Le Nouvel Économiste

La juste redistribu­tion de valeur, un vieux rêve paysan

Le prix le plus bas ne peut pas être un juste prix

- JEAN-MICHEL LAMY

L’agricultur­e se meurt, vive le juste prix. Cette aspiration, sortie tout droit du Moyen-Âge, est en passe de devenir la prochaine révolution macronienn­e. En langage moderne, cela s’appelle construire un prix de vente fondé sur le coût de production. C’est un vieux rêve paysan. Pourquoi tout d’un coup deviendrai­t-il réalité ? Pour deux raisons. Tout d’abord, c’est la fin d’un cycle. Les acteurs de la filière agroalimen­taire sont en train de comprendre que le dogme du prix le plus bas conduit à la quasi-disparitio­n de la chaîne agricole française. Ensuite parce que Stéphane Travert, le ministre de l’Agricultur­e et de l’Alimentati­on, a réussi à inscrire le 14 novembre dernier cette prise de conscience dans une charte de bonne conduite pour des négociatio­ns commercial­es “loyales”. Elle est signéeg ppar toutes les pparties prenantes. À ce stade, ce n’est qu’un parchemin, mais les engagement­s g côté pparticipa­ntsp et côté État… engagent. La puissance publique mettra en effet son poids législatif dans la balance pour consolider le mouvement. Comme à l’accoutumée, Emmanuel Macron a fixé à l’ensemble du processus un calendrier exigeant. Tout doit être bouclé au plus tard en juin 2018. Malgré d’immenses obstacles, cette transforma­tion franco-française des relations commercial­es au sein du bloc agroalimen­taire a des chances de voir le jour...

L’agricultur­e se meurt, vive le jjuste pprix. Cette aspiration,p, sortie tout droit du Moyen-Âge, est en passe de devenir la prochaine révolution macronienn­e. En langage moderne, cela s’appelle construire un prix de vente fondé sur le coût de production. C’est un vieux rêve paysan. Pourquoi tout d’un coup deviendrai­t-il réalité ? Pour deux raisons. Tout d’abord, c’est la fin d’un cycle. Les acteurs de la filière agroalimen­taire sont en train de comprendre que le dogme du prix le plus bas conduit à la quasi-disparitio­n de la chaîne agricole française. Ensuite parce que Stéphane Travert, le ministre de l’Agricultur­e et de l’Alimentati­on, a réussi à inscrire le 14 novembre dernier cette prise de conscience dans une charte de bonne conduite pour des négociatio­ns commercial­es “loyales”. Elle est signéeg ppar toutes les parties prenantes. À ce stade, ce n’est qu’un parchemin, mais les engagement­sgg côté pparticipa­nts et côté État… engagent. La puissance publique mettra en effet son poids législatif dans la balance pour consolider le mouvement. Comme à l’accoutumée, Emmanuel Macron a fixé à l’ensemble du processus un calendrier exigeant. Tout doit être bouclé au plus tard en juin 2018. Malgré d’immenses obstacles, cette transforma­tion franco-française des relations commercial­es au sein du bloc agroalimen­taire a des chances de voir le jour. Ce sera aussi pour le président de la République un combat à prolonger sur le terrain du droit de la concurrenc­e au sein de l’Union européenne. Il s’agit de le rendre accommodan­t au juste prix. Ce sera autrement plus décisif et compliqué que l’affaire du travail détaché.

De Saint Thomas d’Aquin à Emmanuel Macron

Preuve s’il en était besoin de l’éclectisme du pouvoir, la théorie du juste prix remonte à Saint Thomas d’Aquin. Rien à voir avec la théorie classique de l’équilibre entre offre et demande, mais tout à voir avec l’idée que si le prix est inférieur à sa valeur, c’est le vendeur qui subit un préjudice. La valeur est alors une norme sociale qui s’apparente à une recherche du bien commun. Entre les “requins” de la grande distributi­on, les “affameurs” de l’industrie et les “filous” de l’agricultur­e, comment s’y prendre ? Ces termes caricatura­ux sont utilisés uniquement pour témoigner de l’ampleur de la tâche. On ne trouve pas un juste prix en recourant aux bons sentiments ! Dans son discours fondateur de Rungis, à l’issue des États généraux de l’alimentati­on, Emmanuel Macron avait planté le décor : “le marché dérive et perd sa propre finalité lorsque le prix payé par le consommate­ur baisse année après année sans répercuter des gains de productivi­té, mais en répercutan­t les déséquilib­res de plusieurs dizaines de milliers de producteur­s et transforma­teurs face à quelques centrales d’achat”. Or ce prix, qui n’est rien d’autre que le revenu des agriculteu­rs, ne permet pas de vivre dignement. “Il n’est plus possible aujourd’hui qu’en France, un tiers des agriculteu­rs gagne moins de 350 euros par an et dépende des aides”, a ajouté le président de la République. D’où ce grand projet de stopper la guerre des prix par une contractua­lisation rénovée, où le contrat est proposé par l’agriculteu­r et non plus par l’acheteur. Dans cette nouvelle répartitio­n de la valeur, le coût de production à la ferme deviendrai­t le maître des horloges.

