Le Nouvel Économiste

LE BUSINESS DU FUNÉRAIRE

Les familles endeuillée­s, mieux informées, ne font plus automatiqu­ement ce qu’on leur ordonne et ne paient plus ce qu’on leur facture

- THE ECONOMIST

Plus de 100 personnes meurent sur la terre à chaque minute. La plupart de ces morts sont source de chagrin pour certains et de revenus pour d’autres. Les quelque 2,7 millions de décès annuels en Amérique font vivre un secteur représenta­nt 16 milliards de dollars en 2017, 19 000 entreprise­s de pompes funèbres, 120000 emplois directs ou indirects. En France, le marché est estimé à 2,5 milliards d’euros. En Allemagne, il était de 1,5 milliard en 2014 et employait presque 27 000 personnes, dont un sixième travaillan­t directemen­t dans les entreprise­s de pompes funèbres. En Grande-Bretagne, le secteur est estimé à 2 milliards de livres (2,3 milliards d’euros) et à plus de 20 000 emplois (les employés de pompes funèbres représente­nt un cinquième de ce chiffre). D’ici à 2050 en Amérique, les babyboomer­s vont atteindre le grand âge au cours des prochaines décennies : le taux annuel de mortalité va grimper de 8,3 pour 1000 personnes aujourd’hui à 10,2 pour mille. De 10,6 pour mille à 13,7 pour mille en Italie, et de 9,1 pour mille à 12,8 en Espagne. Cette projection de croissance intéresse les gestionnai­res de fonds, qu’ils soient capital-risqueurs ou les bons vieux et ennuyeux fonds de pension. Ils se glissent dans le business de la mort. L’an dernier, le fonds de pension des enseignant­s de l’Ontario a racheté l’une des plus importante­s enseignes espagnoles de pompes funèbres à 3i Group, un fonds britanniqu­e, pour 117 millions de livres, puis a augmenté sa participat­ion dans un de ses homologues français. Le business du corps mort est défini comme : très prévisible, sans corrélatio­n avec d’autres secteurs liés à l’inflation, avec des risques négligeabl­es et de fortes marges.

Mais dans certaines parties du monde, un changement profond a lieu dans ce que souhaitent les familles pour des obsèques. Le romancier Thomas Lynch écrivait dans ‘The Undertakin­g’ (1997), un véritable guide sur la pratique de “cet horrible métier” dans une petite

ville américaine : “Chaque année, j’enterre environ 200 de mes concitoyen­s. Je transporte au crématoriu­m entre 20 et 40 morts. Je vends des cercueils, des caveaux et des urnes pour les cendres. J’ai un business parallèle en pierres tombales et monuments funéraires. Je fais des couronnes sur commande”. Les évolutions sociales, religieuse­s et technologi­ques menacent de transforme­r radicaleme­nt ce modèle économique. En Amérique du Nord, le métier d’employé des pompes funèbres ressemble actuelleme­nt de plus en plus celui d’un organisate­ur d’événements, remarque Sherri Tovell, entreprene­use de pompes funèbres à Windsor, au Canada. Récemment, pour les funéraille­s qu’elle a organisées, elle a reçu ces requêtes : une case hawaïenne, des cocktails margaritas, un karaoké et une livraison de pizzas. Certaines familles recrutent un officiant pour animer une “célébratio­n de la vie”. D’autres veulent mélanger les cendres à des feux d’artifice et les faire exploser dans les cieux. Les pompes funèbres traditionn­elles ont des difficulté­s à trouver leur place parmi de telles facéties. Une autre tendance, connue sous le nom de “crémation directe”, les exclut carrément. Le métier doit diversifie­r son offre de services et fait face par ailleurs à une concurrenc­e croissante sur ses produits. La profession a ses origines dans le métier de charpentie­r. “Vous achetiez un cercueil cher et les funéraille­s étaient comprises dans le prix” se souvient Dan Isard, “consultant funéraire” à Phoenix, dans l’Arizona. L’accord tacite passé était que le mort serait traité avec dignité et que les familles ne demandaien­t pas s’il y avait une autre solution qu’un cercueil à 1 000 ou 2 000 dollars, ou si les “soins mortuaires” étaient absolument nécessaire­s. Le secteur s’apparentai­t un peu à la prostituti­on, déclare Dominic Akyel de l’université de Cologne: légal (comme la prostituti­on dans certains pays), mais tabou “et on ne se permettait certaineme­nt pas de pinailler ou de marchander”. L’entreprene­ur de pompes funèbres pouvait compter à une époque sur un flot constant de clients qui posaient peu de questions et en retour, et lui (c’était généraleme­nt un homme) en posait peu. Protestant ou catholique ? Cercueil ouvert ou fermé ? Et dans certaines parties du monde : enterremen­t ou crémation? Une nouvelle génération de clients ne confie plus aveuglémen­t ses morts à l’entreprise de pompes funèbres la plus proche. Ils se tournent ailleurs, que ce soit vers un art funéraire nouveau genre, ou vers les chaînes d’hôtels qui “font” les obsèques, ou encore – pour le cercueil ou une urne – vers Amazon et Walmart.

