Paul Fabra
Ex-éditorialiste au Monde : “Le système a cessé d’être économique pour devenir financier”
Paul Fabra,, ex- éditorialiste au Monde et chroniqueur aux Échos, ne fait pas que pointer la superfinanciarisation comme étant à l’origine de tous nos maux, il en nomme le coupable : la dérive des déficits publics. Cet endettement
Ex- editorialiste au Monde et chroniqueur aux Echos
met dans les mains de l’État la création monétaire, ce qui pousse, via la diffusion des titres d’emprunts publics dans les mains du secteur bancaire, à une excroissance de la finance à des fins non productives. On se retrouve, explique Paul Fabra, comme dans une économie de guerre qui connaît un gonflement du secteur de l’armement au détriment du secteur civil. Résultat : l’émergence d’un capitalisme sans capital, puisque la part des fonds propres ne représentent plus bien souvent qu’à peine 10 % du bilan des grandes sociétés. Or sans capital, les entreprises fragilisées s’exposent au risque de faillite, rappelle Paul Fabra. L’économiste critique le primat donné à partir des années 70 à la quête exclusive du profit à la suite des travaux de Milton Friedmann. Il se montre aussi critique – ou lucide – sur la possibilité même d’un pacte social entre le capital et le travail, qui sont dans une relation par trop déséquilibrée du fait de la situation de sousemploi dans laquelle le système semble durablement installé.
Le pacte social est une expression qui sonne bien mais qui n’est là que pour essayer de suppléer au drame que notre économie capitaliste marche mal. Jusqu’au début des années 70, le fait que les salaires devaient augmenter d’eux- mêmes était une évidence, selon le principe que la génération future devait être mieux lotie que la précédente. C’était une formidable incitation au travail. Illusoire pacte social en situation de sous-emploi Le plein- emploi est beaucoup plus qu’une affaire de statistique. Il faut toujours se méfier des statistiques, qui sont loin de représenter la réalité. Dans une société de sous- emploi, la psychologie des salariés et des employeurs est totalement différente. Sous- emploi est synonyme d’aliénation, selon le grand thème marxiste, c’est- à- dire que les gens n’appartiennent pas à euxmêmes. Le pacte social s’élabore pour essayer de corriger la situation créée par le sous- emploi permanent. Le marché du travail change de nature en fonction de l’emploi. En situation de plein-emploi, le salarié ne dépend pas de son employeur car il peut retrouver du travail. Les gens “gagnent leur vie la tête haute”, disait-on. Tel n’est plus le cas maintenant. Nous sommes dans une situation inégale entre le salarié et le chef d’entreprise. Qu’y a- t- il à négocier dans le cadre d’un pacte ? L’emploi et les salaires dépendent de la conjoncture économique. On ne peut pas rééquilibrer une situation fondamentalement déséquilibrée. Elle est tolérée uniquement parce qu’il n’y a pas d’autre solution. Le pacte social vise à pallier ces déficiences. On a commencé à croire au début des années 70 à la “new economic”, qui a postulé avec Milton Friedman que le but exclusif des entreprises est l’augmentation des profits. Une totale nouveauté posée comme un principe. Dans une économie d’échanges, l’activité des entreprises se traduit par une distribution de profits et de salaires. Il n’est pas écrit que les salaires ne doivent pas augmenter. Mais aujourd’hui, c’est le contraire qui est préconisé. Rien n’est mieux pour faire augmenter le cours de bourse que d’annoncer un plan de licenciements économiques, qui est un moyen extraordinaire pour faire pression sur les salaires. Si le pacte n’est pas signé par des partenaires placés sur un pied d’égalité, c’est une façon pour une partie d’imposer son point de vue aux autres parties. C’est aussi le modèle de la Silicon Valley qui fait tant envie à nos dirigeants et dans lequel le salariat est banni. On parle de flexisécurité. C’est antinomique. La flexibilité consiste à demander aux salariés de se préparer à des
changements permanents. Et cette flexibilité suppose intrinsèquement une dose d’insécurité. La flexibilité est antinomique à la sécurité. Cette situation a une relation directe avec la situation des entreprises qui se financent de plus en plus par la dette. L’employeur va hésiter à procéder à un recrutement à durée indéterminée avec de l’argent qu’il va emprunter. ‘ The Economist’ avait fait, il y a une vingtaine d’années, un supplément sur le secret de la réussite de l’économie allemande. Réponse : le fait d’avoir de la main-d’oeuvre en surplus qui lui permet de réagir à la reprise des commandes. La vraie flexibilité devrait résider dans une main-d’oeuvre stable et en surplus.
