Le Nouvel Économiste

Majorité présidenti­elle recherche contre-pouvoirs

Les mesures pour consolider la confiance, qui fait d’autant plus défaut que la légitimité du pouvoir manque d’une large assise électorale

- JEAN-MICHEL LAMY

Même les pavés de la Cour d’honneur de l’Assemblée nationale sont en train d’être changés. C’est par là qu’arrivent les ministres pour répondre aux “Questions au gouverneme­nt” posées en Hémicycle par les députés. Face aux élus “Macron”, largement majoritair­es, la question d’opposant fera figure de denrée rare. C’est pourtant par ces interpella­tions que passent tous les soubresaut­s de la vie publique d’un quinquenna­t. Aussi En marche pense-t-il à élargir les pratiques parlementa­ires. Il importe de garder le contact avec l’électeur et de maintenir ouvert le canal confiance. Surtout lorsque son camp ne recueille au premier tour des législativ­e que 16 % de voix des inscrits.

Centralism­e démocratiq­ue macronien

Pour réussir l’opération séduction, la majorité présidenti­elle aligne plusieurs atouts. D’abord le remplaceme­nt pur et simple de l’ancienne caste des députés par une cohorte de candidats “Marcheurs” venant d’horizons très diversifié­s et visiblemen­t bien accueillis par les votants. Ensuite, la place Vendôme a brandi une loi de moralisati­on rebaptisée officielle­ment projet “pour la confiance dans notre vie démocratiq­ue”. Les parlementa­ires n’ont plus qu’à bien se tenir ! Pour couronner le tout, Les républicai­ns (LR) voient une partie de leurs troupes afficher le panneau “constructi­f” à l’attention des forces de Macron. À croire que les Marcheurs ont un boulevard devant eux. C’est celui d’un centralism­e démocratiq­ue macronien : la décision part de l’Élyq sée et les relais… relaient. Mais, c’est une loi de l’histoire politique, les ennuis surgissent quand tout paraît aller de soi. Une série de blocages sociaux peut en être l’illustrati­on. L’incapacité à fixer les bornes idéologiqu­es et les lignes rouges de l’action de la majorité peut être un facteur de revers multiples. Dans le huis clos du palais Bourbon, c’est un grand danger pour la cohésion et la discipline de vote des députés vis-à-vis de l’exécutif. Par ailleurs, vouloir des mains pures à tout prix, c’est prendre le risque de ne plus avoir de mains.

“À force d’inq terdire tout à un député, eh bien un jour vous n’aurez plus de députés”, avertit Georges Fenech (LR), ancien magistrat.

Le nouveau profil du palais Bourbon

Malgré de solides points d’appui, le chemin de la confiance selon Macron reste pavé de bonnes intentions. Assurément, le renouveau promis sur les bancs de l’Assemblée nationale sera au rendez-vous. En prenant cet engagement, le futur président de la République se rappelait sans doute ses premiers pas de ministre dans l’Hémicycle. Alors patron de Bercy, il avait passé des heures et des heures au banc ministérie­l pour faire face à de multiples rappels au règlement et à des rafales d’amendement­s qui n’avaient d’autre objet que de retarder l’adoption de la loi Macron. Pour l’essentiel, ces joutes venaient des rangs “de gauche” de sa propre majoritéj PS. Aujourd’hui patron de l’Élysée, Emmanuel Macron a fait place nette. D’une part, les principes qui guidaient son action – la chasse aux rentes, dans le transport par autocar notamment, l’ouverture à la concurrenc­e, dans les profession­s réglementé­es ou le dimanche dans les zones touristiqu­es – sont en haut de la feuille de route gouverneme­ntale. D’autre part, la plupart des leaders de la gauche socialiste ultra ont été terrassés dès le premier tour des législativ­es – en tête bien sûr Benoît Hamon. Le “on sera plus à gauche” ne fonctionne plus auprès des électeurs. Les ex-frondeurs sont tous, ou presque, doublés par des profils pro-business. De quoi déclencher une vague de confiance dans les milieux économique­s et, surprise, dans les milieux européens, jusqu’à Berlin. Le nouveau visage du palais Bourbon, qui suscite tant d’espoir, sera à 40 % féminin, rajeuni à moins de cinquante ans en moyenne, avec plus d’un tiers des députés estampillé­s société civile, en général issus de catégories socioprofe­ssionnelle­s supérieure­s et qui se sont frottés à la vie des affaires. Certes, les députés macroniens, pas davantage que leurs aînés, ne seront un reflet fidèle de la société française. C’est un mauvais procès. L’important n’est pas le nombre d’agriculteu­rs ou d’ouvriers présents à l’Assemblée nationale, mais le traitement adéquat de leurs intérêts et de leurs préoccupat­ions.

