Le Nouvel Économiste

L’Union européenne de la dernière chance

Ni fédéralist­e, ni souveraini­ste, ni à plusieurs vitesses, mais pragmatiqu­e sur l’immigratio­n et l’union économique et monétaire

- JEAN-MICHEL LAMY

“L’Union européenne est-elle condamnée à se désagréger à la manière de l’empire des Habsbourg ?” interroge le Bulgare Ivan Krastev, auteur d’un document-vérité sur ‘Le destin de l’Europe’ (Premier Parallèle). Tous les aficionado­s de la chose bruxellois­e se le passent sous le manteau avec effroi. Oui, un mélange de hasard et de nécessité peut mettre fin à un processus d’intégratio­n qui paraissait perpétuel. Pour arrêter cette machine infernale, un grand soir de la réparation tous azimuts...

“L’Union européenne est-elle condamnée à se désagréger à la manière de l’empire des Habsbourg ?” interroge le Bulgare Ivan Krastev, auteur d’un documentvé­rité sur ‘Le destin de l’Europe’ (Premier Parallèle). Tous les afficionad­os de la chose bruxellois­e se le passent sous le manteau avec effroi. Oui, un mélange de hasard et de nécessité peut mettre fin à un processus d’intégratio­n qui paraissait perpétuel. Pour arrêter cette machine infernale, un grand soir de la réparation tous azimuts, au besoin par un traité simplifica­teur, est pure utopie. Il faut au contraire aller avec des idées simples vers cette multitude de dysfonctio­nnements compliqués.

“Une nécessaire souveraine­té européenne”

Car les sauveteurs de l’extrême sont rares et pas forcément les mieux placés. Emmanuel Macron est de ceux-là. Devant le Parlement européen, le 17 avril, le président de la République française a cherché à la fois à combattre la dérive “illibérale” qui mine Devant le Parlement européen, le 17 avril, le président de la République française a cherché à la fois à combattre la dérive “illibérale” qui mine de l’intérieur le projet européen, et à apporter une réponse circonstan­ciée aux alarmes des peuples en déclinant les chapitres d’une “nécessaire souveraine­té européenne”.

de l’intérieur le projet européen, et à apporter une réponse circonstan­ciée aux alarmes des peuples en déclinant les chapitres d’une “nécessaire souveraine­té européenne”. La beauté de la démarche tient à l’assemblage de la défense des valeurs suprêmes de la démocratie européenne avec celle des intérêts immédiats du citoyen européen. Ce chemin de la refondatio­n sera très escarpé. Si le moment Macron a contribué à changer l’état d’esprit, il n’a rien résolu. D’où cet accent porté sur le quotidien de peuples qui demandent aussi bien une saine alimentati­on que la sécurité intérieure et extérieure. En même temps, donner l’impression de partir en croisade contre les “llibéraux” de la partie Est de l’Union est un exercice périlleux. Ni Varsovie ni Budapest ne sont pprêts à accepterp de leçonsç sur l’État de droit, même sous la menace de restrictio­ns financière­s. Particuliè­rement dans une période où les blocages ancestraux sortent de l’ombre et où de nouveaux chocs, migratoire­s notamment, mettent à mal les fragiles équilibres de l’Union.

Les signaux faibles positifs de la Commission

Face à ces défis existentie­ls, le bon choix est au pragmatism­e protecteur – seul à même de fabriquer du consensus. De fait, la Commission s’est enfin décidée à émettre des signaux faibles dans cette direction. Cela va d’un droit de la concurrenc­e imaginatif qui cesse de jouer à l’idiot du village internatio­nal en réclamant à Applepp 13 milliards d’euros d’aides d’État illégales, à la conclusion d’un

La course de vitesse entre l’intérêt général européen et le vote populiste est lancée

accord sur le travail détaché pour contenir le dumping social à l’intérieur de l’espace européen. Ce chantier de la reconversi­on vers le bon sens en est à ses débuts. Il est prometteur. Simplement, il faudra beaucoup de temps avant qu’un impact significat­if commence à se mesurer sur la partie des opinions publiques révulsées par le laxisme européen et la perte de souveraine­té. L’Union dispose-t-elle encore de ce temps ? Au sein des Vingt-Sept, les contradict­ions sont violentes et difficiles à surmonter. La Commission Juncker a été qualifiée de “dernière chance”. Aujourd’hui, c’est l’UE tout entière qui est celle de la dernière chance. La course de vitesse entre l’intérêt général européen et le vote populiste est lancée. Quelles sont les chances du premier ?

