Le Nouvel Économiste

11 millions de km2

La France possède la deuxième zone économique exclusive maritime de la pplanète derrière les États-Unis. Mais le sait-elle ?

- PHILIPPE PLASSART

À côté du blanc et du rouge, le bleu devrait être assurément la couleur dominante du drapeau tricolore de la France, domaine maritime oblige. Les Français n’en ont toujours pas vraiment conscience : par la grâce d’un traité internatio­nal de 1982, élaboré sous l’égide de l’ONU à Montego Bay, station balnéaire de la Jamaïque, notre pays a multiplié d’un seul coup, d’un seul, 17 fois sa taille ! La raison de ce miracle ? L’annexion aux 675 000 km2 du territoire métropolit­ain et ultra-marin d’une zone économique exclusive maritime (ZEE) de plus de 11 millions de km2. Un véritable “don” de la nature, puisqu’il donne à son propriétai­re l’autorisati­on d’une exploitati­on exclusive des ressources de la mer et des fonds marins jusqu’à une distance de 200 milles marins du rivage. Les Français peuvent dire merci à un héritage géographiq­ue à nul autre pareil...

À côté du blanc et du rouge, le bleu devrait être assurément la couleur dominante du drapeau tricolore de la France, domaine maritime oblige. Les Français n’en ont toujours pas vraiment conscience : par la grâce d’un traité internatio­nal de 1982, élaboré sous l’égide de l’ONU à Montego Bay, station balnéaire de la Jamaïque, notre pays a multiplié d’un seul coup, d’un seul, 17 fois sa taille ! La raison de ce miracle ? L’annexion aux 675 000 km2 du territoire métropolit­ain et ultramarin d’une zone économique exclusive maritime (ZEE) de plus de 11 millions de km2. Un véritable “don” de la nature, puisqu’il donne à son propriétai­re l’autorisati­on d’une exploitati­on exclusive des ressources de la mer et des fonds marins jusqu’à une distance de 200 milles marins

Aucun expert ne s’est risqué jusqu’ici à fournir une évaluation de la valeur de cet actif dont l’immensité – et surtout sa dispersion – pose un double et redoutable problème d’exploratio­n/exploitati­on et de sécurisati­on

du rivage (370 km). Les Français peuvent dire merci à un héritage géographiq­ue à nul autre pareil. Il y a évidemment en premier lieu la longueur du littoral métropolit­ain qui s’étire sur plusieurs milliers de kilomètres en bordure de trois mers (Manche, océan Atlantique, et Méditerran­ée). Mais ce pourtour ciselé de nos côtes si fameux d’un point de vue touristiqu­e n’explique qu’une infime partie – moins de 5 % – de l’immensité de notre zone économique exclusive. Les 95 % restants proviennen­t des “ppossessio­ns” tricolores outre-mer. Ile de la Réunion et îles Éparses dans l’océan Indien, Polynésie française, Wallis-et-Futuna, Clipperton dans le Pacifique, Saint-Pierre-etMiquelon dans l’océan Atlantique, îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, Archipel des Crozet à proximité de l’Antarctiqu­e… ces territoire­s et autres confettis dispersés aux quatre coins des océans confèrent à notre pays, de facto grâce à la zone économique exclusive qui leur est attachée, le statut de puissance maritime de premier plan, faisant quasiment jeu égal par sa superfipci­e avec celle d’un autre géant des mers, les États-Unis. Mieux, en prenant en compte l’extension possible de la zone jusqu’au bout du plateau continenta­l quand ce dernier va au-delà des 200 miles – soit potentiell­ement 1 million de kilomètres carrés supplément­aires – la France se retrouve à la tête du plus grand domaine sous-maritime au monde. Or la France a longtemps détourné le regard devant cette masse d’eau dont au fond, elle ne percevait pas l’utilité, cédant à de multiples occasions dans son histoire à un tropisme continenta­l. Cet atavisme terrien a perduré jusqu’à récemment : il est significat­if que la France ait attendu presque une quinzaine d’années pour ratifier en 1996 le traité de Montego Bay qui reconnaiss­ait pourtant ses droits sur plus de 11 millions de kilomètres carrés… Ce manque d’intérêt est aujourd’hui définitive­ment révolu et le point de vue a radicaleme­nt évolué. Hier perçus comme une masse informe voire menaçante, ils sont devenus aujourd’hui un actif essentiel à valoriser. Et même à… défendre ! Les convoitise­s étrangères sur certaines de nos zones et les ambitions maritimes affichées sans complexe par les autres pays ont sans nul doute accéléré cette prise de conscience. La France est plus prompte désormais à protéger son patrimoine dès lors que d’autres pays tentent de lui en ravir une part. Pour défendre ses côtes, notre pays a adopté un schéma de coordinati­on et d’unité de commandeme­nt qui a fait ses preuves. Il lui reste à se déployer plus largement sur le plan diplomatiq­ue, économique mais aussi culturel, pour sortir de l’incantatio­n maritime – certes indispensa­ble pour galvaniser les troupes – afin de tirer concrèteme­nt les pleins bénéfices du dividende maritime que constituen­t ces zones économique­s exclusives.

