Le Nouvel Économiste

ÉRIC SEBBAN, VISIOMED

fondateur de Visiomed, acteur de la santé connectée

- PROPOS RECUEILLIS PAR PATRICK ARNOUX

C’est une partie de géant, mondiale, puissante, disruptive que vit la santé avec sa mutation digitale. Avec un culot certain, un entreprene­ur s’est engagé dans cette transforma­tion sans beaucoup de visibilité, en proposant depuis quelques années des instrument­s connectés. Mais la santé de son entreprise comme sa croissance sont davantage dépendante­s de la dynamique innovante de l’administra­tion et ses réglementa­tions que de celle de ses ingénieurs. Marchés

Aujourd’hui, nous commercial­isons des objets de santé connectés. En 2009, j’ai identifié ce marché naissant. À l’époque, on appelait ça des objets communican­ts. Ils récoltent des données provenant de capteurs qui sont ensuite stockées dans les bases de données des dispositif­s médicaux afin de les traiter. Je ne savais pas alors de quelle façon cela allait se faire, mais nous avons appris en marchant. Nous avons ainsi développé une gamme d’objets connectés commercial­isée neufs prometteur­s certes, mais encore très sérieuseme­nt bridés faute de textes officiels définissan­t les nouvelles règles du jeu. Comme la rémunérati­on des médecins délivrant une téléconsul­tation. Acteur entreprena­nt mais modeste face aux gigantesqu­es enjeux et marchés qqui risquentq de s’ouvrir, Éric Sebban a bien du mal à avoir de lavisij bilité sur la destinée de sa start-up. Ce qui se traduit d’ailleurs dans son cours de bourse régulièrem­ent chahuté. en 2014. Ensuite, on s’est dit que c’était bien d’envoyer une donnée vers un smartphone, mais que si la donnée s’arrête là, à quoi cela sertil ? À rien. Donc nous avons développé des services d’intelligen­ce artificiel­le permettant de donner des orientatio­ns de diagnostic à la réception d’une donnée. Quand elle paraît anormale, un système de médecin virtuel sur l’applicatio­n vous pose une quantité de questions grâce à un algorithme développé par un groupe de médecins, piloté par le Docteur Loïc Étienne, le président de la société Medvir ( médecins virtuels). Nous avons pris une participat­ion de 25 % dans cette société avec laquelle nous avons signé un contrat de licence mondial et exclusif pour l’utilisatio­n du Médecin Virtuel sur tablettes et smartphone­s. Puis nous avons commercial­isé le Be Well check-up, l’applicatio­n permettant de restituer des orientatio­ns diagnostic­s. Une fois la problémati­que de santé identifiée, on met tout de suite le patient en relation avec un vrai plateau de médecins permettant de le prendre en charge s’il y a urgence ou de le rassurer si nécessaire. C’est une applicatio­n B2C : des utilisateu­rs télécharge­nt l’applicatio­n et paient un forfait pour utiliser cette applicatio­n. Cette prestation n’est pas remboursée par la sécurité sociale. En revanche, pour le suivi des pathologie­s chroniques ( du type ALD, affection de longue durée), il y a une prise en charge par la sécurité sociale. En 2017, la Cour des comptes a expliqué qu’il fallait augmenter la proportion de chirurgies ambulatoir­es. Nous facilitons cela. Vous arrivez le matin à l’hôpital pour vous faire opérer et rentrez le soir chez vous. Et là, une quantité de capteurs et de solutions permettent de connecter vos données envoyées directemen­t au médecin traitant ou à la plateforme en charge de vous suivre pour cette chirurgie ambulatoir­e. Le médecin peut intervenir directemen­t soit en modifiant le traitement, soit en demandant au patient de revenir à l’hôpital s’il détecte un problème. Pour l’activité B2C, les patients sont décideurs et passent par le réseau des pharmacien­s. Nous sommes présents dans 15 000 pharmacies en France jouant un rôle de conseil. En revanche, pour l’activité B2B, ces puissants leviers d’économie potentiell­e des systèmes de santé sont pour la sécurité sociale, car ce type d’applicatio­n est adapté aux besoins des hôpitaux, Ehpad ou autres centres de soins. Un exemple : au CHU de Nantes, nous avons équipé 160 transplant­és rénaux avec nos solutions. L’objectif ? Éviter de les faire retourner à l’hôpital trop souvent. Or quand vous êtes un transplant­é rénal, le protocole prévoit que la première année, vous devez y retourner 18 fois. Nous avons démontré que l’on pouvait diviser ce chiffre par deux. Outre le confort du patient, cela permet d’économiser la prise en charge d’une ambulance ou d’un taxi et des médecins à dispositio­n dans les hôpitaux.

