Le Nouvel Économiste

Services généraux

Le bonheur est dans le bureau

- FABIEN HUMBERT

Longtemps prisonnièr­es du modèle de l’open space intégral, les entreprise­s commencent à le remettre en question. Désormais, les bureaux ouverts accueillen­t différents espaces de travail, de petites cloisons acoustique­s, et même des espaces fermés pour les réunions. Une dose de “flex office” est aussi intégrée, car si les équipes disposent de territoire­s sur les plateaux, leurs membres n’y ont plus de bureaux dédiés. La décoration et le mobilier de bureau évoluent pour que les espaces de travail ressemblen­t d’avantage à un lieu d’habitation. Enfin, la notion de bien-être rejoint celle d’efficacité au coeur des préoccupat­ions des entreprise­s.

Les entreprise­s françaises se sentent prises en étau, entre d’un côté les Gafa et de l’autre les start-up. Pour faire face à cette double concurrenc­e et préparer le futur, elles se doivent d’être elles-mêmes disruptive­s et créatrices. Pour ce faire, elles ont besoin d’attirer les talents de la nouvelle génération, de les faire travailler efficaceme­nt, et surtout de les garder en leur sein. “Pour les nouvelles génération­s, réussir dans la vie ne suffit pas, ils veulent réussir leur vie, ce sont des génération­s dites du ‘fun’, qui zappent, qui peuvent donc être éminemment égoïstes tout en étant généreuses, analyse Alain d’Iribarne, président d’Actineo. Les millennial­s, membres de la génération X ou Y, n’auront aucun problème à partir s’ils ne sont pas satisfaits.” Les entreprise­s ont donc compris qu’elles avaient intérêt à ce que l’ensemble de leurs collaborat­eurs se sente bien au travail. Mieux, la notion de bonheur sur le lieu de travail est de plus en plus prégnante, en témoigne notamment la nomination dans les entreprise­s de “chief hapinness officer”. Et l’un des principaux leviers pour améliorer à la fois l’efficacité et le bien-être des salariés, c’est bien l’aménagemen­t des espaces de travail. “Nous avons récemment réalisé un projet pour une entreprise de 90 personnes où nous avons été reçus par le comité de direction, raconte Hubert Val, responsabl­e groupe ventes de Bruneau Aménagemen­t. Le bien-être, la protection, la sécurité et le confort étaient au centre des préoccupat­ions.” Un signe que les PME se préoccupen­t de plus en plus du bien-être de leurs collaborat­eurs.

Les limites du chamboulem­ent

Il ne s’agit pas ici de clamer haut et fort que l’ère du bonheur au travail est arrivée, ni même annoncée. Seulement que le bien-être fait désormais partie des préoccupat­ions des porteurs de projets d’aménagemen­t des espaces de travail. Et c’est déjà pas mal, après les dégâts des deux grandes vagues de chamboulem­ent de l’organisati­on des bureaux qu’ont été l’open space (bureau ouvert) et le flex office (bureau flexible). Dans un bureau ouvert, tous les bureaux sont décloisonn­és et chacun peut communique­r avec chacun et voir chacun. Dans la réalité, le brouhaha incessant qu’impliquent les bureaux ouverts mal pensés ont surtout généré du mal-être au travail. De plus, l’open space n’est pas aussi répandu qu’on le croit en France : “selon la dernière enquête Actineo (2017), 32 % des travailleu­rs sont en bureaux individuel­s fermés en France,

La notion de bonheur sur le lieu de travail est de plus en plus prégnante, en témoigne notamment la nomination dans les entreprise­s de “chief hapinness officer”

et 33 % en bureaux collectifs fermés,

révèle Alain d’Iribarne, 16 % en bureaux ouverts et 6 % sans poste de

travail dédié”. Le bureau flexible a débarqué au mitan des années 1990, mais s’est surtout développé dans les années 2000. Le principe? Personne n’a de bureau attitré. Donc chaque fois que les collaborat­eurs se rendent dans les locaux de l’entreprise, ils se placent où ils veulent, et surtout où ils peuvent. “Auparavant, le flex office était réservé à des sociétés qui avaient des salariés qui travaillai­ent beaucoup à l’extérieur comme les consultant­s (Accenture, dès 1995 ppar exemple),p) ou les commerciau­x, explique Élisabeth Pélegrin-Genel, architecte DPLG, urbaniste et psychologu­e du travail. Mais on les voit désormais dans des entreprise­s plus traditionn­elles comme la Société Générale et son immeuble les Dunes à Fontenay-sous-Bois.” Mais là aussi, les entreprise­s sont revenues du bureau flexible intégral. Les salariés étaient souvent désorienté­s par le fait de pouvoir travailler n’importe où, les équipes étaient désunies, pire les managers ne savaient plus où se trouvaient leurs collaborat­eurs ! Autre frein au flex office intégral: “on observe que les gens qui viennent tous les jours au travail sont casaniers et qu’ils finissent ppar s’installer au même endroit, analyse Élisabeth Pélegrin-Genel ; on ne fait pas une entreprise pour que les gens soient dispersés et travaillen­t tous seuls, ils ont besoin d’être à côté les uns des autres”. Aujourd’hui, c’est donc un mix entre le bureau flexible intégral et le bureau ouvert, organisé en quartier ou en village, appelé aussi “open space fractionné” qui a la cote auprès des entreprise­s en termes d’aménagemen­t.

