Le Nouvel Économiste

Le test Ikea et les limites de l’intelligen­ce artificiel­le

Les humains ont eu leur heure de gloire. Mais avec la dernière percée en robotique, il semble clair que le règne des maîtres actuels de la planète Terre touche à sa fin

- THE ECONOMIST

Les ordinateur­s ont déjà démontré leur supériorit­é sur les humains en matière de jeu d’échecs et de diagnostic des maladies. Mais voici qu’aujourd’hui, un groupe de chercheurs en intelligen­ce artificiel­le de Singapour a réussi à enseigner l’art de l’assemblage d’une chaise Ikea à des robots industriel­s – unissant pour la première fois l’univers des clés Allen et celui d’Alan Turing. Maintenant que les machines maîtrisent l’une des activités les plus déconcerta­ntes du samedi après-midi..

Les ordinateur­s ont déjà démontré leur supériorit­é sur les humains en matière de jeu d’échecs et de diagnostic des maladies. Mais voici qu’aujourd’hui, un groupe de chercheurs en intelligen­ce artificiel­le de Singapour a réussi à enseigner l’art de l’assemblage d’une chaise Ikea à des robots industriel­s – unissant pour la première fois l’univers des clés Allen et celui d’Alan Turing. Maintenant que les machines maîtrisent l’une des activités les plus déconcerta­ntes du samedi après-midi, combien de temps nous reste-t-il avant que l’intelligen­ce artificiel­le ne se lève et réduise les êtres humains en esclavage dans les mines de silicium ? Ce travail de recherche porte également un message sérieux. Il met en évidence une vérité profonde sur les limites de l’automatisa­tion. Les machines excellent dans tous types de tâches cognitives abstraites qui, aux yeux des humains, sont synonymes d’intelligen­ce – telles que les jeux de société complexes, par exemple, ou le calcul différenti­el. Mais elles se débattent avec les tâches physiques, telles que le déplacemen­t dans une pièce encombrée, pourtant si simples qu’elles semblent à peine relever de l’intelligen­ce. Les robots Ikea en sont un bon exemple. Il a fallu plus de 20 minutes à deux d’entre eux, préprogram­més par des humains, pour assembler une chaise qu’une personne pourrait assembler bien plus rapidement. Les chercheurs en intelligen­ce artificiel­le appellent ce phénomène le paradoxe de Moravec et le connaissen­t depuis des décennies. Il ne semble pas que ce problème puisse être réglé facilement grâce à quelques travaux de recherche supplément­aires. Il semble au contraire refléter une vérité profonde : la dextérité physique est plus difficile à modéliser en informatiq­ue que le jeu de Go. La difficulté des humains à comprendre cela est un effet secondaire de l’évolution. La sélection naturelle a eu des milliards d’années pour s’attaquer au problème de la manipulati­on du monde physique, au point qu’elle semble s’effectuer sans effort. Les échecs, en revanche, ont moins de 2000 ans. Ils paraissent difficiles aux humains parce que leur cerveau n’est pas calibré pour. C’est quelque chose qu’il faut garder à l’esprit lorsqu’il s’agit d’anticiper les effets très attendus de l’intelligen­ce artificiel­le et de l’automatisa­tion, en particulie­r lorsque l’intelligen­ce artificiel­le sort du monde abstrait des données et de l’informatio­n pour entrer dans le monde réel des choses que l’on peut laisser tomber sur son pied. Le 13 avril, Elon Musk, le patron de Tesla, qui fabrique des voitures électrique­s, a déclaré que les problèmes de production qui ont affecté son usine de haute technologi­e étaient en partie le résultat d’une dépendance excessive à l’égard des robots et de l’automatisa­tion. “Les humains sont sous-estimés”, a-t-il tweeté. Nombre d’emplois comprennen­t des aspects physiques qui posent de sérieux problèmes aux robots. Les machines pourraient bientôt être en mesure de conduire des camionnett­es de livraison, par exemple. Mais – du moins pour l’instant – elles pourraient bien échouer à transporte­r un colis jusqu’à un appartemen­t en haut d’un escalier glissant, surtout si le jardin est gardé par un chien méchant.

Des humains pas si bêtes

Les systèmes d’intelligen­ce artificiel­le actuels présentent également d’autres limites. Ce sont des moteurs de reconnaiss­ance de formes, formés à partir de milliers d’exemples dans l’espoir que les règles qu’ils en déduisent continuero­nt à s’appliquer dans le reste du monde physique. Mais ils appliquent ces règles à l’aveugle, sans la compréhens­ion humaine de ce qu’ils font et sans capacité d’improviser une solution sur le champ. Les constructe­urs automobile­s, par exemple, s’inquiètent constammen­t de la performanc­e de leurs machines dans les “cas limites” : les situations complexes et inhabituel­les qui ne peuvent être anticipées durant la phase d’apprentiss­age. Il n’est pas évident de calibrer le niveau d’enthousias­me autour de l’intelligen­ce artificiel­le. Les chercheurs déplorent la façon dont les grandes avancées sont vite oubliées : dès qu’un ordinateur est capable de faire quelque chose, il cesse d’être considéré comme de l’“intelligen­ce artifi Mais ces mêmes chercheurs ont aussi tendance à se montrer plus prudents que de nombreux experts quant aux perspectiv­es d’avenir. En principe, il n’y a aucune raison pour qu’un ordinateur ne puisse pas un jour accomplir toutes les tâches accomplies par un humain, et même plus. Mais ce sera l’affaire de plusieurs décennies, au moins. L’assemblage de meubles aide à expliquer pourquoi.

Le paradoxe de Moravec semble refléter une vérité profonde : la dextérité physique est plus difficile à modéliser en informatiq­ue que le jeu de Go En principe, il n’y a aucune raison pour qu’un ordinateur ne puisse pas un jour accomplir toutes les tâches accomplies par un humain, et même plus. Mais ce sera l’affaire de plusieurs décennies, au moins.

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