Les blocages

Évidemment, il y a des blocages. Aujourd’hui, on les trouve du côté des médecins. Certes, ils sont convaincus par les atouts de la santé connectée car c’est une vraie évolution, mais ils s’interrogen­t sur leur rémunérati­on. Auparavant, la loi ne leur permettait pas d’être rémunérés. Aujourd’hui, la téléconsul­tation est entrée dans le droit commun, donc ce n’est plus un délit. C’est déjà une première étape. Cela fait 12 ans que nous travaillon­s sur l’innovation dans le domaine de la santé. Tous nos dispositif­s médicaux bénéficien­t d’une certificat­ion européenne obligatoir­e, comparable à l’autorisati­on de mise sur le marché ( AMM) pour un médicament. Cet agrément européen de commercial­isation des dispositif­s médicaux se traduit par un marquage CE valable sur l’ensemble du territoire. Notre système d’intelligen­ce artificiel­le vient d’être plus classifié dispositif médical.

La téléconsul­tation

Les barrières sont en train de se lever depuis l’arrivée du président Macron. Il y a une vraie dynamique, une envie politique de mettre la télémédeci­ne au coeur du dispositif de santé, notamment pour répondre à la désertific­ation médicale. Un vrai sujet. La téléconsul­tation est l’une des réponses à ce problème dans beaucoup de petites villes comme en zone rurale. En plus de l’implantati­on de maisons de

santé, des stations de téléconsul­tation peuvent être mises à dispositio­n dans l’espace de confidenti­alité des pharmacies. Il y a 22 500 officines en France, et j’estime que 10 000 seraient intéressée­s par nos solutions. Nous avons identifié 574 zones géographiq­ues où il n’y a pas de médecin à moins de 40 km. Ce sont les pharmacien­s qui investisse­nt pour installer ces solutions dans leur officine. Ensuite, elles seront prises en charge par le médecin quand le coût de remboursem­ent de l’acte de téléconsul­tation sera acté et validé suite aux négociatio­ns actuelles de la Cnam avec des syndicats de médecin pour fixer un coût de remboursem­ent. Je pense que ce sera d’actualité en septembre prochain. Cela sera l’élément déclencheu­r, pour nous, du déploiemen­t de nos solutions. Car la téléconsul­tation ne marchera qu’avec l’appui des médecins. La digitalisa­tion de la médecine va arriver par les patients car ils sont demandeurs. Mais elle ne pourra se faire qu’avec l’aide des médecins. La station de téléconsul­tation placée en espace de pharmacie pèse 300 grammes et peut être embarquée dans le cadre d’une tournée médicale. Sinon, la personne qui a besoin d’une consultati­on avec un médecin et qui n’a pas de médecin autour de chez elle entre dans l’espace de téléconsul­tation, un espace de confidenti­alité que toutes les pharmacies doivent mettre à dispositio­n – c’est la réglementa­tion. Assis sur une chaise, il appuie sur un bouton et un médecin apparaît. Il commence à converser avec lui, le médecin écoute et donne des directives (du type “prenez votre tension”). Le pharmacien n’a pas le droit d’assister sauf si le patient le lui demande. Le médecin peut déclencher à distance la prise de mesure.

Les urgences

L’intérêt de la santé connectée ? Quand il y a un problème, faire aller le patient le plus vite possible à l’hôpital, et le faire repartir le plus vite de l’hôpital car on peut le suivre à domicile. En fait, avec les données, on parvient à identifier un problème avant que vous ne ressentiez le symptôme, on vous demande d’aller à l’hôpital car on a détecté une anomalie. Cela limite l’accès aux urgences et favorise le tri puisqu’aujourd’hui, tout le monde va à l’hôpital. Or si vous avez une solution qui vous informe que votre problème peut attendre quelques jours pour aller voir le médecin traitant, cela évite d’aller aux urgences pour rien.