L’ère du bureau virtuel fractionné

Comme pour le bureau ouvert, l’idée est de partir d’un grand plateau sans cloisons. Et dans ce grand ensemble, vont apparaître­pp différents espaces p où l’on peut travailler. À commencer par des petits open spaces qui peuvent accueillir une équipe de 10 ou 15 personnes. Comme dans le flex office, les membres de l’équipe n’ont pas de bureau attitré, mais ils ont un territoire au sein du plateau. Tous les autres lieux du plateau, et même de l’immeuble, sont des lieux communs avec les autres équipes. De plus, les cloisons font leur grand retour sur les plateaux. “Ce sont cloisons qui ne coupent pas totalement l’espace, plutôt des séparation­s acoustique­s, de manière à définir les différente­s zones de travail”, précise Nicolas Rabadeux, chef de groupe achats et marketing mobilier chez Bruneau. “Les zones d’aménagemen­t sont diversifié­es pour qu’elles correspond­ent à une typologie d’activité : collaborer, passer un appel, faire une présentati­on, se réunir, se concentrer, faire du brainstorm­ing, se détendre…”, précise Nathalie Ménardais, responsabl­e marketing du fabricant de sièges Sokoa. C’est ainsi qu’on voit réapparaît­re des espaces fermés et confidenti­els au sein de plateaux ouverts. Un collaborat­eur, ou une équipe peuvent utiliser ces espaces communs pour un tempsp donné avant de revenir sur leur territoire pour travailler. À moins que les collaborat­eurs ne préfèrent aller travailler sur la terrasse, dans le jardin, à la cafétéria, à l’accueil… Bref partout où ils peuvent s’asseoir et avoir accès à Internet et à l’intranet. Sans parler de l’utilisatio­n des espaces de coworking en dehors de l’entreprise et du télétravai­l (cf. encadré). L’important est la multiplici­té des lieux de travail. Et c’est souvent le management de premier niveau qui a la charge de gérer et d’organiser cette multiplici­té de lieux. Dur, dur. “D’autant que souvent, les middle-managers ont perdu ces repères symbolique­s traditionn­els français que sont la voiture de fonction ou le bureau individuel fermé”, explique Alain d’Iribarne. Mais rassurons-nous, “si les managers ont moins de bureaux personnels, le top management reste sanctuaris­é”, note

Elisabeth-Pélegrin-Genel.

Au bureau comme à la maison

Autre corollaire du bureau ouvert fractionné, la taille des bureaux rétrécit fortement. “Le standard était à 160 cm de largeur de plateau, aujourd’hui on va sur du 140 voire du 120, note Nicolas Rabadeux, chef de groupe achats et marketing produits mobilier chez Bruneau. Les zones d’échange, de partage, de réunion et de bien-être viennent grignoter sur les espaces de travail stricto sensu, et donc cela laisse moins de place pour les

bureaux.” Mais comme nous l’avons vu, les salariés disposent de plus d’endroits différents où s’établir. Ils sont désormais susceptibl­es de travailler partout, tout le temps. C’est d’ailleurs là que la notion de bien-être réapparaît. “Les entreprise­s ont compris que l’aménagemen­t spatial a un impact direct sur la qualité de vie au travail et sur l’efficacité, sur le bien-être et sur la productivi­té des salariés”, confirme Nathalie Ménardais. Aussi voit-on de plus en plus d’éléments de décoration, et même d’ameublemen­t, faisant penser à la maison au sein des espaces de travail. “On associe de plus en plus souvent des mobiliers de bureau avec des meubles qu’on peut avoir chez soi comme des tapis, des canapés… relève Nicolas

Rabadeux. Les matières utilisées sont plus chaudes et plus naturelles avec des bois travaillés, des métaux, du cuir.” Dans un contexte où les salariés, notamment les cadres, sont poussés à rester plus longtemps au travail, autant qu’ils se sentent comme chez eux… Ces projets d’aménagemen­t, s’ils sont intéressan­ts, souffrent souvent d’un défaut majeur : ils ne sont la plupart du temps pas pensés avec les principaux intéressés, à savoir les salariés. “Les entreprise­s ont peur de perdre un temps fou à organiser un largeg pprocessus d’informatio­n, explique Élisabeth

Pélegrin-Genel. Donc même s’il y a en général une consultati­on, les grandes décisions ont déjà été prises par les directions. Les marges de manoeuvre et les ajustement­s possibles sont extrêmemen­t faibles.”

Un mix entre le bureau flexible intégral et le bureau ouvert, organisé en quartier ou en village, appelé aussi “open space fractionné”, a la cote auprès des entreprise­s en termes d’aménagemen­t

Dans un contexte où les salariés, notamment les cadres, sont poussés à rester plus longtemps au travail, autant qu’ils se sentent comme chez eux…

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“Les millennial­s, membres de la génération X ou Y, n’auront aucun problème à partir de l’entreprise s’ils ne sont pas satisfaits.” Alain d’Iribarne, Actineo.
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“On ne fait pas une entreprise pour que les gens soient dispersés, et travaillen­t tous seuls, ils ont besoin d’être à côté les uns des autres.” Elisabeth Pélegrin-Genel, architecte.
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Bruneau.
“On associe de plus en plus souvent des mobiliers de bureau avec des meubles qu’on peut avoir chez soi, comme des tapis, des canapés.” Nicolas Rabadeux, Bruneau.

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