L’économie de guerre
L’excroissance de la finance s’illustre par un chiffre : le total du bilan de la plus grande banque française, la BNP, équivaut au PIB de la France. Les bilans bancaires additionnés des grandes banques forment un multiple du PIB hexagonal. La super-financiarisation n’a qu’une seule origine : le déficit. Une remise en perspective s’impose ici. Au début de la Première guerre mondiale, le professeur Paul Leroy- Beaulieu avait fait le pronostic que cette guerre serait courte. Un pronostic établi sur l’idée qu’elle coûterait trop cher pour être financée. Le professeur n’était pas sorti du modèle d’une économie de paix, de l’économie de marché qui sert de modèle en temps de paix, dans laquelle par définition il n’y a pas de déficit puisque lorsque les entreprises font des pertes, elles font faillite. Et ce sont les acteurs économiques qui, par leurs initiatives, créent de la monnaie. Mais l’économie de la dette est un tout autre monde. L’initiative de créer de la monnaie vient de l’État et pour donner à l’armée ce qu’elle réclame, le gouvernement décide d’augmenter ses dépenses. Et depuis lors, on vit sur ce modèle d’une économie de guerre qui est antinomique avec le modèle de l’économie de marché. Dans une économie de guerre, toute la production est orientée à des fins militaires, ce qui ne laisse rien à l’économie civile. L’armement est détruit sur le champ de bataille, contrairement à l’économie d’échanges qui se reconstitue au fur et à mesure en s’autofinançant. Eh bien aujourd’hui, de la même façon, l’endettement pousse au développement de la finance à des fins non productives.
Un capitalisme sans capital n’est pas opérant
Aujourd’hui, l’État le plus déficitaire est celui des États-Unis qui sont en déficit quasi statutairement. Mais la France apporte aussi sa contribution en étant en déficit permanent depuis 46 ans. Dans notre pays, le circuit est magnifiquement organisé avec le travail de l’Agence France Trésor. Dans l’entredeuxguerres, le débat de savoir s’il était normal que les banques privées achètent des bons du Trésor a été posé chez les économistes, qui répondaient en général que non. Le circuit est diabolique : l’État emprunte en émettant des titres, ces derniers sont achetés par des banques et sur cette base, elles créent elles- mêmes de la monnaie, ce qui élargit considérablement la source de création monétaire. Une source qui n’est plus économique et qui va financer les activités boursières. On n’est pas dans le circuit du crédit à l’économie productive. Et c’est un processus sans fin puisque les titres émis qui doivent être remboursés par un nouvel emprunt… Ce déficit permanent crée une sorte de pouvoir d’achat bis via les emprunts du Trésor. Et la BCE rachète même ces titres aux banques sous le prétexte fallacieux de soutenir l’activité économique. Ce pouvoir d’achat n’a rien à voir avec le financement de l’économie. Il est branché sur les opérations de fusions et d’acquisition dont une opération sur deux ne donne aucun résultat. Or le montant de ces opérations est considérable, près de 5 000 milliards d’euros, soit l’équivalent de deux fois le PIB hexagonal qui concerne plus de 60 millions d’individus. Mais combien de gens en comparaison vont se partager les profits boursiers de ce genre d’opérations ? Quelques milliers au maximum… des gens assurément doués qui disposent d’un outil pour faire valoir leur génie financier dans des proportions jamais vues. Cet échafaudage n’est pas tenable et débouchera sur un clash. Le système financier a cessé de jouer son rôle principal de financer les projets réels, et a été remplacé par un autre système vivant en vase clos sur les plusvalues financières. Tout repose sur le caractère sacré des bons du trésor. Un élément de fragilité extraordinaire. Le système a cessé d’être économique pour devenir exclusivement financier. Dans le souci de concentrer les profits sur quelques actionnaires, la structure de bilan des grandes entreprises est de plus en plus déséquilibrée : les fonds propres ne représentent plus que 10 % et parfois moins de ce bilan. Avec un endettement dix fois plus élevé que le capital, la solidité des entreprises est fortement remise en cause. Le capitalisme, cela se fait avec du capital. Un capitalisme sans capital n’est pas opérant. D’où pourrait venir ce capital ? C’est très simple. Une politique budgétaire de strict équilibre orienterait l’épargne des ménages vers les entreprises et non plus vers les titres publics.