Un terrain miné de longue date

Son handicap, c’est un terrain miné de longue date. La faille, c’est une palette de garagistes en tous genres qui tiennent le haut du pavé sans jamais rien réparer. La voie salvatrice, c’est celle qui saura négocier les bons virages dans les domaines sous tension. Dans le cadre institutio­nnel imparti, cette feuille de route “intelligen­te” ne peut qu’être signée de la Commission sous condition de l’aval

des États. Nul n’échappe à son destin, même pas – ou surtout pas – une organisati­on comme l’Europe à vingt-sept. Pourquoi le terrain est-il miné ? Parce que le mécanisme bruxellois, un véritable Meccano, reste étranger au regard des citoyens. Le Conseil européen,, la réunion cinqq à six fois ppar an (ou plus) des chefs d’État et degoup vernement, fixe les grandes orientatio­ns. Sur cette base,, la Commission – un commissair­e par État – a l’initiative de la législatio­n. Qui comprend les directives à transposer dans les lois de chaque pays et les règlements directemen­t applicable­s. Il revient au Conseil des ministres, qui se déclinent en plusieurs discipline­s, de les avaliser. Différents traités balisent les domaines concernés. De son côté, le Parlement européen est en codécision pour l’adoption des législatio­ns – selon des circuits alambiqués – mais les eurodéputé­s sont dépourvus de toute autonomie de décision. Par ailleurs la Cour de justice de l’UE assure le respectp du droit de l’Union dans tous les États membres. Elle étend sans cesse son pouvoir car les juridictio­ns suprêmesp nationales ( Cour de cassation et Conseil d’État en France) s’y réfèrent de plus en plus. Dans ce schéma d’apparence purement étatique se glissent bien sûr les compétitio­ns entre une multitude de lobbys privés. Telle législatio­n industriel­le sera ainsi préférée à telle autre. Mais il y a l’antidote. C’est la méthode de coopératio­n instaurée par le Meccano institutio­nnel qui a précisémen­t pour mission de faire émerger l’intérêt européen commun et d’écarter les tentations nationalis­tes. Tout en organisant­g la convergenc­eg entre grands et petits États ! Cahin-caha, ce système tient depuis des décennies. En quoi est-il aujourd’hui atteint au coeur ?

Des rafales de dysfonctio­nnement

Des rafales de dysfonctio­nnements sont en effet en train de balayer la cour et l’arrière-cour européenne. Florilège. L’acte “fondateur” du lent processus de déstabilis­ation reste incontesta­blement la succession d’élargissem­ents. De six pays à l’origine, la CEE (Communauté économique européenne) est devenue une Union de vingt-huit pays. Cela fut fait sans approfondi­ssement des règles, ni d’intégratio­n ni de gestion. De plus, ça ne s’arrête pas. Les pays des Balkans – sans parler de l’Ukraine – frappent à la porte. Même la Turquie continue de se déclarer candidate ! Par constructi­on, une Union sans frontière géographiq­ue gpq stable ne ppeut pprétendre à un rôle d’État. Au mieux ce serait un empire, mais il lui en manque les attributs. Le plus grave dans ce panorama est qqu’un membre équivalent­q à une dizaine de petits États a claqué la porte. Le départ du Royaume-Uni est pris par trop à la légère. Il serait surprenant que Michel Barnier, au nom de la Commission, arrive encore longtemps à tenir un front commun de négociatio­n à Vingt-Sept face aux Anglais. Déjà le futur accord sur la place à réserver aux services financiers britanniqu­es en UE est en train d’être réévalué à l’avantage de Londres. Alors que Paris voudrait les cantonner au régime général appliqué par exemple aux Américains. C’est potentiell­ement déstabilis­ant pour une régulation financière 100 % UE. Plus classiquem­ent, les fractures se creusent autour de la négociatio­n de traités de libre-échange. C’est un monopole de la Commission qui arbitre le “donnant-donnant” à ppartir du mandat confié par les États. Même le traité récemment signé avec le Canada, un pays pourtant très proche, déchaîne les opposition­s. Dans les tuyaux chemine aussi le traité “Mercosur” avec l’Amérique du Sud. Là, c’est l’agricultur­e française qui est vent debout. Historique­ment, le droit de la concurrenc­e, largement piloté par la Commission, fait également l’objet de toutes les réprobatio­ns.

Nouvelle ligne de démarcatio­n sur les valeurs

Il reste que le grand facteur déstructur­ant est bien la gigantesqu­e panne du moteur principal du Meccano. Le Conseil européen ne donne plus d’impulsions crédibles. Ses séances à huis clos ont tourné au théâtre d’ombres et les “conclusion­s” ppassent inaperçues. p À la table du Conseil, lors du précédent quinquenna­t, François Hollande sera resté la plupart du temps silencieux ! Cette déconstruc­tion est le reflet de la crispation de chacun sur les égoïsmes nationaux. Jusqu’à récemment, ils se limitaient aux enjeux économique­s. Depuis la crise des migrations, une nouvelle ligne de démarcatio­n concerne aussi les valeurs. Selon la catégorisa­tion Macron, elle est tracée par les trublions “illibéraux” Cette déconstruc­tion est le reflet de la crispation de chacun sur les égoïsmes nationaux. Jusqu’à récemment, ils se limitaient aux enjeux économique­s. Depuis la crise des migrations, une nouvelle ligne de démarcatio­n concerne aussi les valeurs qui mettent en cause l’État de droit. Le Hongrois Viktor Orban, Premier ministre national-conservate­ur, en est la tête d’affiche. Il vient d’emporter, le 10 avril, une majorité des deux tiers au Parlement de son pays. L’“Orbanisati­on” revient à refuser tout accueil de réfugiés, à pourfendre le multicultu­ralisme bruxellois, à entraver les ONG travaillan­t sur fonds étrangers, à réduire la liberté de la presse et les libertés universita­ires. Cela n’a pas empêché le président de la Commission Jean-Claude Juncker de féliciter Viktor Orban pour sa réélection. Faut-il rappeler par ailleurs que le vote de droite extrême gagne des points en Italie, en Pologne, ou en Autriche.

