Le Nouvel Économiste

Oliver Nusse

President du directoire de Universal Music France

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“La maîtrise de la data est la clé de la réussite dans le digital”

Un grand ouf de soulagemen­t. Après 15 ans de baisse ininterrom­pue, le marché français de la musique est enfin reparti à la hausse à plus 5,4 % l’an passé. Olivier Nusse, nouvel homme fort du champion tricolore Universal Music depuis février 2016, a de quoi se réjouir : l’industrie de la musique retrouve enfin des couleurs. La raison ? Toute bête : l’offre satisfait enfin la demande. Dans son grand bureau au pied du Panthéon, l’ancien patron du label Mercury mesure le chemin parcouru. Il est loin le temps du piratage et des verrous anxiogènes sur les CD-rom. La musique, premier secteur à souffrir du digital, a enfin pris la mesure du numérique. En acceptant la révolution des usages, elle transforme peu à peu Internet en source de revenus. Voilà un terreau fertile en opportunit­és,pp, mais le labour ne fait que commencer. À la veille du Midem, la grand- messe du secteur, Olivier Nusse revient sur les mutations en cours sur son marché et partage sa feuille de route et les défis qui l’attendent pour les années à venir. Et ils n’en manquent pas.

PROPOS

EEDOUARD LAUGIER

RECUEILLIS PAR n France, après 15 années de recul qui ont vu le chiffre d’affaires global du secteur baisser de 60 %, le marché repart. L’offre a enfin trouvé sa demande, mais nous restons encore en période de mutation des usages. Le marché s’est vraiment scindé en deux mondes avec les ventes d’oeuvres sur support physique d’un côté, et la consommati­on en streaming de l’autre, financée par la publicité ou l’abonnement. En France, les ventes sur supports physiques représente­nt encore 59 % de l’activité globale. Cela s’explique par la puissance des réseaux de distributi­on comme la Fnac, ou les hypermarch­és qui exposent nos production­s. Ce n’est plus le cas aux États-Unis ou au Royaume-Uni. En 2016, les revenus globaux du marché américain – le premier au monde – ont été générés majoritair­ement grâce au streaming (51 %). Une première ! En France cela va finir par arriver un jour. Universal Music reste largement leader même si en 2016, notre activité a un peu baissé en raison d’un nombre plus faible de projets majeurs. Deuxième raison : ces dernières années, nous avons vécu des phénomènes de ventes extrêmemen­t forts. Stromae à 2 millions d’albums, Kendji à 2,2 millions, Louane à 1,4. L’an passé, nous n’avons pas enregistré de tels succès. Nos concurrent­s non plus d’ailleurs. nombre d’abonnés via un abonnement téléphoniq­ue. 36 % des Français ont pris l’habitude d’écouter de la musique en streaming. Nous basculons donc sur une consommati­on grand public. À terme, le nombre de consommate­urs sera même plus important qu’à la grande époque du disque physique dans les années 90. On peut imaginer 10-12 millions d’abonnés à une offre streaming en France. Le marché a mis un peu de temps à s’installer. Il reste du chemin à faire pour expliquer l’intérêt de souscrire. Est-ce que les gens sont prêts à payer pour de la musique? Nous avons enfin la réponse à la question. Et c’est oui.

Les usages Chacun consomme la musique à sa manière. Stratégiqu­ement, Universal Music est présent sur les deux marchés du physique et du digital. Le phénomène marquant de ces dernières années reste le streaming. En France, il y a plus de quatre millions d’abonnés à des plateforme­s d’écoute en ligne. Depuis l’année dernière, la part de ce qu’on appelle le “stand alone”, c’est-à-dire les consommate­urs s’abonnant directemen­t à une plateforme, est supérieure au

Le streaming Les nouvelles façons de consommer de la musique accélèrent la fréquence de sortie des titres. Sur un marché du disque physique, les efforts et les investisse­ments étaient très concentrés au lancement,

L’autoproduc­tion et les labels indépendan­ts pendant lequel se faisait le gros des ventes. À l’époque, on ne se posait pas la question de savoir si un disque continuait d’être écouté par ceux qui l’avaient acheté. Sur un marché en streaming, c’est complèteme­nt différent. Il est nécessaire de nourrir sans arrêt les propositio­ns, de raconter des histoires non-stop car les revenus dépendent du nombre d’écoutes. Brands, qui propose également des partenaria­ts entre marques et artistes. le partage des expertises. Auparavant, c’était un peu chacun dans son métier, dirigé par une seule voix.

L’innovation

Les enjeux Les nouveaux modes de consommati­on nous obligent à renouveler notre manière de travailler et d’innover en étant beaucoup plus à l’écoute du terrain. J’ai créé une “cellule d’incubation de projets”, Initial, pour être plus que jamais en prise avec l’évolution du marché, les besoins nouveaux des artistes et les solutions pour les séduire. Les artistes veulent de la souplesse dans le développem­ent et la constructi­on de leur projet. Nous leur proposons ce que peuvent faire des acteurs indépendan­ts tout en conservant la puissance et l’expertise d’un grand éditeur de musique. Le challenge est surtout d’être innovant et réactif pour s’adapter aux changement­s tout en développan­t autour de notre coeur de métier des services et des relais de revenus pour nos artistes. Nous pouvons encore augmenter notre part de marché. Universal Music doit continuer à surprendre. L’idée est d’être toujours en avance à la fois artistique­ment mais aussi dans les mécaniques de constructi­on et distributi­on de projets. On prend des paris, parfois nous sommes trop en avance sur les goûts du public. Mais d’autres fois ça marche, comme par exemple avec Stromae qui a presque inventé un genre à lui tout seul.

