Archéo-syndicaliste
Obligé de faire avec, en attendant la relève
Idéologues, coupés des réalités des entreprises, avant tout préoccupés par les intérêts de leur organisation… les syndicalistes français ne correspondent pas aux attentes que l’on place dans un partenaire que l’on souhaiterait au contraire… responsable, représentatif, impliqué, et même – pourquoi pas – imaginatif, pour aider à la nécessaire adaptation du monde du travail à la nouvelle donne économique. Et pourtant, il va falloir faire avec ce syndicalisme archaïque et conservateur encore au moins quelques années. En attendant la relève de la jeune génération qui prendra un jour ou l’autre inéluctablement, il faut l’espérer, la place de toutes ces tempes grises formées à l’ancienne et au logiciel dépassé qui peuplent encore majoritairement les organisations confédérales et autres sections syndicales du pays.
Idéologues, coupés des réalités des entreprises, prompts à la surenchère, divisés mais aussi obtus face aux évolutions, opposants systématiques, pas au niveau, suffisants… ce portrait de groupe guère flatteur des syndicalistes français ressemble, hélas, à la caricature que l’on fait souvent d’eux. “Il faut certes éviter d’être monolithique et il existe une grande diversité de situations, mais ces griefs sont largement exacts. On peut compléter la liste par : en rivalité les uns avec les autres et avant tout préoccupés par les intérêts de leur organisation”, ajoute Dominique Andolfatto, professeur de sciences politiques et expert en questions syndicales… On comprend qu’affublés de tous ces défauts, le syndicalisme français ne correspond pas aux attentes que l’on place dans un partenaire que l’on souhaiterait responsable, représentatif, impliqué, et même pourquoi pas imaginatif, pour aider à la nécessaire adaptation du monde du travail à la nouvelle donne économique. Et pourtant, il va falloir faire encore avec ce syndicalisme archaïque et conservateur au moins encore quelques années. En attendant la relève de la jeune génération qui prendra un jour ou l’autre inéluctablement, il faut l’espérer, la place de toutes ces tempes grises, formées à l’ancienne et au logiciel dépassé, qui peuplent encore majoritairement les organisations confédérales et autres sections syndicales du pays.
Anarcho-syndicaliste,y apparatchik, et réformiste
Il est vrai que le registre syndical hexagonal reste dominé majoritairement – et plus encore médiatiquement – par les figures de l’anarcho-syndicaliste et de l’apparatchik. Celles-ci sont toujours si écrasantes qu’elles empêchent la troisième figure, celle du réformiste, de véritablement s’imposer dans le jeu. “Les anarcho-syndicalistes pur jus sont en voie d’extinction mais l’esprit de la lutte des classes qui l’anime imprime toujours l’action syndicale, à l’instar de la CGT et de son secrétaire général Philippe Martinez. Et on en trouve aussi à FO et même encore à la CFDT”, analyse Hubert Landier, expert en relations sociales. Comme ses lointains ancêtres de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, l’anarcho-syndicaliste version modernisée met toute son énergie – et son charisme – à mobiliser ses troupes contre les patrons,
les “licenciements boursiers”, le grand capital, pour arracher à ce dernier des concessions allant “au-delà du légal”. “Ce syndicalisme de ‘rupture’, privilégiant la ggrève fface à la négociationg reste très vivace. À la CGT, conflit et grève restent synonymes. La culture de l’affrontement y prime sur celle du compromis, d’où ces crispations et
