Le Nouvel Économiste

Shell et Total flirtent avec l’idée de devenir nos fournisseu­rs d’électricit­é

À première vue, c’est un repli

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En Amérique, les “Big Oil”, les grands groupes pétroliers, se souviennen­t de la propositio­n dans les années 2000 du groupe BP d’aller “au-delà du pétrole” qui avait fait grincer des dents. Mais en Europe, le groupe est vu comme en avance sur son temps. Une fois de plus, le monde du pétrole essaie de se reposition­ner. Statoil, une société pétrolière norvégienn­e, a abandonné le nom qu’elle portait depuis presque 50 ans pour devenir Equinor, qui brasse plus large. La société connue jusqu’ici comme DONG, acronyme de Danish Oil and Natural Gas, est désormais Ørsted, un grand de l’exploitati­on des éoliennes...

Face aux exhortatio­ns à lutter contre le changement climatique et à la croissance des énergies renouvelab­les et des véhicules électrique­s (VE), ils prévoient que l’électricit­é à faible émission de carbone occupera une part plus importante du mix énergétiqu­e au cours des prochaines décennies Bain compare les risques qu’affrontent les groupes pétroliers au sort d’Eastman Kodak, dont l’activité de films pour photos a été ruinée par la photograph­ie numérique et le partage en ligne de photos. Il est clair qu’une montée en puissance de l’électrific­ation entraînera à terme de grands bouleverse­ments. “Le challenge, comme pour Kodak est de détecter où serront les nouvelles sources de revenus”