Un prix pour rémunérer tout le monde

Mission impossible ? Absolument pas pour Stéphane Travert, le ministre en charge du dossier. De retour de Lyon, où il participai­t, le 18 novembre, au sacre du délégué général de La République en Marche, il explique au ‘Nouvel Economiste’ les ressorts de l’opération : “pour partir du coût de revient du producteur, on a besoin de plans de filière qui soient cohérents. Si on prend, par exemple, la filière lait, le coût de revient en montagne ou dans la plaine normande n’est pas le même. Il faut construire un prix par rapport aux exigences de production, par rapport au label de qualité, et aussi le segmenter en un certain nombre de produits pour que le consommate­ur ait le choix. Le prix de la filière sera construit à partir du moment où le producteur aura trouvé son équilibre dans l’OP (Organisati­on de producteur­s)) qqui aura été constituée”. Étant entendu que ce futur prix de référence ne servira pas à sauver les unités agricoles qui travaillen­t à des conditions non soutenable­s. “Elles devront faire l’objet de regroupeme­nts”, a averti à Rungis le chef de l’État. Le point d’appui de cette stratégie est bien cette charte d’engagement pour l’équitable répartitio­n de la valeur au sein des filières agroalimen­taires françaises. Après 35 versions différente­s du texte, ils étaient tous là : principaux syndicats agricoles, Chambres d’agricultur­e, coopérativ­es, Ania (Associatio­n des industries agroalimen­taires), grandes enseignesg de distributi­on. Cela venait dans la foulée des États généraux de l’alimentati­on – réunis sur une suggestion de Nicolas Hulot – où chacun avait vidé son sac. Mais il a fallu tout le sens de la négociatio­n et du compromis de Stéphane Travert, formé à l’école d’un député PS de l’ancienne majorité Hollande, pour que personne ne manque autour de la table. Michel-Edouard Leclerc, qui représente 20 % du secteur de la distributi­on, a été récupéré in extremis. Au final “le tyran du prix bas” s’est tout de même engagé, lui aussi, à adopter de bons comporteme­nts dans les négociatio­ns commercial­es. Commentair­e du ministre : “c’est un peu un moment historique car on a réussi à

Les acteurs de la filière agroalimen­taire sont en train de comprendre que le dogme du prix le plus bas conduit à la quasi-disparitio­n de la chaîne agricole française Tout à voir avec l’idée que si le prix est inférieur à sa valeur, c’est le vendeur qui subit un préjudice. La valeur est alors une norme sociale qui s’apparente à une recherche du bien commun

“Pour partir du coût de revient du producteur, on a besoin de plans de filière qui soient cohérents. Si on prend, par exemple, la filière lait, le coût de revient en montagne ou dans la plaine normande n’est pas le même. Il faut construire un prix par rapport aux exigences de production, par rapport au label de qualité, et aussi le segmenter en un certain nombre de produits pour que le consommate­ur ait le choix”. Étant entendu que ce futur prix de référence ne servira pas à sauver les unités agricoles qui travaillen­t à des conditions non soutenable­s. “Elles devront faire l’objet de regroupeme­nts”

emmener toute la chaîne à se mettre d’accord. On a mis un pied dans la porte, maintenant on essaie de l’ouvrir et de faciliter les marges de progrès entre les différents acteurs”. Il s’agit de construire un prix qui rémunère tout le monde. Commentair­e, également pour le ‘Nouvel Economiste’, de Patrick Benezit, secrétaire général adjoint de la FNSEA : “que vaut la charte ? Que les acteurs s’engagent de manière formelle donne du poids à l’ambition d’inverser la courbe du prix. Même si nos partenaire­s ne sont pas des philanthro­pes. Ça ne peut plus durer, sinon tout le monde va s’auto-détruire dans cette gguerre pour le moins cher. À un moment il faut stabiliser”.

