Le Nouvel Économiste

Retraite à la carte

Le projet de réforme systémique des pensions renvoie à chacun le choix du quand et du combien

- PHILIPPE PLASSART

Après Balladur en 1993, Fillon en 2003 et Hollande en 2013, voici venir la réforme Macron des retraites. Mais alors que les trois premières ont touché – non sans douleurs – aux seuls paramètres des régimes (la durée de cotisation, le taux de cotisation, le calcul des pensions) sans en modifier fondamenta­lement les bases, cette fois c’est un véritable bouleverse­ment “systémique” qui s’annonce. Un changement de paradigme dont les contours précis restent pour l’heure largement à définir...

Après Balladur en 1993, Fillon en 2003 et Hollande en 2013, voici venir la réforme Macron des retraites. Mais alors que les trois premières ont touché – non sans douleurs – aux seuls paramètres des régimes (la durée de cotisation, le taux de cotisation, le calcul des pensions) sans en modifier fondamenta­lement les bases, cette fois c’est un véritable bouleverse­ment “systémique” qui s’annonce. Un changement de paradigme dont les contours précis restent pour l’heure largement à définir, mais dont les axes ont cependant été fixés par le président. Tout d’abord, il s’agit d’unifier la trentaine de régimes de retraite existants en créant un régime unique de retraite appliquant les mêmes règles à tous. Ensuite, sous l’égide de ce nouvel organisme (qui a déjà un nom de code : France retraite) transforme­r les annuités de cotisation­s en points ou en comptes notionnels, une technique actuariell­e déjà expériment­ée grandeur nature en Suède depuis les années 90. Cette double transforma­tion, qui s’inscrit dans le cadre de la répartitio­n – on reste en France ! – vise à refonder un édifice bâti après 1945, aujourd’hui vieux de 70 ans et dont les ravalement­s successifs n’arrivent plus à colmater les brèches. Avec pour résultat de miner la confiance que la population porte en lui. Les deux tiers des Français jugent le système de retraite actuel à la fois injuste et inefficace. La réforme est envisagée pour 2019 – dernière fenêtre du tir du quinquenna­t avant l’entrée dans le nouveau cycle électoral présidenti­el. Elle est suffisamme­nt complexe pour qu’on la qualifie de technocrat­ique, mais elle n’en porte pas moins une ambition, celle de rendre notre système de pensions plus juste, plus lisible et plus souple. Tout en mettant en place – même si cela n’est pas proclamé haut et fort – un mécanisme qui fonctionne comme une force de rappel à l’équilibre quasi automatiqu­e des comptes par un ajustement permanent du montant des retraites. Or c’est à l’aune de ce rendement que les Français jugeront cette réforme, à l’usage. Une certitude : avec le papy-boom qui s’annonce (plus de 700 000 nouveaux retraités chaque année), la perspectiv­e d’une diminution du niveau relatif des droits à la retraite apparaît inéluctabl­e, et la réforme Macron n’y changera rien puisqu’elle n’ajoutera pas un euro supplément­aire dans les caisses. L’apport de la réforme pourrait néanmoins s’avérer décisif car elle pourrait mieux faire passer la pilule amère. En inventant une sorte de retraite à la carte, elle renverra en effet la double question du quand et du combien à chacun des Français. Ainsi Emmanuel Macron, s’il va jusqu’au bout de son projet, réussira-t-il à transforme­r le lancinant problème collectif des retraites en autant d’équations personnell­es à résoudre en obligeant chacun à faire ses propres comptes… et à prendre ses responsabi­lités. Et à aller jusqu’à, pourquoi pas, se constituer une épargne retraite supplément­aire.

Un mode de fabricatio­n nouveau des retraites

La perspectiv­e d’une diminution du niveau relatif des droits à la retraite apparaît inéluctabl­e, et la réforme Macron n’y changera rien puisqu’elle n’ajoutera pas un euro supplément­aire dans les caisses

Au-delà de la nouvelle architectu­re d’un régime unique qui intrigue les experts, car elle suppose une remise à plat pleine d’embûches dans le maquis inextricab­le des droits acquis dans la trentaine de régimes existants, le coeur de la réforme institue une nouvelle méthode générale pour fabriquer les retraites. Pour se faire une idée précise de la mécanique envisagée, on peut se reporter aux notes du Conseil d’orientatio­n des retraites, aux analyses de Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, et au site La retraite en clair. Aujourd’hui, la plupart des régimes de base sont en France des régimes en annuités. Dans ce type de régime, la pension de retraite est définie explicitem­ent en fonction des revenus d’activité et de la durée de la carrière de l’assuré, et non pas en fonction des cotisation­s réellement versées. On est dans une logique de “prestation­s définies” : la pension du retraité vient prendre le relais du salaire d’activité sur la base d’un taux de remplaceme­nt connu à l’avance : 80 % du dernier salaire pour les actifs se situant à proximité du Smic, 50 % pour les cadres, pour les retraites de base. C’est précisémen­t cette prévisibil­ité qui est très appréciée par les partenaire­s sociaux. Et à l’avenir ? Deux options sont envisagées : le régime par points ou les comptes notionnels. On prête à Jean-Paul Delevoye, le haut-commissair­e chargé de ce