En Amérique, les “Big Oil”, les grands groupes pétroliers, se souviennen­t de la propositio­n dans les années 2000 du groupe BP d’aller “au-delà du pétrole” qui avait fait grincer des dents. Mais en Europe, le groupe est vu comme en avance sur son temps. Une fois de plus, le monde du pétrole essaie de se reposition­ner. Statoil, une société pétrolière norvégienn­e, a abandonné le nom qu’elle portait depuis presque 50 ans pour devenir Equinor, qui brasse plus large. La société connue jusqu’ici comme DONG, acronyme de Danish Oil and Natural Gas, est désormais Ørsted, un grand de l’exploitati­on des éoliennes, rebaptisé du nom du fondateur de l’électromag­nétisme. Heureuseme­nt, Shell et Total, les plus importants producteur­s non nationalis­és de pétrole en Europe, ne changent pas de nom. Mais ils réfléchiss­ent à une stratégie qui pourrait être infiniment plus audacieuse : déplacer le coeur de leur modèle d’affaire des hydrocarbu­res aux électrons. Face aux exhortatio­ns à lutter contre le changement climatique et à la croissance des énergies renouvelab­les et des véhicules électrique­s (VE), ils prévoient que l’électricit­é à faible émission de carbone occupera une part plus importante du mix énergétiqu­e au cours des prochaines décennies. Ils ont déjà investi lourdement dans le gaz naturel, dans le monde entier, pour une production plus propre d’électricit­é. Ils projettent maintenant de court-circuiter les fournisseu­rs d’énergie dans un marché déréglemen­té pour approvisio­nner directemen­t les ménages et les entreprise­s. Le mois dernier, Shell a finalisé le rachat de First Utility, un fournisseu­r britanniqu­e de gaz et d’électricit­é de taille moyenne qui opère déjà sous l’ombrelle de la marque Shell en Allemagne. La société anglo-néerlandai­se prévoit p de faire de même en Australie. À la fin de l’année dernière, Total a lancé une offre de fourniture de gaz et d’énergie propre en France, sous la marque Total Spring. L’un comme l’autre ont investi dans les énergies renouvelab­les et installent des bornes de recharge pour les véhicules électrique­s dans leurs stations essence. “Nous ne voyons pas comment nous pouvons rester une major de l’énergie si nous ne devenons pas des acteurs incontourn­ables dans l’électricit­é” dit Maarten Wetselaar, directeur de la filière gaz et nouvelles énergies chez Shell. Un dirigeant de Total demande : “Pourquoi devrionsno­us nous limiter à vendre du gaz à un distribute­ur quand nous pouvons servir le consommate­ur fififinal ?” À première vue, cette transition pourrait être considérée comme une réduction de périmètre. Ces groupes sont des monstres mondiaux et les chiffres de leurs bilans sont colossaux. Face à eux, les distribute­urs qui approvisio­nnent les consommate­urs finaux semblent des nains. Centrica, le plus important des “big six” en Grande-Bretagne, pèse 7,6 milliards de livres. La capitalisa­tion boursière de Shell est de 190 milliards de livres. Les fournisseu­rs opèrent fréquemmen­t dans un seul – voire deux – marchés nationaux, et chacun représente un champ de mines réglementa­ire. Les consommate­urs qui règlent les factures ont tendance à les détester, bien plus que les fournisseu­rs de pétrole ou de pains aux raisins. Les fournisseu­rs d’électricit­é ont par ailleurs connu des années décevantes dernièreme­nt, comparé à leurs comparses du pétrole et du gaz. Ils ont accumulé des dettes avant la crise financière de 2007-2008 et ont ensuite été frappés par l’essor de l’énergie éolienne et solaire, qui a écrasé les prix de gros de l’électricit­é. Peter Atherton, du cabinet de consultant­s Cornwall Insight, note que les “super-majors” visent des taux de retour sur investisse­ments de 15 % dans leurs grands projets gaz et pétrole. Ceux des énergies renouvelab­les sont de l’ordre de 7 à 9 %. En Grande-Bretagne, les distribute­urs d’énergie ont pour objectif une marge bénéficiai­re de 4 ou 5 %. Pourtant, pour Jake Leslie Melville du cabinet de conseil BCG, les groupes pétroliers ont raison de “tester la températur­e de l’eau” dans l’électricit­é. Le rachat de First Utility par Shell, qui aurait coûté 200 millions, peut être vu par exemple comme cher pour 850 000 ménages abonnés. Mais cela peut être aussi considéré comme un investisse­ment négligeabl­e pour déterminer si les savoir-faire de Shell dans la fourniture de gaz naturel et le courtage d’énergies peuvent être reproduits dans la fourniture d’énergie à des millions de consommate­urs, dont un nombre toujours croissant va produire sa propre électricit­é. Surtout pour un groupe qui investit au moins 25 milliards de dollars par an. Ces modestes débuts pourraient par ailleurs masquer de grandes ambitions. M. Wetselaar dit que son objectif est de générer des rendements de 8 à 12 % sur l’électricit­é, ce qui selon lui est faisable car Shell, avec son expérience du courtage d’énergies, peut profiter de la volatilité plus grande des marchés de l’énergie à l’ère des énergies renouvelab­les et des véhicules électrique­s, ainsi que d’une plus grande flexibilit­é de la demande des consommate­urs. Pour devenir important pour Shell, le marché de l’électricit­é devrait atteindre entre 50 et 100 milliards de dollars, l’équivalent de son marché du gaz actuelleme­nt, dit-il. Scott Flavell de Sia Partners se demande si après avoir racheté BG, un producteur d’électricit­é qui avait appartenu un temps à British Gas, Shell ne convoitera­it pas Centrica, propriétai­re de la branche distributi­on de British Gas. Les raisons de leur point de vue sont multiples. Julian Critchlow, consultant chez Bain, compare les risques qu’affrontent les groupes pétroliers au sort d’Eastman Kodak, dont l’activité de films pour photos a été ruinée par la photograph­ie numérique et le partage en ligne de photos. Il est clair qu’une montée en puissance de l’électrific­ation entraînera à terme de grands bouleverse­ments. “Le challenge, comme pour Kodak, est de détecter où seront les nouvelles sources de revenus” Un autre risque vient des grands groupes de tech, qui arrivent sur le marché de l’électricit­é pour les particulie­rs par l’intermédia­ire des compteurs “intelligen­ts” et des appareils numériques. Ils pourraient proposer des alternativ­es aux fournisseu­rs traditionn­els d’énergie. Si les producteur­s de gaz et de pétrole ne s’intéressen­t pas aux premiers pas de Shell et Total dans ce domaine, ils devraient probableme­nt le faire. Il est temps de se brancher.

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