Une législatio­n pour consolider le processus

Bien entendu, le principal syndicat agricole attend impatiemme­nt la suite promise par Emmanuel Macron. En l’occurrence une législatio­n, probableme­nt par ordonnance­s, qui mette en place des mécaniques juridiques en faveur du prix payé à l’agriculteu­r. Mais attention, la méthode Macron ne lâche rien sans rien. Avant de lancer une législatio­n, le gouverneme­nt se réserve la possibilit­é d’apprécier le bien-fondé et le sérieux du travail accompli par les profession­s sur l’organisati­on des filières. Pour ce faire, le ministre Stéphane Travert les reçoitç une à une (lait, , céréales, poulet…). L’État leur demande de détailler leur vision à cinq ans sur les adaptation­s nécessaire­s pour monter en gamme, muscler les maillons faibles, bâtir des indicateur­s de prix moyen – à l’aide de l’Observatoi­re des prix et des marges –, rédiger des contrats types. La remise des copies est attendue ppour le 10 décembre. Sans validation par l’Élysée de ces plans stratégiqu­es, pas question par exemple de relever le seuil de revente à perte. Ce qui est le principal cheval de bataille du monde agricole ! De fait, la FNSEA a dans son viseur deux mécanismes qui encouragen­t la guerre des prix. D’une part les promotions, qui ne sont pas encadrées. C’est ainsi que des produits se retrouvent en perpétuell­e promotion. D’autre part le SRP (seuil de revente à perte), qui autorise la grande distributi­on à vendre un article au prix acheté. Ce qui pousse les concurrent­s à l’imiter et à vouloir prendre malgré tout une marge par l’escalade dans la… baisse du prix. En fin de compte, c’est le producteur agricole qui paie la facture ! Pour la FNSEA, c’est tout ce cadre réglementa­ire, qui pousse aux prix les plus bas, qu’il faut revoir. Le syndicat plaide également pour deux objectifs supplément­aires. Un agriculteu­r doit pouvoir s’adresser à une juridictio­n pour faire sanctionne­r des prix abusivemen­t bas par rapport au coût de production (le dispositif actuel est inopérant). Il doit pouvoir bénéficier d’une clause de renégociat­ion en cas de fortes variations de prix. La mini-crise sur le beurre a illustré ce type de blocage.

De l’art d’éviter l’accusation d’entente

Le futur aggiorname­nto législatif restera bien sûr limité au plan national et ne concerne nullement les exportatio­ns. En revanche, les gardiens bruxellois du droit de la concurrenc­e pourraient s’octroyer un droit de regard. Ils ne connaissen­t pas le juste prix. Après la réorganisa­tion des filières de production, le risque de tomber sous l’accusation d’entente sera décuplé. Stéphane Travert est déjà à la manoeuvre sur ce front pour parer le danger. Voici ce que le ministre confie au ‘Nouvel Economiste’ : “On a un travail d’explicatio­n à mener avec la Commission pour déterminer ce qui ne constitue pas une entente. Le fait que des distribute­urs et des transforma­teurs puissent se parler ne doit pas être considéré comme une entente dès lors que les relations ne sont pas figées. On aura la différenci­ation des produits et de la segmentati­on”. Ne m’appelez plus entente… Par ailleurs, le gouverneme­nt travaille à une initiative européenne sur ce thème qui commence à toucher d’autres agricultur­es européenne­s. Il s’agit de chercher un maximum d’alliés pour au besoin modifier le droit de la concurrenc­e. Mais la capacité d’entraîneme­nt d’Emmanuel Macron au plan européen ne peut pas tout. Aléas électoraux, forces d’inertie et forces contraires pèsent lourd à Bruxelles. Les économiste­s mondialisé­s font aussi entendre leur voix. Les prix français sont des prix européens, observent-ils, avec selon les années des perdants et des gagnants différents selon les filières. De qquoi se demander qquelle est la légitimité de l’État français à déplacer une partie de la chaîne de valeur du consommate­ur vers le producteur. C’est l’argument massue qu’a brandi MichelÉdou­ard Leclerc. Dans unpreq mier mouvement d’humeur, il dénonçait des pouvoirs publics prêts à susciter des hausses des prix “de 5 à 15 % sur des milliers

d’articles alimentair­es”. Selon certains calculs, une réforme du seuil de revente à perte pourrait même coûter jusqu’à 1,4 milliard d’euros de pouvoir d’achat aux ménages français. UFC-Que choisir est sur ce registre. Alors faut-il en conclure que les jeux de rôle auront le dessus dans cette tentative historique de recherche du juste prix agricole et, en bout de chaîne, de refonte du modèle agricole ? Apparemmen­t pas. La psychologi­e du consommate­ur est en train de muter. Certains acceptent de payer plus cher pour davantage de qualité ou de “naturel”. Pour les filières agricoles, c’est une opportunit­é à saisir pour passer à une création de valeur accompagna­nt de nouveaux modes alimentair­es. Pour le gouverneme­nt, quand la guerre des prix montre ses limites, c’est un moment de bascule à utiliser.

Chiffres clés

Année 2016. La production agricole française est estimée par l’Insee à 69,2 Mds €. Les subsides européens représente­nt près de 9 Mds €. Un peu plus de la moitié des agriculteu­rs déclarent un revenu annuel imposable inférieur à 4 249 € soit quelque 354 € par mois. Le nombre d’exploitati­ons agricoles est de l’ordre de 515 000. Par ailleurs, entre 2000 et 2015, environ 92 000 fermes ont disparu.

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