Ressources considérab­les

Tout le monde en est aujourd’hui persuadé, la mer contient une quantité de ressources considérab­les. Et la France compte bien en tirer sa part, au moins au prorata de ses possession­s. Mais entre le déjà palpable, le potentiel pour demain et le virtuel pour aprèsdemai­n, il est toutefois difficile de faire la part des choses entre ce qui relève du fantasme ou de la réalité. Aucun expert ne s’est risqué jusqu’ici à fournir une évaluation de la valeur de cet actif dont l’immensité – et surtout sa dispersion – pose un double et redoutable problème d’exploratio­n/exploitati­on et de sécurisati­on. Les ressources halieutiqu­es sont de loin les mieux cernées. Les eaux françaises, de par leur extrême variété géographiq­ue, regorgent de poissons divers aux noms exotiques (longines et autres holothurie­s). Il y a en second lieu des gisements pétroliers au large de la Guyane et de Wallis-etFutuna, mais dont la valeur semble quelque peu compromise par les nouvelles règles Hulot des permis d’exploratio­n. Les fonds marins recèlent quantité d’autres trésors. Nodules polymétall­iques, croûtes cobaltifèr­es et autres amas sulfureux constituen­t à coup sûr un eldorado potentiel. Dans la zone Clarion-Clipperton, dans le nordest du Pacifique, il y aurait près de 7,5 milliards de tonnes de croûtes cobaltifèr­es. L’océan loge aussi des bactéries précieuses pour la recherche médicale et plus généraleme­nt pour les biotechnol­ogies marines, des filières d’avenir… Mais l’exploratio­n et l’exploitati­on des fonds marins coûtent cher et les opérateurs cherchent à le faire à des coûts abordables. D’autant que les préoccupat­ions écologique­s de préservati­on de l’environnem­ent dans les aires maritimes protégées sont de plus en plus fortes. Certains pays vont jusqu’à renoncer à donner des autorisati­ons d’exploratio­n, jugeant les retombées économique­s trop incertaine­s au regard des dégâts portés à l’environnem­ent

sous-marin.

On ne protège pas un domaine maritime comme la terre

L’autre enjeu est celui de la surveillan­ce et du contrôle de toutes ces ressources. Contrôler, c’est éviter l’utilisatio­n illégale par d’autres des richesses économique­s de la zone, par exemple pour la pêche. “Nous avons des lieux très sensibles de pêche illégaleg en Guyane,y, autour des îles Éparses, au large de laNouvelle­p Calédonie et des Terres australes et antarctiqu­es”, explique Vincent Bouvier, secrétaire général de la mer. Il existe d’autres menaces non spécifique­s aux ZEE mais qui ne les épargnent pas non plus : le terrorisme, les trafics, la piraterie. “La souveraine­té maritime, à partir du moment où l’on admet que le XXIe siècle sera le plus maritime de l’histoire, est essentiell­e partant du principe que les pays qui auront le plus beau jardin maritime seront au rendez-vous de cette maritimisa­tion. Mais un jardin maritime n’est pas comme un jardin terrestre entouré par des barrières”, analyse Frédéric Moncany de Saint-Aignan, président du Cluster maritime français. On ne protège pas un domaine maritime comme la terre. Notre pays ne dispose pas de corps spécifique de garde-côtes. Il a choisi de coordonner tous les moyens en mer à dispositio­n : douanes, police des pêches, Marine nationale, sous

“La souveraine­té maritime, à partir du moment où l’on admet que le XXIe siècle sera le plus maritime de l’histoire, est essentiell­e partant du principe que les pays qui auront le plus beau jardin maritime seront au rendez-vous de cette maritimisa­tion. Mais un jardin maritime n’est pas comme un jardin terrestre entouré par des barrières”

l’égide du secrétaria­t général de la mer (rattaché au Premier ministre) et localement des préfets maritimes, ces derniers étant des amiraux ayant la double fonction civile et militaire. Les moyens militaires sont de plus en plus souvent sollicités car les “événements” de mer (trafic, piratage), qui impliquent de plus en plus souvent des moyens de coercition assez durs. La Marine nationale représente­p 75 à 80 % de l’action de l’État en mer.

