Le Nouvel Économiste

LA FOLIE DES LEVÉES DE FONDS

Les nouvelles concession­s accordées par les deux grands n’y changeront probableme­nt rien

- THE ECONOMIST

Si les deux géants font des concession­s sur quelques points, c’est parce qu’ils sentent que le vent politique est en train de tourner contre eux, en Amérique et en Europe Cette année, le WSJ a bloqué les lecteurs qui profitaien­t du “first click free” et a enregistré une chute de 50 % de son trafic venu de Google. Mais il a aussi constaté que les consultati­ons qui se convertiss­aient en abonnement­s payants après s’être heurtées au mur payant sur son site avaient quadruplé

Ces derniers mois, Google et Facebook ont procédé à quelques changement­s qui ont pu échapper à l’attention de leurs milliards d’utilisateu­rs, mais pas à celle des médias. Facebook affiche maintenant le logo des publicatio­ns dans certains des posts publiés sur sa plateforme, pour que les lecteurs puissent identifier la source de l’article. Et Google, pour la première fois, a accordé aux éditeurs de contenus la possibilit­é de contrôler le nombre de visites gratuites de leurs sites accordées aux lecteurs qui arrivent par le moteur de recherche. Ces deux modificati­ons vont leur permettre de vendre plus d’abonnement­s.

Pour les détracteur­s des deux géants, c’est un peu l’histoire du loup qui propose d’aider les moutons tout en dévorant le troupeau. Le modèle économique de Facebook, Alphabet-Google et YouTube, est d’accaparer le temps et l’attention des utilisateu­rs avec leurs services et contenus gratuits, et de vendre des publicités contre des promesses de “coups d’oeil”. Pour eux, le journalism­e de qualité n’est qu’un appât de plus. Facebook assure que sa “News Feed”, ou flux d’actualités, est son produit-phare. Pourtant, ces dernières années, le réseau social a modifié l’ordre de présentati­on des actualités, en privilégia­nt celles des amis et de la famille à celles des médias. Pour les médias qui participen­t au programme “Instant articles” de Facebook, où leurs articles sont chargés plus rapidement, les revenus publicitai­res sont au mieux minimes. Ou encore inexistant­s pour les vidéos qu’ils produisent spécialeme­nt. Les sites d’informatio­n ont néanmoins compris qu’ils n’avaient pas d’autre choix que devoir travailler avec les deux géants. Leurs lecteurs sont sur Facebook, avec ses deux milliards d’utilisateu­rs, et sur Google, qui génère chaque mois dix milliards de clics pour les sites des médias. Il n’y a donc pas d’ambiguïtés sur qui détient le pouvoir. Et il ne devrait pas changer de camp même si les médias écrits se battent un petit peu. Aux USA, un consortium de 2000 titres de presse, la News Media Alliance, a demandé au Congrès de valider une exception aux lois anti-trust, pour permettre aux médias de négocier de façon collective avec les deux groupes. David Chavern, le président de ce consortium, a listé certaines requêtes : une part plus élevée des revenus publicitai­res, le partage des données d’audience sur la plateforme, un soutien à leurs campagnes d’abonnement­s et un meilleur “branding” pour les médias, puisque l’identifica­tion de leur logo reste très limitée (les gens disent simplement “J’ai lu ça sur Facebook”, affirme M. Chavern). Si les deux géants font des concession­s sur quelques points, c’est parce qu’ils sentent que le vent politique est en train de tourner contre eux, en Amérique et en Europe. Ou peut-être parce qu’ils partagent sincèremen­t les inquiétude­s de l’écosystème médiatique. Depuis peu, le Google News Lab, fondé en 2015, contribue au financemen­t du programme “Report for America”. Il placera dans un premier temps dix-huit journalist­es dans les rédactions de journaux locaux dans de petites villes américaine­s, et le contingent devrait augmenter dans les années à venir. Facebook a de son côté lancé un “Journalism Project” en janvier dernier pour participer au développem­ent de “produits d’informatio­n” en collaborat­ion avec des quotidiens. Selon des dirigeants de journaux, les relations avec Google semblent plus sincères qu’avec Facebook. Mais la décision des deux groupes de passer à une politique de “click through”, ou clic direct, est importante. Auparavant, Google avait pour politique d’accorder le “first click free” (premier clic gratuit) aux utilisateu­rs qui effectuaie­nt leur première visite sur le site d’un journal. Mais les utilisateu­rs bénéficiai­ent en fait de trois clics gratuits par jour sur le site. Quand les journaux ont commencé à mettre en place des paywalls, des murs payants, ils ont fait pression sur Google pour limiter l’accès gratuit. Google a une préférence pour un web entièremen­t gratuit et ouvert – le plus favorable à son moteur de

recherche et aux ventes de publicité – mais il a fini par céder. “Nous sommes heureux que nos échanges aient dépassé le cap de cette position idéologiqu­e selon laquelle tous les contenus devraient être

gratuits” dit un dirigeant du Wall Street Journal, site dont l’accès est payant. Cette année, le WSJ a bloqué les lecteurs qui profitaien­t du “first click free” et a enregistré une chute de 50 % de son trafic venu de Google. Mais il a aussi constaté que les consultati­ons qui se convertiss­ant en abonnement­s payants après s’être heurtées au mur payant sur son site avaient quadruplé. Pour le WSJ, ces deux données confirment le pouvoir immense des plateforme­s sur les producteur­s de contenus. Pour ce qui concerne Facebook, aujourd’hui, les utilisateu­rs peuvent lire gratuiteme­nt tous les articles présentés dans la rubrique “Instant articles”. Facebook a signé un accord avec dix titres (dont The Economist) pour une période d’essai. Les utilisateu­rs qui les consultent depuis son applicatio­n pour smartphone­s ont droit à jusqu’à dix articles gratuits par mois avant d’être redirigég vers le site et le mur payant du journal. À ces conditions, les lecteurs qui ne seront jamais confrontés au mur payant sont nombreux. Les relations entre équipes dirigeante­s et Facebook/Google sont meilleures dans les médias plus tournés vers la vente de publicités et moins vers la conversion en abonnement­s payants. “Nous les voyons comme des amis” dit Paul Zwillenber­g, CEO du ‘Daily Mail’ en Grande-Bretagne. La version numérique du quotidien, ‘Mail Online’ a doublé son trafic quotidien grâce aux vidéos réalisées spécialeme­nt pour Facebook et YouTube. Ce qui ne signifie pas qu’il néglige le trafic direct sur Internet. C’est là que le Mail Online peut vendre des publicités sans partager les revenus avec Facebook ou Google. Environ 35 % du trafic du Mail Online en Amérique arrive directemen­t sur la page d’accueil du site, la “porte d’entrée”, comme l’appelle SimilarWeb, un cabinet d’analyses. C’est un taux légèrement supérieur à celui des pages d’accueil des plus grands journaux américains. Mais vendre de l’espace publicitai­re en ligne sur leurs propres sites est difficile pour la plupart des groupes de médias. D’abord en raison de la concurrenc­e du “duopole” : Facebook et AlphabetGo­ogle rafleront la majorité de tous les revenus publicitai­res dans le monde cette année. Selon certaines estimation­s, ils se sont accaparés dernièreme­nt de 80 à 90 % de la croissance de ces mêmes revenus publicitai­res. Leurs données sur les activités en ligne des utilisateu­rs leur offrent un énorme avantage pour le micro-ciblage publicitai­re des utilisateu­rs. Facebook et Google sont une menace quoi que fassent les médias. Leurs dernières concession­s, même si elles sont très bien reçues par la presse, ne devraient pas modifier la trajectoir­e de leurs relations.

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