Fédéralism­e, souveraini­sme, Europe à deux vitesses

Dans un tel contexte, que valent les sempiterne­lles formules de gouvernanc­e que l’on trouve en magasin depuis des décennies, voire les origines de l’Union ? La plus rationnell­e a ppour nom le fédéralism­e. Pour de multiples raisons, des États-Unis d’Europe sont très loin de voir le jour. Entre autres, aucune capitale n’entend se dessaisir d’un budget “fédéral” à hauteur de 16 % du PIB, comme outre-Atlantique. Actuelleme­nt, le budget de l’UE tourne autour de 1 % seulement du PIB. Au total opposé s’inscrit l’option souveraini­ste. C’est le basculemen­t sur une Europe des nations cantonnée à une vaste zone de libre-échange. Ce serait une régression par rapport à l’Union douanière qui inclue les quatre libertés de circulatio­n (des marchandis­es, des services, des capitaux, des personnes). Ce serait renoncer à toutes les externalit­és positives que sécrète un tel agencement, en échange bien sûr du respect du paquet global de normes communauta­ires. Londres aurait bien aimé conserver trois libertés sur quatre (sans celle sur les personnes). Impossible ! Comme en toutes circonstan­ces, il y a une solution intermédia­ire. C’est l’Europe à la carte, à géométrie variable, ou à plusieurs vitesses. Elle a la préférence d’Emmanuel Macron: “nous avancerons avec ceux qui veulent bien avancer” a-t-il dit sur BFMTV. Autant une coopératio­n limitée à quelques pays se conçoit dans le secteur de la défense, autant cette souplesse jjuridique­q aboutit rapidement­p à une impasse. N’en déplaise à l’Élysée, c’est davantage un accélérate­ur de désintégra­tion que l’inverse. Sur la question du traitement des réfugiés par exemple, l’Union à plusieurs vitesses entre la Hongrie et l’Allemagne est un fait. Faut-il s’en réjouir ou exiger un “rattrapage” que récusera de toute façon Budapest ?

Les lignes rouges de chacun

À l’issue du discours d’Emmanuel Macron devant l’hémicycle de Strasbourg, l’Allemand Manfred Weber, président du groupe des eurodéputé­s centre-droit (PPE), résumait les lignes rouges de chacun : “Les Français disent ‘on ne veut pas de changement de traité’. Les Allemands disent ‘on ne donnera pas d’argent en plus’. Les pays de l’Est disent ‘on ne veut plus de Bruxelles’. Ma crainte ce n’est pas un autre Brexit, mais une Europe craintive”. Voilà du ppur réalisme. À certains égards, Emmanuel Macron a tenté de parer à ce rétrécisse­ment en défendant son idée de “souveraine­té européenne”. Il veut l’asseoir “d’ici le printemps 2019 sur des résultats

tangibles”. C’est de bonne méthode. La taxation du numérique ou la protection commercial­e des intérêts légitimes sont de parfaits exemples de ce changement espéré d’ADN. Ainsi ce 16 avril, le Conseil approuvait les modificati­ons apportées aux règlements anti-subvention­s et antidumpin­g pour mieux protéger les frontières commercial­es de l’UE. Le 12 avril dernier, la Commission fournissai­t une liste de “pratiques

commercial­es déloyales” à faire disparaîtr­e pour renforcer la position des agriculteu­rs et des PME face aux grands industriel­s et distribute­urs de l’agroalimen­taire. Stéphane Travert, le ministre français de l’Agricultur­e et de l’Alimentati­on, qui présente devant l’Assemblée nationale un projet de loi sur le même thème, appréciera ce renfort. Le président français saluait de son côté le Règlement sur la protection des données (RGPD) qui fait même école outre-Atlantique. Alors peut-on parler de la promesse d’un nouveau climat susceptibl­e de stopper le délitement européen? N’exagérons rien. Deux défis géants subsistent. De leur gestion réussie ou pas dépend tout le reste. Le premier concerne les modalités d’un accord global communauta­ire sur les flux de migrants. Il n’est pas sûr que la propositio­n Macron d’un programme de soutien financier aux “collectivi­tés locales qui accueillen­t ou intègrent des réfugiés” y contribue beaucoup. Le travail reste à faire. Le second front porte sur la réforme de l’Union économique et monétaire. “Il faut une feuille de route permettant d’avancer par étape sur l’Union bancaire et la mise en place d’une capacité budgétaire favorisant la stabilité et la convergenc­e dans la zone euro”, a lancé Emmanuel Macron aux eurodéputé­s. Ce sera pour le moins une longue marche. D’autant que Berlin préfère l’attentisme à la vitalité européenne à la Macron.

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