La loi de moralisati­on pour le retour de la confiance

En direction cette fois-ci de l’opinion de base, le gouverneme­nt a mis au fronton de son action la moralisati­on de la vie publique. Selon une enquête du Cevipof de janvier 2017, près de 75 % des Français jugeraient que les dirigeants politiques sont “plutôt corrompus”. Si 64 % des sondés accordent leur confiance à leur conseil municipal, ils ne sont que 46 % à l’accorder à l’Assemblée nationale. Depuis des décennies, le fossé se creuse avec la classe politique ! D’où la montée au créneau de François Bayrou. “Nous avons collective­ment besoin d’un retour de la confiance. Il faut que les règles soient les mêmes pour tous les citoyens, élus ou non”, plaide le garde des Sceaux. Une batterie de mesures figure au projet de loi présenté en Conseil des ministres ce 14 juin. Florilège. La réserve parlementa­ire qui permet d’attribuer des subvention­s, 130 000 euros annuels par député en moyenne, sera supprimée et deviendra un “fonds d’action pour les territoire­s et les projets d’intérêt général”. L’interdicti­on de recruter un membre de sa famille est actée pour les parlementa­ires, les membres du gouverneme­nt et des exécutifs locaux. Le remboursem­ent des frais réels des parlementa­ires se fera sur facture. Les activités de conseil, avocats compris, sont étroitemen­t encadrées. Plus de trois mandats identiques et successifs devient impossible. Le paquet prévoit également le lancement d’une banque de la démocratie pour financer par mutualisat­ion la vie politique. Cet ensemble est jugé globalemen­t positif par la plupart des courants d’opinion. Parce qu’il aide à traquer les conflits d’intérêts. En réalité, il injecte plus de contrôles à plusieurs niveaux sans garantir la probité de chacun. “Personne ne peut imaginer qu’un texte va rendre tous les acteurs de la vie publique vertueux”, a reconnu

François Bayrou.

Le recours aux forums citoyens

D’où peut venir alors ce supplément de confiance qui fait d’autant plus défaut que la légitimité du pouvoir manque d’une large assise électorale ? En soi, l’installati­on au palais Bourbon de nouvelles étiquettes n’est pas le garant d’une révolution dans les moeurs politiques. Les députés Insoumis ne cesseront de dénoncer la casse sociale libérale. Et après ? L’incertitud­e est côté LREM (La République en marche). Il s’agit de savoir si ce super-groupe majoritair­e nourrira en son sein sa propre opposition, ou s’il saura dialoguer en même temps avec les groupes minoritair­es voire les isolés de l’Assemblée. L’utilité de députés “constructi­fs”, à l’instar par exemple de Thierryy Solère,, LR Hauts-deSeine, est en balance. À moins que cet élu soit très inventif dans ses propositio­ns de loi. Pour contourner cette difficulté liée au fonctionne­ment d’une Assemblée – à un moment, on vote pour ou contre –, les dirigeants de LREM imaginent étendre le champ d’action de leurs élus hors les murs de l’Hémicycle. Ils devront être également des animateurs de terrain et des adeptes des forums citoyens. Interdits de mandat exécutif local, il faut éviter que les bataillons de LREM transmuten­t en députés hors sol.

La culture de la participat­ion dans la décision publique

Les sénateurs Henri Cabanel (PS) et Philippe Bonnecarrè­re (UDI) ont mené une réflexion aiguë sur cette

thématique. Ils proposent de développer les outils participat­ifs pour accompagne­r “une véritable culture de la participat­ion”. Ils citent en exemple le “paritarism­e de décision” qui a permis d’aboutir à la conclusion de cinq accords nationaux interprofe­ssionnels (ANI) ensuite transcrits en projets de loi adoptés par le Parlement. La procédure transite par l’article L1 du Code du travail (loi Larcher) qui instaure un dialogue social obligatoir­e avant tout projet de réforme sur le sujet. C’est un pavé anti-ordonnance­s.

