Start-up de technologies financières
Séduisantes sur le papier, pas tout à fait mûres dans la réalité
Les Fintechs représentent une part croissante des investissements du private equity, qui apportent des fonds mais aussi du conseil et un
soutien humain. Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à vouloir participer à ces
aventures excitantes Les Fintechs suscitent un engouement généralisé avec des investissements en hausse de 75 % à l’échelle mondiale en 2015. Ces entreprises proposent des innovations dans le secteur de la banque et de la finance, lequel a longtemps justifié d’un cadre réglementaire complexe pour éviter de se remettre en question. Les acteurs traditionnels sont désormais en veille active, se méfiant des potentiels concurrents et souhaitant accéder à la digitalisation du marché. Souvent créées par d’anciens cadres expérimentés, les Fintechs ont toutefois du mal à faire émerger des idées rentables, et sont sans doute vouées à croître ou être absorbées.
ESOLANGE BROUSSE n 2015, le secteur des Fintechs a suscité un engouement généralisé : les investissements ont augmenté de 75 % à l’échelle mondiale pour atteindre 22,3 milliards de dollars, poussés par le dynamisme en Europe et en Asie, selon le groupe de conseil Accenture. En France, l’investissement a bondi de plus de 750 %, passant de 22 millions à 189 millions de dollars. Que sont au juste les Fintechs ? Des “technologies financières”, pour Accenture. Maxime Dubreil, analyste financier en charge du secteur du paiement chez Invest Securities, précise : “Une Fintech est une entreprise qui utilise la digitalisation et la technologie pour apporter une offre innovante dans l’industrie financière et ses métiers : paiement, crédit, marché de capitaux, assurances, gestion d’actifs”. Les Fintechs représentent une part croissante des investissements du private equity, qui apportent des fonds mais aussi du conseil et un soutien humain. Les investisseurs sont de plus en plus nombreux à vouloir participer à ces aventures excitantes. L’attrait envers ces start-up est d’autant plus prononcé que l’industrie financière a longtemps privilégié l’attentisme. “Elle était en retard, souligne Maxime
Dubreil. Le cadre réglementaire était contraignant et offrait aux banques une situation de monopole. L’UE s’est rendu compte qu’il constituait une entrave à la concurrence et le fait évoluer, ce qui permet l’arrivée de nouveaux entrants. C’est pour cette raison que les Fintechs se développent à un rythme soutenu et vont continuer à le faire.” Pour Bruno Fine, fondateur de Roche-Brune Asset Management, l’essor des Fintechs marque le vrai point de départ de la quatrième révolution industrielle. “Nous l’avons associé à la bulle Internet mais en réalité, elle n’intervient qu’une quinzaine d’années plus tard, explique-t-il. Les Fintechs ont fait comprendre au monde entier que la digitalisation entraînait la disruption économique.”
L’ancienne école en veille active
Les premières Fintechs, les banques en ligne, ont longtemps peiné à recruter des utilisateurs.
“La banque en ligne s’est appuyée sur une infrastructure digitale à la structure de coûts moindre, décrit
Maxime Dubreil. Elle a remis les utilisateurs au centre du jeu, avec une vraie valeur ajoutée en termes d’usage, pour un prix moindre. Ce sont les Fintechs 1.0.” Mais le succès s’est fait attendre. “Créées au milieu des années 2000, elles n’ont convaincu qu’au début des années 2010, rappelle Maxime Dubreil. Dans ce secteur, le client aussi est réticent face au changement.” Les banques traditionnelles, en veille active, lorgnent désormais les Fintechs qui leur permettraient d’accéder à la digitalisation du marché. Sans toute fois investir réellement dans l’innovation. “Elles commencent à avoir peur des moyens de paiement de Google ou d’Amazon, explique Georges Viglietti, cofondateur de la plateforme de crowdequity Sowefund, une Fintech qui
finance des start-up. Le Crédit Agricole a créé un incubateur, Le Village by CA. Mais elles investissent en général très peu d’argent, attendent plutôt de voir qui réussit et qui échoue… Elles s’impliquent à partir du moment où elles repèrent un leader du marché, assez mûr.”
Sowefund a elle-même reçu
“Une Fintech est une entreprise comme une autre : il faut trouver des clients, faire du chiffre d’affaires, rembourser la dette. Or permettre de payer de petites sommes en ligne, c’est pratique mais ce n’est pas forcément
une idée rentable” Selon Accenture, les Fintechs disruptives sont désormais moins nombreuses que les Fintechs collaboratives.
la visite de toutes les grandes banques, tout comme la plateforme de crowdfunding Raizers. Elles ont toutes les deux obtenu le statut de Conseiller en Investissement Participatif (CIP) après un examen par l’AMF. “Nous avons rencontré les troisquarts des banques françaises et suisses, révèle Grégoire Linder, fondateur de Raizers. Dans les prochaines années, la moitié des plateformes seront rattachées à une banque. Mais pour le moment les grands acteurs ont des difficultés à se mobiliser.”