Rude concurrenc­e

“Ça se déroule dans des restaurant­s, des boîtes de nuit, des salles de réception pour les mariages, des country clubs, et c’est très dangereux” estime Bill McReavy, entreprene­ur de pompes funèbres à Minneapoli­s. Il a été vigoureuse­ment approuvé par ses pairs à Boston lors de la convention annuelle de la NFDA (American National Funeral Director Associatio­n). Selon la NFDA, les revenus du secteur vont stagner entre 2016 et 2021. L’une des raisons qui expliquent cette morosité est la tendance lourde en faveur de la crémation: c’est à la fois moins cher qu’un enterremen­t et elle permet une gamme plus large de rituels… “Vous devez faire deux crémations pour gagner la même somme qu’avec un enterremen­t” explique David Nixon, un profession­nel de l’Illinois. Les familles s’éparpillan­t toujours plus, les proches ne peuvent s’occuper personnell­ement des tombes dans leur ville natale. En outre, les gens s’identifien­t toujours plus comme appartenan­t à plusieurs lieux. Ils commencent donc à désirer plus d’un lieu de repos éternel.

Dans les pays à forte pratique religieuse, l’enterremen­t est toujours la norme. En Irlande, c’est 82 %, en Italie, 77 %. Mais plus de la moitié des Américains adoptent la crémation, alors qu’en 1960, le chiffre était de 4 %. On pprévoit qqu’elle atteindra 79 % en 2035. À la convention de Boston, une délégation chinoise fait des provisions de bonbons gratuits appelés “Bereave-mints” [jeu de mots intraduisi­ble, de ‘bereavemen­t’ (accablemen­t) et ‘mint’ (bonbon à la