tensions”, observe Bernard Vivier, directeur de l’Institut supérieur du travail. Aux côtés de ces syndicalistes de chocs et de combats se retrouvent parfois, comme on l’a vu l’an dernier lors des manifestations contre la loi El Khomri, d’autres syndicalistes tout aussi aguerris mais surtout concentrés sur la conservation des sacro-saints “avantages acquis”: les apparatchiks, dont le leader de Force ouvrière, Jean-Claude Mailly, est assurément l’une des figures de proue les plus en vue. “Moins visibles que les anarchosyndicalistes, ils font carrière au sein du syndicat et sont en général très conservateurs. Leur destin est lié à celui de leur organisation, leur CV ne leur laissant guère de possibilité de reconversion en dehors d’elle. Et l’on trouve aussi l’équivalent de ces permanents dans les grandes entreprises, qui par le jeu des heures de délégation et autres cumul de mandats, travaillent à temps plein pour le syndicat”, analyse Hubert Landier. Anarcho-syndicaliste ou homme d’appareil : ces deux figures du syndicalisme venues tout droit des rapports sociaux du XXe siècle conservent indéniablement un pouvoir de nuisance. Ils n’en paraissent pas moins aujourd’hui en profond décalage avec les réalités du monde contemporain et même “en retard d’une guerre”. L’entreprise champ clos de la lutte des classes ? Le paradigme marxiste ne fait plus recette chez bon nombre de salariés plus désireux que jamais de s’engager et de s’investir dans leur travail. Et l’entreprise taylorienne façon ‘ Les Temps modernes’ qui exploitait Charlot dans ses rouages a laissé la place à d’autres formes d’entreprise plus épanouissantes. L’entreprise et ses salariés ont donc profondément changé, mais pas leurs représentants syndicaux qui semblent vivre encore dans le temps aujourd’hui bien révolu des Trente glorieuses. Alors qu’il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de “grains à moudre”, autrement dit plus rien à négocier sur le plan quantitatif…
Les pplaies d’un syndicalisme sans adhérent
On ne devient pourtant pas syndicaliste sans de nobles motivations: l’extraversion, l’intérêt aux autres, les valeurs (justice, solidarité, reconnaissance du travail…). D’où cette question : par quel processus insidieux ces qualités de bases propres à l’engagement syndical se sont-elles transformées en leur contraire, le repli sur soi, l’indifférence aux autres, le primat de la défense des rentes sur l’intérêt général au point de faire du syndicaliste français un véritable repoussoir ? L’explication tient tout autant à la nature humaine qu’à la logique d’un système. “Les syndicalistes entrent dans un cercle où ils vivent entre eux, pour eux et avec eux en décrochant du service à rendre à l’adhérent”, analyse Bernard Vivier. “En réalité, les organisations syndicales françaises n’ont guère besoin d’adhérents pour assurer leur fonctionnement et exister. Elles peuvent compter sur des ressources externes : subventions publiques et, plus encore, subventions privées. Résultat : dès lors que la part des cotisations syndicales dans ‘l’économie’ syndicale est infime, l’adhérent ne compte guère. Or un syndicalisme fondé sur les adhérents serait plus réaliste, pragmatique, responsable…”, explique Dominique Andolfatto. Ce trait singulier d’un syndicalisme minoritaire qui compte si peu d’adhérents – le taux de syndicalisation avoisine 5 % dans le secteur privé et 15 % dans la fonction publique – explique que le syndicalisme français “est le fait d’appareils ou de petites bureaucraties relativement
Aux côtés de ces syndicalistes de chocs et de combats se retrouvent parfois d’autres syndicalistes tout aussi aguerris mais surtout concentrés sur la conservation des sacro-saints “avantages acquis”: les apparatchiks
coupées des réalités des entreprises” reprend Dominique Andolfatto. Une faiblesse dont les effets ont été aggravés par une institutionnalisation mal conçue car fondée sur la quantité et non la qualité des fonctions de représentation. “Le paradoxe est le suivant : depuis les années 1980 et les lois Auroux, le droit du travail français a placé les syndicats au centre du jeu avec l’obligation annuelle de négocier et, dernièrement, la recherche d’accords majoritaires, alors qu’en termes d’adhérents, ils pèsent peu… en partie à cause de lui ! Pourquoi adhérer, alors que l’accord d’entreprise s’applique non pas aux seuls syndiqués, comme dans la plupart des pays étrangers, mais