Cadres de banque expérimentés Même si le cadre réglementaire évolue, il est plus facile de disrupter l’industrie financière quand on en a fait partie. C’est la raison pour laquelle de nombreuses Fintechs ont été fondées par d’anciens professionnels de la banque. “Presque tous mes concurrents sont issus du secteur bancaire, reconnaît Georges Viglietti, de Sowefund. Peu de jeunes entrepreneurs se lancent dans cette aventure à la sortie de leur école de commerce. Il faut savoir comment le système marche, quelles sont les fastidieuses démarches administratives…” “Les créateurs de Fintechs ne sont pas forcément des entrepreneurs expérimentés, mais ce sont des cadres ou des dirigeants expérimentés, résume Antoine Baschiera, CEO de la Fintech Early Metrics, une agence de notation des start-up à destination des investisseurs. Ils arrivent avec une expertise métier très forte. Ils apportent une réponse à un problème identifié en amont. Ils ont un réseau de clients et de partenaires.” “Les banques étant en surcapacité, il y a un phénomène de migration sociale, renchérit Bruno Fine. Des talents quittent la maison-banque pour proposer un nouveau système de création de valeurs.”
Un problème de rentabilité
Néanmoins, en dépit de ce contexte, les Fintechs font face à quelques difficultés. Elles supportent par exemple des coûts
fixes importants. “Bande passante, système anti-intrusion : les actifs digitaux et immatériels sont lourds,
confirme Bruno Fine. Une Fintech est une entreprise comme une autre : il faut trouver des clients, faire du chiffre d’affaires, rembourser la dette. Or permettre de payer de petites sommes en ligne, c’est pratique mais ce n’est pas forcément une idée rentable.”
Les Fintechs lèvent donc beaucoup d’argent mais les business plans ne sont pas toujours bien tenus… Si la digitalisation facilite le travail de captation client, il existe un taux de rotation client élevé, donc un risque “d’infidélité” de leur part, selon Bruno Fine. D’après Early Metrics, les Fintechs restent des sociétés à
suivre : “Nous en avons noté plus de 100 entre Paris et Londres, mais ce ne sont pas les mieux notées”,
nuance Antoine Baschiera. “Les propositions ne sont pas encore révolutionnaires, analyse Maxime
Dubreil. Leetchi, par exemple, sera sans doute beaucoup plus qu’une simple cagnotte. L’idée n’est pas suffisamment rentable, bien que séduisante sur le papier. Il faudrait proposer une infrastructure plus globale, avec une intégration de bout en bout, recruter des centaines de milliers d’utilisateurs… Les Fintechs vont avoir le choix entre grossir et se faire racheter.”
Pour les investisseurs audacieux, attention à avoir une bonne lecture du risque. “Le crowdequity permet d’investir, mais c’est très risqué !, avertit Maxime Dubreil. Mieux vaut avoir cinq ou six projets diversifiés.” D’ailleurs, les plateformes de crowdequity sont elles-mêmes assez
prudentes : “Beaucoup de Fintechs tapent à nos portes, mais peu sont finalement financées chaque année,
estime Georges Viglietti. Elles ont du mal à se différencier et proposent des concepts similaires, comme ‘scanner les réseaux sociaux pour vendre de l’analyse des marchés financiers’. L’intérêt est dilué, il est difficile de faire un choix…”. Et lorsque le concept est très technique, les investisseurs se font tout aussi prudents.
Disruptives ou collaboratives ?
De même, la plateforme Raizers préfère proposer des entreprises dans le secteur BtoC ou BtoBtoC. “Pour investir dans une entreprise, il faut comprendre le concept du business, éclaire Grégoire Linder. Une entreprise qui fabrique des montres sera plus attractive qu’un logiciel de gestion pour salles des marchés, un sujet difficile pour un investisseur non spécialiste.” “Il faut laisser leurs chances aux Fintechs, plaide toutefois Bruno
Fine. Ces start-up ne sont peut-être pas encore rentables ou solvables, mais vont développer un savoirfaire puis seront rachetées par un
grand groupe.” Elles représentent peut-être un accès à la digitalisation dans un environnement qui a tardé à innover. Certaines (bonnes) idées pourraient ainsi se révéler totalement révolutionnaires et devenir de vraies concurrentes des banques traditionnelles, comme le souligne Anaïs Richardin, rédactrice en chef du site d’information spécialiste de la French Tech, Maddyness (cf. encadré). Mais elles sont peu nombreuses. Selon Accenture, les Fintechs disruptives sont désormais moins nombreuses que les Fintechs collaboratives. “La digitalisation offre un service nouveau associé à une action commerciale, conclut Bruno Fine. Mais dans la finance, avoir une bonne lecture du risque est toujours nécessaire. L’intermédiaire, le professionnel du risque, reste incontournable. Les Fintechs apporteront néanmoins plus de transparence et de compétition. L’excellence doit être le moteur et la comparaison sera fatale aux moins bons.”