menthe), ndt] mais les Chinois sont d’abord venus pour s’informer sur la crémation, qui est passée en Chine de 33 % en 1995 à 50 % en 2012. Au Japon, où la crémation est vue comme une purificati­on avant le passage dans une nouvelle vie, elle est presque universell­e. Le prix d’une crémation ppeut encore baisser. À l’ouestd’Amsterp dam, dans une zone industriel­le, un petit immeuble abrite le siège de plusieurs sites proposant des crémations low cost, toutes effectuées par la même société, Uitvaart24 (Funeral24), qui offre des “crémations simples” ou directes. Un cercueil simple, le transport, la réfrigérat­ion et la crémation sans présence des proches, pour un prix d’environ 1250 euros. “Nos clients n’ont soit pas d’argent, ou bien sont assez raisonnabl­es pour ne pas vouloir le dépenser” dit Jan-Jaap Palma, l’un des associés. La société n’a que trois ans mais gère aujourd’hui plus de 2 600 crémations par an. M. Palma aspire à devenir le plus important organisate­ur de funéraille­s des Pays-Bas. Ils sont toujours plus nombreux à prendre la route de la “crémation directe”. Le plus connu est sans doute David Bowie, mort en 2016. En Amérique, un tiers des crémations sont maintenant directes. En GrandeBret­agne, Dignity, la seule entreprise de pompes funèbres à être cotée en bourse, a commencé à proposer les “Simplicity Cremations” l’année dernière. Simon Cox, un porte-parole, pense que 10 % des crémations au Royaume-Uni seront directes d’ici à 2030. Ce n’est pas seulement une question de prix. Les endeuillés pleurent toujours leurs êtres chers. Mais ils séparent les hommages de ce qui arrive au corps, et peuvent ne pas avoir de raison d’inclure un employé des pompes funèbres dans les obsèques. Quand on a plus à se préoccuper du corps, il est possible d’organiser un événement soi-même dans un hôtel du voisinage, à l’heure qui vous convient. “Les sombres funéraille­s victorienn­es sont peu à peu remplacées par des événements plus personnels et plus joyeux” relève M.Cox. Lors de la convention de la profession à Boston, cette séparation du corps et de la cérémonie est vue comme une dérive inquiétant­e. “Où est l’invité d’honneur?…Pas de dernier adieu (visitation),), un cercueil vide,, ppas de soins funéraires. À quoi bon alors ?” demande Michael Nicodemus, profession­nel en Virginie, en levant les bras en signe d’exaspérati­on alors qu’il montre une diapositiv­e avec un cercueil vide. Des ateliers tels que “Répondre à une demande de renseignem­ents par téléphone sur la crémation” enseignent aux profession­nels présents à la convention comment faire face à la délicate question: “combien coûte une

Le business du corps mort est défini comme : très prévisible, sans corrélatio­n avec d’autres secteurs liés à l’inflation, avec des risques négligeabl­es et de fortes marges. Les endeuillés pleurent toujours leurs êtres chers. Mais ils séparent les hommages de ce qui arrive au corps, et peuvent ne pas avoir de raison d’inclure un employé des pompes funèbres dans les obsèques. Quand on a plus à se préoccuper du corps, il est possible d’organiser un événement soimême dans un hôtel du voisinage, à l’heure qui vous convient.

crémation?” au téléphone. Quand la femme qui joue le rôle de la cliente “Helen” demande si elle peut fournir une urne venant de la boutique artisanale Hobby Lobby, on lui rappelle p qqu’elles ne sont ppas conçues ç pour des cendres de crémation. À un client qui “veut juste se renseigner”, les profession­nels s’entraînent à répondre: “J’admire que vous fassiez votre enquête préalable”, et à leur conseiller de demander aux entreprise­s low cost de crémation comment elles peuvent garantir que les cendres rendues sont bien celles de la personne aimée.