automatiquement à tout le personnel ?” , pointe Jean-Emmanuel Ray, juriste, professeur à l’École de droit à la Sorbonne. Autre caractéristique du syndicalisme français : sa professionnalisation, les syndicats étant devenus de véritables rouages de la vie des entreprises, et plus largement dans la vie sociale. “Les syndicalistes qui se consacrent à plein-temps à leurs activités sont des professionnels du militantisme. Ils disposent de crédits d’heures qui n’ont cessé d’augmenter (encore +20 % avec la loi El Khomri) pour se consacrer à ces tâches. (…) On pourrait comparer les syndicats à de petites entreprises de représentation, privilégiant avant tout des ‘rentes de situation’, l’intérêt du salarié passant au second plan”, analyse Dominique Andolfatto. Une entreprise de représentation qui vit, fait nouveau, depuis la loi de 2008 au rythme des élections, ces dernières liant désormais la désignation des délégués syndicaux à un score minimum de 10 % aux élections professionnelles. “Une évolution salutaire car ce rendez-vous contraint certains syndicalistes à recoller au terrain. Mais aussi dangereuse, car la bagarre est alors rude entre syndicats pour attirer les électeurs, la prime allant parfois à la démagogie et les postures radicales à la gauloise”, analyse Jean-Emmanuel Ray.
L’impératifp d’une relève moins militante et plus “co-contractante”
Ces pesanteurs syndicales pèsent, hélas, très lourd dans le système économique et social du pays, qui a pourtant besoin urgent de se réformer pour s’adapter à la nouvelle donne de la mondialisation. Emmanuel Macron, en privilégiant l’accord sur la loi, parie sur la vitalité du dialogue social dans les entreprises pour mener à bien ces transformations. “Ce dialogue – ou cette démocratie – social est devenu d’autant plus stratégique que les accords négociés dans les entreprises ont vocation de plus en plus à adapter le droit du travail”, explique Dominique Andolfatto. “Il est loin d’être certain que tous les patronats rêvent de ‘syndicat maison’. Dans les TPE, voire les PME, il serait plutôt a-syndical. Le patronat purement managérial est plutôt à la recherche de bons interlocuteurs syndicaux avec qui il sera facile de négocier et d’obtenir les accords que l’entreprise recherche”, poursuit l’expert. On sent poindre ainsi une nouvelle raison d’être des syndicalistes autour d’un nouveau paradigme. “Un dialogue social bien mené améliore les performances globales de l’entreprise. Mieux vaut une règle qui a été négociée et acceptée qu’une règle imposée par l’employeur” insiste Hubert Landier. Mais encore faut-il sortir de l’esprit de confrontation! “On voit émerger de nouveaux militants désireux de s’investir pour le bien commun de l’entreprise. Ils ne raisonnent plus uniquement ‘rapport de forces’ mais raisonnent avant tout en termes politiques, c’est-à-dire en prenant en compte l’intelligence des situations. Et ils ont aussi intégré le fait que l’entreprise est un organisme vivant fragile dont il faut préserver la pérennité”, reprend le spécialiste des relations sociales. Bref, ces syndicalistes new-look se positionnent moins militant et plus “co-contractant”. Mais ces individualités sont encore des pionniers dans un ensemble syndical largement dominé par les seniors et les pré-retraités formés à l’ancienne. Le changement passera par la relève de cette génération, la bascule approche. “L’évolution se fera à la base, là où les problèmes se posent et où les aspirations s’expriment, et non pas au sein des institutions et des appareils” parie Hubert Landier. La balle est aussi dans le camp patronal qui doit surmonter parfois son réflexe anti-syndical pour aider à faire émerger ces nouveaux interlocuteurs.
“On voit émerger de nouveaux militants désireux de s’investir pour le bien commun de l’entreprise. Ils ne raisonnent plus uniquement ‘rapport de forces’ mais raisonnent avant tout en termes politiques, c’est-à-dire en prenant en compte l’intelligence des situations”