L’aiguillon des convoitise­s étrangères

L’aiguillon qui pousse la France à s’intéresser à sa zone économique exclusive – et à y investir – est l’évolution rapide de la donne maritime dans le monde. C’est une réalité chaque jour plus observable : la bataille navale entre puissances maritimes a commencé pour élargir les zones d’influence et de contrôle stratégiqu­es en mer. Les escarmouch­es sont déjà très sérieuses en mer de Chine, où l’on voit les Chinois aller jusqu’à construire des îlots artificiel­s pour asseoir leurs revendicat­ions en mer ! La ZEE de la France et sa délimitati­on ne sont pas épargnées par ces turbulence­s. “Les lignes de partage entre pays des ZEE peuvent faire apparaître des chevauchem­ents qui sont gérés par des principes dont la mise en oeuvre n’est pas forcément consensuel­le. D’où, comme par le passé, d’âpres négociatio­ns

avec l’Espagne autour du golfe de Gascogne et avec le Canada autour de

Saint-Pierre-et-Miquelon”, explique Vincent Bouvier. Parfois, la contestati­on monte d’un cran et c’est la légitimité même de la France sur telle ou telle île qui est sur la sellette. Clipperton dans le Pacifique est revendiqué­eq ppar le Mexique,q, les îles Éparses dans le canal du Mozambique par Madagascar. De même, l’appartenan­ce à la France de plusieurs “cailloux” au large de la Nouvelle-Calédonie – Matthews et Hunter – est remise en cause par le Vanuatu voisin. Avec dans tous ces cas une menace de perdre plusieurs milliers de kilomètres carrés. Autre cas non encore résolu, celui l’îlot Tromelin dans l’océan Indien revendiqué par l’île Maurice. Les autorités françaises ont proposé aux Mauriciens une cogestion de la ZEE, mais le Parlement… français n’a pas ratifié cette solution au motif qu’elle entraînait une perte de souveraine­té.

Diplomatiq­ue, militaire et culturelle : une stratégie à trois dimensions

La mise en valeur et la protection de notre ZEE sont donc, on le voit, un sujet global. Diplomatiq­ue au premier chef, puisqu’il s’agit de défendre nos intérêts nationaux de notre espace maritime. Un bon point : la France a engagé des demandes d’extension de sa zone économique jusqu’à son plateau continenta­l auprès de l’ONU, et a déjà élargi son domaine de 500 000 kilomètres carrés. 500 000 km2 supplément­aires sont gagnables…g Plus inquiétant,q, les services juridiques de l’Étatdoig vent suivre de très près la jurisprude­nce des arbitrages internatio­naux rendus sur les contentieu­x maritimes. Un jugement récent dans une affaire opposant les Philippine­s et la Chine pourrait fragiliser en effet les positions françaises, puisqu’il postule que les îlots justifiant la paternité d’une ZEE doivent permettre à minima une vie humaine sur eux. Or un certain nombre des “cailloux” français

sont inhabités ou n’abritent parfois par exemple qu’une simple station météo. Militaire ensuite. La France n’a pas les moyens des États-Unis pour protéger une ZEE quasi équivalent­e en superficie. Elle doit donc faire des choix pour maximiser l’utilisatio­n de ses moyens

plus limités. “La fonction garde-côte relève d’un travail de coordinati­on mené au quotidien pour évaluer la sensibilit­é des zones. Il n’y a pas de sélection a priori : toutes les zones sont considérée­s comme sensibles. Une certitude : les menaces augmentant au moment où les moyens diminuent,

il faut trouver des solutions originales”, explique Vincent Bouvier. Un exemple : l’Astrolabe brise-glace naviguant en Antarctiqu­e, bien qu’équipé et armé par la marine, est utilisé de façon partagée. Mais au-delà des impératifs diplomatiq­ues et de défense, le potentiel de la zone économique exclusive de la France ne se déploiera totalement que si l’ensemble des acteurs concernés, du secteur privé aux politiques, se l’approprie complèteme­nt. Et sur ce dernier terrain, la bataille est avant tout culturelle.

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