et capital) en inculquant une culture de risque et en soutenant l’innovation. Un discours qui heurte encore une légère majorité de Français si l’on regarde les sondages. Le deuxième défi est de s’attaquer au chômage anormalement élevé des jeunes et des gens peu qualifiés, au coût du travail trop élevé malgré les allégements de charge. Il serait temps de repenser à un Smic jeunes et à un Smic régionalisé. Un voeu pieux bien sûr, sauf déclaration unanime de tous les candidats… Il ne reste alors que le pis-aller des emplois subventionnés. Plus de personnel au travail avec plus de flexibilité, c’est pourtant au final plus de production.
La solvabilité budgétaire à moyen terme
Patrick Artus insiste aussi sur le troisième défi qui est d’assurer la solvabilité budgétaire à moyen terme, même en cas de remontée des taux d’intérêt. Le gouvernement Valls a échoué sur ce plan. L’an dernier il eût fallu un déficit public ramené à 2 % du PIB pour simplement arriver à stabiliser le taux d’endettement public (tout en payant les intérêts). Or le déficit a atteint 3,3 % en 2016. C’est dire l’irresponsabilitép des aspirantsp à l’Élysée quand ils jettent aux orties la maîtrise des comptes.
Le déni économique des électeurs et des élus
Avant de s’enflammer sur le revenu universel, les électeurs devraient s’enflammer pour le respect des fondamentaux d’une économie. Avant de rêver à une croissance saine et durable, le mandat sur cinq ans devrait chercher à muscler le maigre 1,1 % de 2016. Sans l’alignement extérieur des planètes (faible prix du baril, baisse de l’euro, taux d’intérêt proches de zéro), ce serait à peine 0,7 % de croissance. Ce 31 janvier, au QG de François Fillon, le député LR Gilles Carrez rappelait que l’Allemagne émarge à 1,9 %. “La France décroche”, dit-il. Toute cette problématique est bien plus ennuyeuse que les déclamations d’un tribun médiatique comme Jean-Luc Mélenchon. Il faut battre campagne dans la joie, n’est-ce pas. Le déni prépare pourtant les lendemains qui déchantent. C’est dû probablement au manque de culture économique des élus comme des électeurs. Et si vous jouez au pédagogue, vous êtes moqué, comme le fut un Raymond Barre vite renvoyé dans ses foyers. D’une certaine manière, le mal est plus profond. Car ce peuple aime passionnément la vie politique, au point d’être prêt à saborder la crédibilité économique du pays. C’est pourquoi les équipes de Benoît Hamon étaient comme des poissons dans l’eau au cours de la primaire du PS. L’essentiel est de créer un rapport de force politique, de susciter les conditions d’un rassemblement pour un projet futur, surtout pas de convaincre par le raisonnement économique. La convergence des opinions précède la réalité des faits. Un des porte-parole du nouveau leader PS pour la présidentielle, Pascal Cherki, député PS du XIVe arrondissement de Paris, de formation trotskiste, a fait ses gammes sur ce registre tout au long du quinquennat. À l’Assemblée nationale, salle des Quatre Colonnes, cet élu n’a cessé de dézinguer la stratégie économique de François Hollande sur le mode “cadeau aux patrons” tout en ne se cachant pas de préparer le terrain pour un Bad Godesberg à l’envers. C’est chercher à revenir à une gauche radicale. C’est enterrer le compromis social-démocrate incarné en l’occurrence par la gauche de gouvernement de Manuel Valls. C’est l’éternel recommencement de la longue marche du socialisme coupé en deux entre utopie et réalisme. Ce n’est pas l’idéal pour créer les conditions d’un écosystème favorable à la production.