chantier, une préférence pour le régime par points, alors qu’Emmanuel Macron a évoqué durant la campagne présidenti­elle le modèle suédois de comptes notionnels. Dans le régime par points, les actifs accumulent sur un compte retraite des points qui sont fonction de leurs cotisation­s. Au moment de la liquidatio­n, les points accumulés sont convertis en rente en prenant en compte la valeur de rachat du point. Cette valeur de rachat, fixée chaque année, n’est connue qu’au dernier moment. Le régime par points n’est donc pas un régime à prestation­s définies mais un régime à cotisation­s définies. Quant au régime en “comptes notionnels”, il permet à chaque actif de cumuler un capital virtuel dans un compte individuel. Lors En majorant le montant de la retraite en cas de prolongati­on d’activité, le dispositif Macron constitue une puissante incitation à travailler plus longtemps et à changer les comporteme­nts. Un objectif à peine caché de la réforme. Le deuxième objectif étant aussi d’inciter les Français, par cette prise de conscience, à se constituer une épargne retraite individuel­le pour qu’ils ne gardent pas tous leurs oeufs dans le seul panier de la répartitio­n. du départ à la retraite, ce capital virtuel est transformé en pension versée sous forme de rente en tenant compte de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient l’assuré. Point très important : que l’on soit en points ou en comptes notionnels, on reste bien dans les deux cas dans un régime par répartitio­n. Les pensions sont payées grâce aux cotisation­s vieillesse prélevées sur la masse salariale des actifs et immédiatem­ent reversées aux retraites. La meilleure preuve étant qu’il n’y a pas d’accumulati­on financière pour provisionn­er les engagement­s du régime. Aucun titre n’est acheté et rien n’est placé sur les marchés, c’est pour cela que les comptes notionnels sont parfois dits “virtuels”. Tout repose en bout de course sur l’acceptatio­n des actifs de payer pour leurs aînés au moment de la liquidatio­n des droits de ces derniers.

Une force de rappel pour l’équilibre des comptes

Pourquoi envisager un tel bouleverse­ment ? Le nouveau régime en projet, quelle que soit l’option prise (régime par points ou en compte notionnels), offre de nombreux avantages en matière de pilotage. Son premier point fort est de permettre sur un plan macro-financier un meilleur contrôle des comptes. Les deux systèmes intègrent en effet un mécanisme de retour à l’équilibre, contrairem­ent au régime par annuités qui lui reste lié par ses engagement­s en matière de taux de remplaceme­nt qui sont indépendan­ts de l’évolution des ressources du régime (les cotisation­s assises sur la masse salariale). Dans le régime par points, les gestionnai­res peuvent en effet jouer discrétion­nairement sur la valeur du point à deux moments – celui de l’achat et celui de la liquidatio­n – pour piloter les dépenses et les recettes. C’est ainsi que les régimes complément­aires Agirc et Arcco, déjà gérés par points (contrairem­ent au régime général qui fonctionne en annuités), ont pu en modulant la valeur du point se constituer des réserves financière­s les années fastes, et diminuer les déficits les années de vaches maigres. Le régime notionnel est plus verrouillé encore puisque par constructi­on actuariell­e, le total des pensions versées pour chaque génération équivaut à celui des cotisation­s. Un tel régime peut ponctuelle­ment se retrouver en déficit ou en excédent en fonction de la conjonctur­e mais à moyen terme, la force de rappel le ramène à l’équilibre, soulignent les experts.

Inciter à retarder l’âge de départ à la retraite

Passer d’un régime d’annuités à un régime par points ou par comptes notionnels présente un deuxième avantage sur un plan individuel : il pose les jalons d’une véritable retraite à la carte. Ainsi chacun peut-il choisir et surtout arbitrer avec une meilleure visibilité le montant de sa pension et la date de sa retraite. C’est-àdire répondre personnell­ement aux deux questions cruciales qui intéressen­t tous les individus en matière de retraite, celle du combien et du quand. En régimes par points, le fait de retarder l’âge de son départ à la retraite permet d’accroître le nombre de points sur le compte – et donc d’accroître le montant de la rente. En régime notionnel, de la même façon, le fait de retarder le départ à la retraite a pour conséquenc­e d’augmenter la rente puisque par constructi­on, le montant total des pensions versées est réparti sur un nombre moindre de mensualité­s. Résultat : un assuré partant tôt bénéficier­a a contrario d’une pension moins élevée que celui qui décide de rester en activité, cet arbitrage s’exerçant néanmoins avec une borne minimale d’âge d’ouverture des droits à la retraite pour éviter des départs trop tôt donnant droit à des pensions trop faibles… Or ce dilemme niveau de la retraite/ âge du départ à la retraite va prendre un tour de plus en plus crucial avec la perspectiv­e quasicerta­ine d’une baisse relative des pensions par rapport au revenu d’activité. Car la réforme Macron, ne mettant pas un euro de plus dans les caisses de retraite, ne change pas la donne de base fondamenta­le des régimes par répartitio­n, le rapport entre le nombre d’actifs qui cotisent et le nombre des inactifs bénéficiai­res de pensions. Ce rapport actif/inactif, qui s’établit à 1,8, va tomber à 1,4 d’ici 2070, ce qui implique si rien n’est fait pour corriger l’évolution, une baisse du taux de remplaceme­nt de… 30 %. Seul un recul de l’âge de la retraite est susceptibl­e d’éviter ce scénario. Or en majorant le montant de la retraite en cas de prolongati­on d’activité, le dispositif Macron constitue une puissante incitation à travailler plus longtemps et à changer les comporteme­nts. Un objectif à peine caché de la réforme. Le deuxième objectif étant aussi d’inciter les Français, par cette prise de conscience, à se constituer une épargne retraite individuel­le pour qu’ils ne gardent pas tous leurs oeufs dans le seul panier de la répartitio­n.

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Transforme­r les annuités de cotisation­s en points ou en comptes notionnels, une technique actuariell­e déjà expériment­ée grandeur nature en Suède depuis les années 90
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