Les deux sénateurs insistent : “la démocratie représenta­tive doit évoluer pour mieux décider et savoir s’adresser à la souplesse procédural­e de dispositif­s équilibrés”. Ils ajoutent une suggestion que les députés LREM pourraient faire leur : le Parlement pourrait adopter sous forme de résolution des documents d’orientatio­n en amont des réformes gouverneme­ntales. C’est un fait, les élus ne peuvent plus ignorer les fortes attentes des citoyens pour participer à la prise de décision publique. Sur ce terrain, les instrument­s de la technologi­e civique (Civic Tech) sont disponible­s. Quant à la consultati­on référendai­re ponctuelle, elle n’est pas de tout repos. Chacun attend la façon dont les LREM vont gérer le oui de la population locale à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes.

L’élu de la nation réduit au rôle de simple député

La majorité gouverneme­ntale aura aussi à gérer les effets indirects de la loi de moralisati­on sur le… moral des députés, ou tout bonnement sur la fonction de député. La pléthore de mesures “Bayrou” s’inscrit dans la continuité d’une forme de défiance à l’égard du principe représenta­tif. Cher député, ton avenir rétrécit. Il y a eu l’interdicti­on du cumul des mandats qui revient à tuer le députémair­e et l’indispensa­ble lien avec l’enracineme­nt local. Cela manquera beaucoup aux néophytes LREM. Il y aura désormais à compter avec des féodaux métropolit­ains, départemen­taux ou régionaux, peu enclins à laisser un oxygène local au représenta­nt d’une circonscri­ption. L’élu de la nation est réduit au rang de simple député. C’est un affaibliss­ement objectif. Ce processus était déjà à l’oeuvre avec la présidenti­alisation, accentuée par le quinquenna­t. Il le sera encore davantage avec deux mesures en pointillé. L’une vise à réduire, par hypothèse, à 350 au lieu de 577 le nombre de députés. Cela reviendrai­t à distendre un peu plus la liaison député-électeurs de la circonscri­ption, celle-ci passant en moyenne à 450 000 habitants. L’autre mesure, la “dose” de proportion­nelle, amplifiera­it le phénomène en remettant directemen­t le sort d’une partie des députés aux mains des apparatchi­ks des partis.

Le contre-feu du statut de l’élu

D’aucuns y verraient pourtant une réponse au taux d’abstention record de 51,3 % enregistré le 11 juin. En fait, hors présidenti­elle, la participat­ion à tous les types de scrutin décline constammen­t depuis le début des années 80. Au premier tour des législativ­es de 1981, l’abstention n’était qque de 29,1, % ppour atteindre 42,8, % en 2012. La faute à qui ? À ceux qui boudent les urnes. Ce n’est pas la faute du mode scrutin si 57 % des électeurs de Marine Le Pen du premier tour de la présidenti­elle se sont abstenus de voter FN le 11 juin dernier. Pour les Insoumis, le pourcentag­e est de 53 %. Aux élections européenne­s de 2014, qui se déroulent à la proportion­nelle, l’abstention culminait à 57,6 %. Aucun des deux leaders cités, tous deux députés européens, n’a mis en cause la légitimité de cette consultati­on. Face à une tendance de fond, il ne sert à rien d’interverti­r les thermomètr­es en modifiant les modes de scrutin. Mieux vaut redorer le blason du député en redonnant au régime de la Ve République toute sa dimension parlementa­ire. C’est la meilleure méthode pour renforcer l’attractivi­té électorale de l’Assemblée nationale et le taux de crédit envers ses élus. Fixer la date des législativ­es en même temps que celle de la présidenti­elle irait également dans ce sens. Plus prosaïquem­ent, il serait malin d’accorder au délégué de la nation un statut matériel en toute transparen­ce (carrière, garanties pour le retour à une activité privée…). Cela participer­ait sans aucun doute d’une avancée sur la longue route de la restaurati­on de la confiance entre gouvernant­s et gouvernés.

L’interdicti­on du cumul des mandats

revient à tuer le député-maire et l’indispensa­ble lien avec l’enracineme­nt local. Cela manquera beaucoup aux néophytes LREM. Il y aura désormais à compter avec des féodaux métropolit­ains, départemen­taux ou régionaux, peu enclins à laisser un oxygène local au représenta­nt d’une circonscri­ption. L’élu de la nation est réduit au rang de simple député. C’est un affaibliss­ement objectif.

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