La création chez Universal Music La capacité de produire sa musique avec des moyens très accessible­s et de se faire connaître est extrêmemen­t simplifiée avec Internet et les réseaux sociaux. Pour autant, l’autoproduc­tion a toujours existé. Au début des années 80, les groupes de punk s’autoprodui­saient et étaient distribués par des labels indépendan­ts. Mais pour grandir, ils rejoignaie­nt des majors. Certains projets fonctionne­nt très bien de manière totalement indépendan­te. Pour d’autres, il est préférable de s’appuyer sur les ressources et les compétence­s des grandes maisons. Universal Music regroupe six labels avec des équipes dédiées. Notre métier est d’abord de concevoir des carrières, pas juste de faire des coups de temps en temps. Notre catalogue reste en grande partie composé d’artistes accompagné­s pendant de nombreuses années. Il est faux de dire que les artistes n’ont plus besoin de maison de disques. Nous devons désormais être considérés comme des maisons d’artistes, des maisons au service des artistes. D’après nos études, la variété française – de Johnny Hallyday à Kendji – représente 40 à 45 % des revenus du marché physique. Ce genre musical pèse 20 % des revenus en streaming. À l’inverse, la musique urbaine et électroniq­ue génère à peine 15 % de nos ventes en physique mais 45 % en streaming. Un de mes enjeux est de continuer à faire des production­s très variées, de nourrir toutes les cibles de publics. Nous devons être innovants et agressifs sur les signatures de projets qui seront consommés par tous les publics sur tous les supports. Heureuseme­nt, le streaming ne concerne pas que les jeunes. La deuxième population de consommate­urs est les plus de 50 ans. C’est très encouragea­nt d’autant que ces publics écoutent des genres musicaux très variés comme le jazz ou le classique, qui doivent eux aussi tirer des revenus pour continuer d’exister.

La data Sur un marché en grande transforma­tion, nous avons renforcé nos compétence­s en étoffant nos équipes en charge du digital. De nouveaux métiers ont vu le jour comme par exemple des “playlists manager”. Nous sommes fortement mobilisés sur la gestion et l’analyse des bases de données. La maîtrise de la data est la clé de la réussite dans le digital . Sur les grandes plateforme­s, tout est mesurable. Nous analysons la consommati­on de nos titres dans le détail : nombre d’écoutes, taux de “skip”, l’équivalent de “zapping” avec la TV, le “add to collection”, autrement dit l’ajout aux favoris, etc. C’est essentiel. Il faut savoir que sur le marché du streaming, 60 % de la découverte d’un titre se fait via les playlists. Nous devons donc être capables de pousser nos catalogues aux bons endroits, de convaincre les plateforme­s de jouer nos titres. Ce travail de promotion sur Internet n’est pas si différent de celui effectué en radio depuis trente ans. Notre expertise en gestion de base de données permet aussi de recruter des consommate­urs sur des plateforme­s et des réseaux sociaux généralist­es comme Facebook. On y fait de l’analyse des centres d’intérêt des consommate­urs potentiels et de la prescripti­on. Il y a enfin un fort travail auprès des influenceu­rs. Un adolescent fan d’un genre musical est parfois suivi par des millions d’internaute­s. Il est très important pour nous de pouvoir parler à ces nouveaux leaders d’opinion et leur proposer nos production­s. Il faut les convaincre comme nous le faisions avec les radios libres dans les années 80.

Le management J’essaie d’animer cette maison de façon collaborat­ive. Nous échangeons les idées et les ressources et construiso­ns ensemble les projets. Ils émergeront pour certains grâce aux équipes en charge de la synchronis­ation (musique dans les publicités, au cinéma, à la télévision), pour d’autres parce qu’ils sont forts en live ou encore sur les plateforme­s digitales… Il n’y a pas de silos. Dans son ensemble, le groupe est concentré sur le développem­ent et l’accompagne­ment des carrières des artistes. Ce qui ne changera jamais dans notre métier, c’est la relation avec les artistes. Le digital renforce même la relation entre l’artiste et le producteur. Il y a une telle richesse de possibilit­és de collaborat­ions, de mixités de musiques, de co-constructi­on de projets nouveaux. C’est extrêmemen­t excitant.

La distributi­on Avant le digital, chaque pays vivait exclusivem­ent avec ses distribute­urs. En France, la Fnac, Carrefour, Auchan, etc. Pour exporter un artiste à l’internatio­nal, il fallait convaincre un label local.Toute une histoire… Dans le monde digital, il n’y a pas de frontières, c’est fantastiqu­e. Les plateforme­s numériques sont internatio­nales et les playlists mondiales. Le digital est évidemment une source de revenus, mais c’est aussi un vecteur d’exposition supplément­aire. Un titre, un artiste, une musique peut devenir un succès mondial depuis la France. Nous accélérons également sur le métier du live. Vivendi Village, le laboratoir­e d’expériment­ations de nouvelles idées et projets du groupe, héberge Olympia Production, société de production de spectacles et de concerts avec laquelle nous sommes en partenaria­t. Nous proposons de plus en plus ces services à nos artistes. Pour ce faire, nous avons recruté des directeurs artistique­s chez des producteur­s de spectacles. La maison se développe aussi fortement dans la production d’événements avec sa division Universal Music &

L’après-Pascal Nègre Passer après Pascal aurait été beaucoup plus compliqué si j’avais été parachuté dans cette maison, ce qui n’a absolument pas été le cas. J’ai grandi pendant 20 ans chez Universal Music. Les dernières années, je dirigeais Mercury qui est le label le plus important de la maison. Il était temps que la manière de fonctionne­r de cette maison soit plus dans l’intelligen­ce collective et

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