La faucheuse verte

La crémation, directe ou non, n’est pas la seule rivale du bon vieil enterremen­t. Une étude de 2015 montre que plus de 60 % des Américains de quarante ans et plus pourraient envisager un enterremen­t “écologique”, sans soins funéraires, et avec un cercueil biodégrada­ble, ou pas de cercueil du tout. Cinq ans auparavant, ils n’étaient qu’un peu plus de 40 %. Jimmy Olson, un spécialist­e des funéraille­s “vertes” dans le Wisconsin, trouve qu’il n’est pas logique pour “une personne qui a recyclé toute sa vie et conduit une voiture Prius hybride d’être mis sous terre dans un caveau en ciment, dans un cercueil scellé en thermoplas­tique, et avec le corps plein de produits chimiques.” Les Américains enterrent chaque année 70 000 mètres cubes de bois, acheté principale­ment et au prix fort auprès des entreprise­s de pompes funèbres. C’est assez pour construire 2 000 maisons familiales en bois. Ils utilisent 1,6 million de tonnes de ciment renforcé pour les caveaux. La crémation gagne en popularité aussi parce que le gâchis est moindre. Mais brûler des corps (toujours plus gros) consomme de l’énergie. Un crématoriu­m classique, au gaz, rejette 320 kg de carbone dans l’atmosphère par corps (l’équivalent d’un trajet en voiture de vingt heures) et 2 à 4 grammes de mercure provenant des plombages dentaires. La Grande-Bretagne compte 270 cimetières “verts” et 9 % des obsèques sont désormais écologique­s, selon l’assureur SunLife. L’argument premier n’est plus uniquement la réduction des déchets. Gordon Tulley et son épouse gèrent deux “parcs cimetières” écologique­s. L’un se trouve dans une clairière du Lincolnshi­re, l’autre dans une forêt du Yorkshire. Des corps non embaumés dans un simple linceul ou un cercueil en bois de saule sont enterrés dans des fosses peu profondes sous les arbres. “Six pieds sous terre [la norme standard] c’est trop profond pour que les bactéries puissent décomposer le corps” explique M.Tulley. Les parcs sont beaucoup plus agréables à visiter que les cimetières, que ce soit avant ou après le décès. Vous pouvez réserver l’emplacemen­t exact où vous souhaitez être enterré, explique le site de M. Tulley : “Nous n’enterrons pas par rangées, mais à l’endroit choisi par vous ou bien votre famille”. Certaines personnes condamnées organisent des pique-niques en famille sur le lieu où elles seront enterrées. Pour un enfant, se rendre sur une tombe et avoir des bons souvenirs d’un parent de son vivant, ce n’est pas rien. Ces changement­s dans les “préférence­s des consommate­urs” agacent la plupart des entreprene­urs du funéraire. Leurs réactions vont de l’indignatio­n à une franche approbatio­n du changement. La plupart font l’autruche. Toutes ces réactions étaient visibles lors de la convention de la NFDA. S’il fallait un slogan, cela aurait pu être : “Ils ne savent pas ce qu’ils ne savent pas”, en référence au besoin qu’auraient les clients d’être “éduqués” à la valeur d’une cérémonie, d’une commémorat­ion, et – par-dessus tout – à celle de la présence de l’entreprene­ur. Mais tous ne jouent pas le catastroph­isme ou la condescend­ance. Selon un vétéran du secteur, la convention – qui s’est ouverte avec la musique de ‘Best Day Of My Life‘ – “était autrefois entièremen­t dédiée au matériel: les corbillard­s, les cercueils, les produits pour embaumer. Maintenant, tout est services”, dit-il en montrant un groupe de jeunes qui apprennent aux employés des pompes funèbres à se lancer sur Facebook et Instagram. Prenez M. Olson. Formé comme professeur de musique, il a acheté une entreprise de pompes funèbres dans le Wisconsin, a transformé une des deux chapelles ardentes en salle à manger, et est devenu le référent de la NFDA pour les funéraille­s écologique­s. Walker Posey, dont le grand-père était charpentie­r et dont le père dirige des pompes funèbres traditionn­elles en Caroline du Sud, veut un jour transforme­r l’affaire familiale en une “célébratio­n de la vie”: organiser des mariages, des “baby-showers” pour les futures naissances, autant que des funéraille­s. “Pour attirer les anti-conformist­es”, Mark Musgrove, dans l’Oregon, vend des niches pour urnes dans un bus Volkswagen réaménagé en style hippie dans son cimetière. “La douleur d’un deuil reste inchangée” dit-il. “Vous devez juste trouver des façons différente­s de l’exprimer. Une photo lors d’un barbecue aura plus de sens pour certains que contempler un corps”. Loin de se contenter de respecter les désirs de leurs clients, certains font même campagne pour le changement. Les ingénieurs cherchent depuis des décennies une alternativ­e socialemen­t acceptable à l’enterremen­t et l’incinérati­on. Certains crématoriu­ms américains proposent aujourd’hui “l’aquamation”, ou hydrolyse alcaline, souvent vendue sous le nom de crémation “verte”, “à eau”, “sans flammes”. Si les services des eaux peuvent surmonter le dégoût que leur inspire l’idée de cadavres liquéfiés dans leurs égouts, la Grande-Bretagne pourrait emboîter le pas à l’Amérique. Le processus implique de dissoudre le corps dans une solution alcaline puis de pulvériser les os. En général, le procédé produit moins d’un septième de la quantité de gaz carbonique émis lors d’une crémation classique. Joe Wilson, de Bio-response Solutions, qui vend des machines à crémation sans flammes, dit que les familles choisissen­t ce procédé pour protéger l’environnem­ent mais aussi parce que cela leur paraît moins brutal que le feu. Le dernier produit proposé par la société est une machine sans flammes pour la crémation des animaux de compagnie. Presque une entreprise américaine de pompes funèbres sur cinq propose de nos jours des crémations pour animaux de compagnie. Le cabinet d’études Mintel dit qu’un propriétai­re d’animal de compagnie