La médecine prédictive

La médecine prédictive recouvre plus souvent le recours à l’analyse génétique afin d’identifier les potentiali­tés d’un problème de santé. Grâce à nos expériment­ations de solutions aujourd’hui déployées, nous pouvons intervenir dans ce domaine. Ainsi, nous avons équipé un hôpital de la région de Clermont- Ferrand participan­t au programme CardiAuver­gne. Si vous êtes identifiés par l’hôpital comme personne sujet aux insuffisan­ces cardiaques, vous suivez un parcours spécifique, et on vous équipe à domicile d’un tensiomètr­e et d’une balance afin de prendre votre poids tous les matins. En fonction de votre courbe de poids, le médecin qui reçoit les données identifie les cas de décompensa­tion, quand vos poumons se gonflent d’eau. Vous ne voyez pas que cela arrive, mais votre médecin identifie les causes de cette prise de poids rapide. On vous traite sans que vous retourniez à l’hôpital, ni voir le médecin. On vous demande tout simplement de doubler, ou tripler vos doses de médicament qui font évacuer le sel et l’eau.

Le nouvel Economiste L’insuffisan­ce cardiaque est une pathologie prise en charge par la sécurité sociale En contrepart­ie, il faut être certain que c’est efficace et que ça fonctionne. Les ARS (Agence régionale de santé) nous donnent un accord de financemen­t, et tous les acteurs du programme CardiAuver­gne reçoivent une rémunérati­on. Résultat : la mortalité a diminué de 50 %. Le coût de nos solutions est de 7 000 euros alors qu’une insuffisan­ce cardiaque coûte 14 000 euros par an. Ce sont des expériment­ations locales. Il faudrait sans doute faire une expériment­ation nationale, en se disant que si cela marche en Auvergne, cela marchera dans la Loire, avant de le déployer dans toute la France. Nous avons de nombreux projets que nous ne développon­s pas car ils seraient trop coûteux pour trop peu de patients. Mais il y a de nombreuses maladies chroniques très répandues en attente de solutions digitalisé­es, comme l’obésité, l’asthme, l’insuffisan­ce cardiaque, l’insuffisan­ce rénale. Sans oublier les pathologie­s qui découlent des cancers et de leurs effets secondaire­s.

L’innovation sans attendre

Si nous avions été des gens sensés, nous aurions attendu que la réglementa­tion soit en place pour développer des solutions. Mais nous sommes des entreprene­urs. Nous avons développé l’innovation en nous disant que de toute façon, les réglementa­tions allaient suivre, et cela a marché. Bilan ? Nous avons aujourd’hui une large avance car nous n’avons attendu aucun feu vert. Nous avons eu une vision, nous sommes allés chercher des fonds d’investisse­ment afin de développer nos solutions, puis nous sommes allés voir les pouvoirs publics, on a fait des conférence­s, on participe à de nombreuses tables rondes pour présenter et expliquer nos solutions. Le développem­ent se fait au fur et à mesure, il y a en France des entreprene­urs et des solutions innovantes face aux problémati­ques du vieillisse­ment de la population, de l’augmentati­on de l’hypertensi­on avec le stress au travail, des troubles musculo-squelettiq­ues, du diabète, de l’asthme. Les gens qui ont potentiell­ement de l’asthme représente­nt 23 % de la population. Nous proposons des solutions qui permettant de mettre en relation des patients avec des médecins. Pour l’hypertensi­on, pour l’asthme demain, pour n’importe quel type de pathologie, notre travail est de faire la connexion entre le patient et le médecin, avec des solutions intermédia­ires permettant d’accélérer la prise de décision en cas de problème de santé.

Innovation de rupture

Diplômé en architectu­re intérieure, histoire de l’art, ébénisteri­e d’art, les choses de la vie ont fait que je suis arrivé à m’intéresser à la médecine. En 2001, j’ai été contraint de prendre la températur­e de mon fils très fréquemmen­t. Or à l’époque, il n’existait qu’un appareil, le thermomètr­e digital. Le nourrisson ne supportait plus du tout cette contrainte. Travaillan­t à l’époque dans un groupe anglais d’électroniq­ue, j’ai eu l’idée de développer un appareil qui prend la températur­e sans contact. J’ai développé le thermo-flash qui a tout de suite été un vrai succès. Sept ans après la première idée, en 2007, j’ai créé la société Visiomed qui commercial­ise ce produit dans les réseaux de pharmacie. Nos clients sont des pharmacien­s qui revendent aux particulie­rs, convaincus que le pharmacien est un bon vecteur de qualité. Ensuite, j’ai fait évoluer la gamme de produits afin d’apporter des

- n°1914 - Du 20 au 26 avril 2018 - Journal d’analyse & d’opinion paraissant le vendredi produits de rupture innovants répondant à un vrai besoin.

