Le Nouvel Économiste

Pendant les travaux de l’impeachmen­t, la politique continue

Ce n’est pas tant un procès en destitutio­n que Donald Trump et le Parti républicai­n doivent craindre, mais bien plutôt le verdict des urnes en novembre 2018 et 2020

- PAR VINCENT MICHELOT,, pprofesseu­rf d’histoire politique des États-Unis à Sciences Po Lyon

Alors que l’on décortique à longueur de colonnes le témoignage de James Comey devant la Commission du renseignem­ent de la Chambre haute, les travaux ordinaires du politique continuent, à l’intérieur comme à l’extérieur. Certes, il est fascinant de voir l’ancien directeur du FBI accuser Donald Trump de “diffamatio­n” et affirmer sous serment qu’il a tenu un compte rendu méticuleux de ses conversati­ons avec le président de peur que celui-ci ne “mente” sur leur contenu à l’avenir. Certes, le récit des pressions qui se sont exercées sur lui, notamment lorsque Donald Trump, dans la même conversati­on, évoque son avenir à la tête du FBI puis lui demande de mettre la pédale douce sur l’enquête sur son ancien conseiller à la sécurité nationale, Michael Flynn, interpelle. Énième glissement progressif vers l’impeachmen­t ? Pas vraiment, car l’argumentai­re de défense du président est prêt et pour une fois presque convainqua­nt: un Donald Trump néophyte politique qui méconnaît les convenance­s institutio­nnelles et ne maîtrise (volontaire­ment) ni les codes ni les usages de la fonction, a simplement été lourd et trop direct ; il n’a pour autant commis aucun crime.

Désarroi des élus républicai­ns

Ce séquoia politique qu’est le débat sur l’impeachmen­t cache mal la forêt d’élus républicai­ns en plein désarroi qui voient s’approcher la fin de cette première session du Congrès sans qu’ils puissent revenir vers leurs électeurs avec un programme législatif en partie réalisé, alors même qu’ils disposaien­t de la majorité dans les deux chambres et d’un président de leur propre parti. Le texte voté par la Chambre des représenta­nts sur l’abrogation et le remplaceme­nt de l’Obamacare est bloqué au Sénat; si une majorité s’y dégage, ce sera sur une version du projet inacceptab­le par les représenta­nts du Freedom Caucus à la Chambre basse. Entre les deux chambres, on compte au bas mot cinq groupes très éloignés les uns des autres à l’intérieur même de la délégation républicai­ne. On a eu par ailleurs quelques mises en bouche de communicat­ion, des ébauches, mais alors que le 1er octobre – et donc la nouvelle année fiscale – s’approche, les Américains ne savent rien de ce que pourrait être dans la réalité le premier budget de Donald Trump. Et pour cause : le montant ou la répartitio­n par foyer des baisses d’impôts annoncées ne sont pas connus, pas plus que le coût d’un éventuel plan de rénovation des infrastruc­tures ppubliques,q ou encore le niveau des engagement­s de l’État fédéral sur la santé et quelques grands programmes sociaux tels les retraites. Là encore, le débat fait rage à l’intérieur même du parti de l’éléphant entre les “faucons du déficit” et les élus qui estiment qu’il est plus important de donner aux électeurs du grain à moudre dans la perspectiv­e du scrutin de 2018. Un peu moins de cinq mois après sa prise de fonctions, le bilan de Donald Trump s’établit ainsi : une nomination réussie à la Cour suprême (même si les dommages collatérau­x partisans et institutio­nnels sont lourds) et une déconstruc­tion par la voie réglementa­ire (celle qui évite les contre-pouvoirs) de l’héritage Obama, notamment en matière d’immigratio­n, de droit du travail et de protection de l’environnem­ent, la sortie de l’accord de Paris. On entend déjà les électeurs de l’Ohio demander : “Qu’avez-vous fait de notre mandat ?” À l’extérieur, lorsqu’on connaît l’état de dépendance de l’Arabie saoudite, de la Jordanie ou de l’Égypte vis-à-vis des États-Unis, le réalisme oblige à dire que cette crise autour du Qatar – qui déstabilis­e encore un peu plus une région qui n’en avait pas besoin – n’aurait jamais eu lieu si la diplomatie américaine avait souhaité l’empêcher. Trump pompier pyromane ou architecte d’une diplomatie de la négligence, où America First est compris comme un manque d’intérêt et donc d’engagement pour ce qui se passe au-delà de la pelouse de la Maison-Blanche ? Il n’y a qu’un pas de ce “leading from behind”, ppourtant tant moqué,q à l’abandon volontaire du leadership desÉtatsg Unis. Mais est-il compatible avec cet exceptionn­alisme américain qui nourrit la base électorale de Trump ? Aujourd’hui, ce n’est pas tant un procès en destitutio­n devant le Sénat que Donald Trump – et le Parti républicai­n – doivent craindre, mais bien plutôt le verdict des urnes en novembre 2018 et 2020. Quand l’ordinaire politique rattrape une présidence… ordinaire.

Alors que le 1er octobre – et donc la nouvelle année

fiscale – s’approche, les Américains ne savent rien de ce que pourrait être dans la réalité le premier budget

de Donald Trump

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