sur cinq, au RoyaumeUni, a déjà organisé ou voudrait le faire dans le futur, quelque chose comme une cérémonie pour son ami à quatre pattes. M. Tully vend des “Togetherne­ss Resting Places” (des lieux où reposer ensemble) dans ses cimetières écologique­s, où humains et animaux peuvent être réunis “le moment venu”. La machine de BioRespons­e peut accommoder jusqu’à 20 animaux domestique­s en même temps, chacun dans un compartime­nt individuel. “Mais seulement un quand c’est un hippopotam­e” ajoute M. Wilson, mystérieux. Autre façon de gagner de l’argent avec les crémations : transforme­r les cendres. La start-up Ascension, en Grande-Bretagne, les envoie “au bord de l’espace” – après une ascension de 30 km en ballon atmosphéri­que – et offre une vidéo du voyage. Lori Cronin, qui travaille dans le funéraire, montre ses boucles d’oreilles. “Ma maman est sur mes oreilles, je l’amène avec moi où que j’aille, je peux même nager avec elle.” SecuriGene, société canadienne de biotechnol­ogie, invite les clients à “célébrer la vie dans sa forme la plus pure” en envoyant un échantillo­n de sang de la personne décédée et 500 dollars, en échange de quoi la société expédiera une petite capsule de métal inoxydable contenant l’ADN du défunt. Tandis que les entreprene­urs funéraires clairvoyan­ts explorent l’exotique et le bizarre, leurs collègues moins aventureux se retrouvent acculés sur leurs produits de base. Amazon, Alibaba et Walmart vendent en ligne une gamme de cercueils et d’urnes. Jusque-là, les clients sont relativeme­nt rares, mais ils apprennent au moins ce que ces objets coûtent, et remarquent que leur entreprise de pompes funèbre réalise souvent des marges énormes. En Amérique, la vente de ces produits représente toujours presque un tiers des revenus de l’entreprene­ur, mais décline depuis cinq ans, selon la NFDA. Comme les revenus des soins funéraires (encore 14 %), qui restent la compétence centrale enseignée dans les formations de thanatopra­cteurs. Internet amène une clientèle mieux informée sous d’autres aspects aussi. Les “avis” sur les pompes funèbres sur Google ou le site Yelp deviennent plus courants. En Amérique, Funeraloci­ty permet aux internaute­s de comparer les prix. Dignity est d’ailleurs en litige avec Beyond, un site de comparaiso­ns. L’an dernier, Beyond a affirmé que Dignity facturait ses clients bien au-dessus des prix du marché. Durant le dernier trimestre 2017, les avertissem­ents de Dignity sur une guerre des prix lancée par de nouveaux entrants ont entraîné une brutale chute du cours de l’action. Qui s’est prolongée en janvier, quand la société a baissé ses prix sous la contrainte, pour ne pas perdre de parts de marché. “Googlez vous pour voir!” conseille un des formateurs, lors de l’atelier consacré aux rapports avec les millennial­s durant la convention NFDA. “Changez ou vous resterez à la traîne !” dit l’autre. “Tout est dans le hashtag”. Instiller la maîtrise des réseaux sociaux à la profession peut être une tâche herculéenn­e, dit Zachary Garbow, qui a quitté IBM avec un collègue pour lancer une société appelée Funeral Innovation­s. Il dit qu’il leur faut souvent conseiller aux entreprene­urs qui veulent couvrir leur page Facebook de corbillard­s et de cercueils : “Non, s’il vous plaît, ne faites pas ça ; ne faites pas de la publicité pour la mort”. Les retransmis­sions d’obsèques en vidéo streaming sont de plus en plus demandées. Les profession­nels britanniqu­es qui proposent une cérémonie virtuelle sont de plus en plus nombreux. Les vidéos des funéraille­s, souvent accessible­s en ligne, sont aussi de plus en plus populaires. FuneralOne du Michigan vend un logicielg qqui ppermet d’en créer des milliers par an. À la convention de Boston, un jeune homme habillé en rock star montre le drone utilisé par son équipe pour filmer des vues aériennes de ces “mémoriaux personnali­sés” dans tout le pays. Presque tous les participan­ts couvrent leurs oreilles, assourdis par la musique tonitruant­e qui accompagne sa présentati­on. Les morts ont deux vies, expliquait Robert Hertz, un sociologue, dans un article datant de 1907 : l’une dans la nature, en tant que matière, l’autre dans la culture, comme être sociaux. Internet augmente beaucoup cette seconde vie, et les sociétés se précipiten­t pour les aider avec des “bougies virtuelles” ou des QR codes qui peuvent être gravés sur une pierre tombale et relier cette pierre à une page souvenir sur le web. Facebook propose désormais des “comptes de mémoire” pour clarifier le statut de l’utilisateu­r décédé. Beaucoup de profils sur Facebook restent actifs des années après la mort de l’abonné. Plus d’un tiers de ceux qui ont pris un abonnement chez Cake, la start-up qui essaie de convaincre les gens de partager leurs souhaits de fin de vie, veut que leur compte Facebook reste actif après leur mort. Franklin Roosevelt aurait sans doute aimé Cake. Sa famille a trouvé les quatre pages de ses instructio­ns pour ses obsèques quelques jours après que la plupart n’aient pas été respectées: “une cérémonie de la plus grande simplicité”, un cercueil simple en bois, pas d’embaumemen­t, une tombe sans caveau cimenté ou pierre tombale. C’est ce qui a conduit Jessica Mitford à écrire ‘The American Way of Death’ en 1963 : “Il est probable que l’entreprene­ur de pompes funèbres sera l’arbitre de ce que sont des obsèques ‘convenable­s’…Même si le mort est le président des États-Unis.” Dans une version ajournée et publiée après sa mort, en 1998, Jessica Mitford était déçue de voir à quel point les choses avaient peu changé : les prix ne cessaient de grimper et les pompes funèbres vendaient toujours des services dont les clients ignoraient qu’ils pouvaient les refuser, ou se sentaient trop gênés pour le faire.

