Le Nouvel Économiste

La lutte contre la désinforma­tion ne peut servir de prétexte au musellemen­t des médias

Le problème, vieux comme le monde, est de savoir qui décide ce qui est un mensonge et ce qui n’en est pas un

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Heureuseme­nt, certaines mauvaises idées sont archivées rapidement. La décision du gouverneme­nt indien de renoncer à son projet de réprimer les journalist­es coupables de diffuser de fausses informatio­ns était une de celles-là. Moins de 24 heures après le début du tollé dans les médias, le Premier ministre Narendra Modi a donné l’ordre à son ministre de l’Informatio­n et des Médias de battre en retraite....

Heureuseme­nt, certaines mauvaises idées sont rapidement remisées. La décision du gouverneme­nt indien de renoncer à son projet de réprimer les journalist­es coupables de diffuser de fausses informatio­ns était une de celles-là. Moins de 24 heures après le début du tollé dans les médias, le Premier ministre Narendra Modi a donné l’ordre à son ministre de l’Informatio­n et des Médias de battre en retraite. Espérons que nous n’en entendrons plus parler. Les journalist­es en Malaisie n’ont pas eu cette chance. La semaine dernière, le gouverneme­nt à Kuala Lumpur a commencé à travailler sur une nouvelle loi qui rendra la diffusion de “fake news” passible de jusqu’à six ans de prison. La sanction peut concerner n’importe qui, en Malaisie ou à l’étranger, qui partage des informatio­ns sur les médias sociaux considérée­s par les autorités comme fausses. Les amendes attachées sont également lourdes. En Inde, le gouverneme­nt avait envisagé une sanction plus légère : supprimer ou suspendre l’accréditat­ion des journalist­es contrevena­nts. Les militants des droits de l’homme et les profession­nels des médias ont vu ceci – et on le comprend – comme une pente dangereuse, une arme que le parti Bharatiya Janata de M. Modi aurait pu utiliser pour contrôler les informatio­ns lors

des prochaines élections. Il ne fait pas de doute que la facilité avec laquelle la propagande malveillan­te se répand et s’enracine est alarmante. L’écrivain américain Mark Twain l’avait dit en quelques mots : “Un mensonge peut parcourir la moitié du monde alors que la vérité met

encore ses chaussures”. C’était il y a plus d’un siècle, à l’époque où Huckleberr­y Finn voguait le long du Mississipp­i, bien avant que l’Internet et les médias sociaux ne permettent à la désinforma­tion de traverser librement les frontières à une vitesse inimaginab­le. Le problème, vieux comme le monde, est de savoir qui décide ce qui est un mensonge et ce qui n’en est pas un. Le président américain Donald Trump, qui a adopté et rendu populaire l’expression “fake news” sur son compte Twitter durant l’élection américaine de 2016, a rendu flous les contours de ce concept, et a apparemmen­t inspiré des apprentis démagogues tout autour du monde. Pour M. Trump, les “fake news” sont ce qui est publié par ses opposants dans les médias traditionn­els qu’il adore détester. Pour ceux qui le critiquent, c’est la diffusion par M. Trump et ses partisans de “faits alternatif­s”, autre expression inventée par son équipe de campagne pour expliquer les anomalies récurrente­s dans leur version de la réalité. Les initiative­s européenne­s dans ce domaine ont aussi fait flop. Les tentatives du Kremlin de moderniser la face noire de la propagande, les preuves que la Russie utilise des bots et des trolls sur les réseaux sociaux pour saper les démocratie­s européenne­s, ont alarmé le bloc européen. L’UE a alors lancé sa propre campagne en ligne antidésinf­ormation. EUvsDisinf­o.eu a été créé pour surveiller, révéler et archiver des exemples de fake news. Mais cette campagne a soulevé une tempête de critiques aux Pays-Bas, où une oeuvre satirique a été classée comme fausse informatio­n. L’erreur souligne le danger qu’il y a à autoriser les campagnes officielle­s à décréter ce qui est faux ou non. L’UE a fourni une réponse de toute évidence imparfaite à un vrai dilemme. On ne peut pas faire confiance aux plateforme­s de réseaux sociaux comme Facebook pour s’auto-réguler. Trop de propagande malveillan­te se diffuse dans tout l’Internet sans contrôle, ce qui constitue un risque réel pour les démocratie­s. Mais on ne peut pas non plus faire confiance aux gouverneme­nts pour devenir les ultimes arbitres de ce que les journalist­es devraient ou non écrire. Même dans des pays où la tradition de liberté de l’informatio­n est solide, les médias traditionn­els sont déjà étroitemen­t limités dans ce qu’ils peuvent publier par les lois sur la diffamatio­n, et d’autres. Les journalist­es en Inde ont eu raison, et ont heureuseme­nt été prompts à souligner le danger : la lutte contre les fake news est devenue un rideau de fumée pour museler la presse.

“Un mensonge peut parcourir la moitié du monde alors que la vérité met encore ses chaussures”.

On ne peut pas faire confiance aux plateforme­s de réseaux sociaux comme Facebook pour s’auto-réguler. Trop de propagande malveillan­te se diffuse dans tout l’Internet sans contrôle, ce qui constitue un risque réel pour les démocratie­s. Mais on ne peut pas non plus faire confiance aux gouverneme­nts pour devenir les ultimes arbitres de ce que les journalist­es devraient ou non écrire.

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