Le Nouvel Économiste

Radiograph­ie de la santé en Afrique

Un tableau contrasté derrière l’image de l’Africain décharné

- PAR ODON VALLET

Aujourd’hui, en Afrique, il vaudrait mieux dépenser

un peu d’argent pour purifier l’eau que beaucoup d’argent pour soigner les malades. La prévention demeure insuffisan­te

L’Afrique est-elle en bonne santé ? En un sens, oui. L’espérance de vie y augmente chaque année de trois à cinq mois, deux fois plus qu’en France. En un sens, non. De nouvelles maladies apparaisse­nt sans cesse dès que les anciennes reculent. L’allongemen­t de l’espérance de vie est largement liée aux vaccinatio­ns et aux consultati­ons. Grâce aux vaccins, la rougeole recule et il y a moins de séquelles de cette grave maladie, notamment moins d’aveugles. Grâce aux consultati­ons médicales, il y a moins d’otites non soignées et donc moins de surdité. En clair, en Afrique, le recul de certaines maladies, voire leur disparitio­n, est indéniable. Les handicaps aussi sont à la baisse, et le nombre de personnes inaptes au travail ne cesse de se réduire. D’autre part, la meilleure alimentati­on entraîne une puberté plus précoce et une stature plus élevée. Comme en Europe, on entre plus tôt dans l’adolescenc­e et on grandit plus vite. Le squelette est mieux formé. La silhouette est désormais largement plus belle et plus forte que voici deux génération­s. Les succès sportifs des jeunes Africains sont liés à cela. Quand on voit que le jeune Alban Lafont à 17 ans gardait les buts de Toulouse en ligue 1, on comprend que le physique des Africains a progressé de manière spectacula­ire par rapport à ce qu’en disaient les missionnai­res et les médecins du début du XXe siècle. Toutefois, chaque progrès a ses contrepart­ies. Si la puberté est plus précoce, les grossesses prématurée­s le sont aussi. Il y a moins de disette, mais l’augmentati­on de la ration calorique peut aboutir à de nouvelles maladies autrefois inconnues comme le diabète de type 2, l’hypertensi­on ou les accidents vasculaire­s cérébraux. La surcharge pondérale entraîne de nombreux troubles, d’autant qu’elle est parfois symbole de réussite sociale. A-t-on jamais dessiné des patrons maigres ? Le chef doit plus ou moins être gros. Mais plus important peut-être, des maladies endémiques ont quasiment disparu, comme la lèpre. On ne le dit pas assez, et les quêtes pour soigner cette maladie se poursuiven­t car elles sont fort ppopulaire­s,p d’autant qque Jésus aurait touché des lépreux alors que dans les Évangiles, la lèpre exprime toutes les maladies de la peau. Mais on ne parle jamais, ou presque, de l’ulcère de Buruli, très invalidant et très proche, bactériolo­giquement, du bacille de Hansen porteur de la lèpre. En clair, la santé en Afrique, c’est aussi du marketing. Il faut montrer des enfants squelettiq­ues parce que la faim dans le monde est supposée être d’abord liée au continent noir. Alors qu’en fait, elle est souvent fonction d’une insuffisan­ce de la logistique et d’un éloignemen­t trop grand des zones de production agricole et des zones de consommati­on. Un peu comme au Vietnam en 1945, où 1 million d’habitants moururent de faim en grande partie parce que le riz produit dans le sud n’arrivait pas aux habitants du nord. L’Afrique souffre d’un manque de relations entre zones de production et de consommati­on alimentair­e. Et cela est trop complexe à expliquer. Il ne faut pas brouiller l’image de l’Africain décharné même si celui-ci est désormais, heureuseme­nt, minoritair­e.

Prévention insuffisan­te

Pour le reste, les Africains fument peu et boivent moins d’alcool que la moyenne mondiale. Leurs pathologie­s nouvelles ressemblen­t de plus en plus aux nôtres. La maladie du sommeil disparaît et les cancers se multiplien­t, en partie à cause du vieillisse­ment de la population, alors que la cancérolog­ie est quasiment inexistant­e dans de nombreux pays. Les guérisseur­s traditionn­els sont en recul même s’ils promettent la fin des tumeurs, de la tuberculos­e et du Sida. Ce dernier est, Dieu merci, en forte baisse, alors que l’insuffisan­ce rénale est de plus en plus mortifère et tue des millions d’Africains dans l’indifféren­ce générale. Le paludisme est moins fréquent mais la typhoïde est encore très présente à cause de la mauvaise qualité de l’eau et de certains aliments. En France, il faut remonter à 1906 pour retrouver une grande épidémie de typhoïde dont de nombreuses infirmière­s de l’hôpital Tenon furent les victimes. Aujourd’hui, en Afrique, il vaudrait mieux dépenser un peu d’argent pour purifier l’eau que beaucoup d’argent pour soigner les malades. La prévention demeure insuffisan­te. Bref, la santé des Africains, surtout subsaharie­ns, ne correspond pas à l’idée que s’en font les Européens. Ceux-ci n’imaginent pas des pays sans sécurité sociale où l’on doit payer ou mourir. Parfois, on consulte un aide-soignant qui se dit médecin, ou l’on écoute l’excellente émission médicale de RFI, l’une des plus suivies de l’antenne. Et beaucoup rêvent de l’Europe et de sa “sécu”, quitte à demander à des hommes politiques français de nombreux et dispendieu­x rapports sur une future assurance maladie de tel ou tel pays africain qui ne voit jamais le jour. Il n’y a rien de plus terre à terre que de promettre la lune aux Africains, cela rapporte gros et ne coûte rien.

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