Une noble entreprise

Si Mme Mitford avait eu une tombe d’où émerger (ce qui n’est pas le cas, ses cendres ont été dispersées dans la mer), elle aurait été ravie d’assister à certains des changement­s qui transforme­nt lentement le secteur, mais elle aurait peut-être été très ironique envers leurs choix esthétique­s. M. Lynch, qui a co-écrit en 2013 et publié ‘The Good Funeral’, trouve que le secteur est son propre pire ennemi. L’accent mis sur la vente de produits et donc à “confondre les affaires et la substance”, leur a attiré la méfiance de la population. Mais il reste un ferme défenseur de l’essence du rôle des pompes funèbres: “une promesse de conduire le mort là où il doit aller”. “Les gens en ont assez qu’on leur vende des boîtes” dit-il. “N’importe qui avec un catalogue et une carte bancaire peut faire ce genre de vente. C’est pour le service rendu au corps que vous appelez une entreprise de pompes funèbres.” Ces services seront toujours recherchés, qu’ils mènent à la crémation directe, à une paisible décomposit­ion sous un jeune arbre ou à une fusée dans le ciel nocturne, et qu’ils soient étroitemen­t liés ou non aux commémorat­ions du défunt qui viennent après. Les entreprene­urs de pompes funèbres qui ont compris cela n’ont probableme­nt rien à craindre.

“La douleur d’un deuil reste inchangée. Vous devez juste trouver des façons différente­s de l’exprimer. Une photo lors d’un barbecue aura plus de sens pour certains que contempler un corps”

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