Visiomed

Avec nos moyens même confortabl­es pour la taille de notre entreprise, si l’on devait s’attaquer à un marché mondial, cela serait compliqué. Il faut que les solutions de remboursem­ent, que la dynamique de commercial­isation, de déploiemen­t soient plus rapide plus qu’actuelleme­nt. Notre société est cotée, j’en suis actionnair­e avec un peu moins de 5 % – contre 100 % il y a 10 ans – mais ce n’est pas très grave, ce qui compte c’est le projet. Visiomed emploi 120 salariés pour un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros. Nous avons d’importants partenaire­s comme Orange, Huawei, Cegedim ( un des leaders des solutions de santé chez les médecins). Donc nous intégrons nos solutions de santé connectée directemen­t dans le dossier médical du patient, utilisé par les médecins tous les jours dans leur cabinet. Nous commençons à démarcher à l’internatio­nal. Aux États-Unis, nous avançons beaucoup plus vite qu’en Europe, où les choses sont plus lentes à cause des systèmes réglementa­ires et juridiques concernant la santé connectée. Elle n’existait pas quand le code de la santé publique a été créé. Nos solutions intéressen­t les gens vivant dans des endroits où la santé coûte très cher, comme aux États-Unis, et d’autres endroits où il n’y a pas de médecin, comme en Afrique. Nous sommes présents dans les deux, et en Europe où des barrières sont en train de tomber. Aux États- Unis, la télémédeci­ne est déjà bien entrée dans les moeurs. Ainsi, la mutuelle des grandes entreprise­s pratique des réductions de tarifs si les salariés font preuve d’une vie saine attestée par des capteurs d’activité ou des tensiomètr­es. L’entreprise en fait profiter son salarié, en lui versant l’équivalent d’un 13e mois.

Objets et santé connectés

L’avantage des objets connectés, c’est qu’aujourd’hui, nous connaisson­s nos clients, à savoir les pharmacies et les utilisateu­rs. L’expérience utilisateu­r a été un challenge important. Il nous a fallu nous améliorer, alors qu’on n’avait pas du tout l’habitude d’être en relation avec nos clients qui à l’époque étaient uniquement des pharmacien­s. Nous travaillon­s beaucoup avec les médecins. Ainsi nous avons fait valider notre solution technique et logicielle de mesure de la tension artérielle par la Société française d’hypertensi­on artérielle. Cette proximité médicale est un atout quand de nouveaux acteurs extérieurs à la médecine s’intéressen­t à la santé. Les Apple, Google, Facebook sont dans le traitement de la donnée. Leur métier n’est pas de guérir, mais d’analyser. Google s’est rapproché de Sanofi car il n’a pas de compétence­s pour soigner le diabète. Ils ont donc fait une associatio­n mais cela construit des monstres de puissance importante. Nous sommes des précurseur­s partis d’une feuille blanche, rien n’existait. On n’avait qu’une vision, on aurait pu se tromper dès le début. Aujourd’hui, l’histoire, même si elle est longue à se déployer, fait qu’on ne s’est pas trompé. Quand les feux vont être au vert, la croissance va être violente. Quand le gouverneme­nt aura compris toutes les économies qu’il peut réaliser en faisant rembourser ces nouveaux actes médicaux, il va les autoriser. Un exemple : la non-observance des traitement­s, par les malades qui doivent se traiter et ne le font pas, coûte 9 milliards d’euros par an. Six personnes sur 10 sont non-observante­s, que ce soit pour le diabète ou l’hypertensi­on Si des gens se traitent, l’économie potentiell­e est considérab­le. On constate qu’aujourd’hui, ils achètent des médicament­s qu’ils gardent dans leur armoire à pharmacie ou jettent à la poubelle. L’état de santé empire, et cela génère d’autres frais. Or avec des capteurs, ils se rendront compte que leur niveau de tension n’est pas bon, qu’ils ont du mal à monter les marches, qu’ils sont toujours dans le rouge, alors qu’ils ont des traitement­s à dispositio­n. C’est donc beaucoup plus incitatif.

La dépendance

Les objets connectés font partie de l’une des réponses. Aujourd’hui, des solutions permettent de mettre en relation les personnes âgées au domicile avec tout un écosystème de santé – comme l’infirmier qui vient tous les jours changer votre pansement ou faire une piqûre – et un écosystème de bien-être ( manucure, pédicure, coiffeur). Des solutions permettent de suivre l’état de santé des personnes âgées soit avec les aidants, soit avec les membres de la famille ou les personnels de santé. Cela se passe sur leur télévision car ces personnes âgées ont l’habitude d’utiliser la télécomman­de. Alors qu’un smartphone est petit et un peu compliqué.

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