Information & technologies
Digitalisation des PME, la frilosité bleu-blanc-rouge
Les entreprises françaises sont en retard en matière de transformation digitale. Selon l’indice DESI (Digital Economy and Society Index) 2017 publié par la Commission européenne, les TPE et PME de l’Hexagone se positionnent en 16e place du classement européen, dans lequel le Danemark, la Finlande et la Suède arrivent en tête. De son côté, Bpifrance Le Lab fait le même constat dans son étude ‘ Les dirigeant de PME et ETI face au digital’: “la nouvelle révolution annoncée chaque jour par les médias n’a pas eu lieu pour la grande majorité des dirigeants”. Les entreprises françaises sont relativement actives dans le domaine du commerce électronique, tandis que le pays est doté de nombreuses compétences numériques. Il n’empêche: l’Hexagone ne parvient pas à passer le cap de la mise en place effective de cette mutation et demeure “en dessous de la moyenne de l’UE pour l’intégration des technologies numériques par les entreprises”, souligne l’indice DESI. Un paradoxe d’autant plus important que les usages sont fortement digitalisés en France. Malgré le fait que les clients s’informent et achètent massivement sur le web, les dirigeants n’ont pas tous pris conscience des opportunités pour leur business. “Les PME regroupent aussi bien des artisans ou des sociétés indépendantes, comme des coiffeurs ou des bouchers, que des sociétés industrielles, qui peuvent regrouper 150-200 salariés, rappelle Antoine Amiel, fondateur de Lean Assembly. Beaucoup de TPE ne se sentent pas du tout concernées par le numérique car elles font leurs affaires par le bouche-à-oreille. De leur côté, les grosses PME, notamment dans l’industrie, exportent peu, sont peu internationalisées et sont donc moins exposées à cette concurrence. Elles ne saisissent pas l’opportunité de développement.” La raison principale qui explique parfois le retard des petites structures ? “Une méconnaissance des modalités de mise en oeuvre, que ce soit en termes de compétences internes et externes à mobiliser ou de niveau d’investissement financier à engager. Souvent, beaucoup de PME saisissent finalement le levier du digital parce qu’elles y sont obligées par les demandes de leurs clients ou de leurs partenaires”, avance Benoît Favre-Nicolin, associé KPMG. Beaucoup d’acteurs du BtoB avaient aussi tendance à ne pas se sentir concernés. Un problème culturel, pour Bernard Drui, directeur général de Protiviti : “en France, nécessité fait loi. Nous avançons par à-coups, lorsque les ventes sont impactées, qu’il y a un problème de coût ou de concurrence. Nous avons tendance à conceptualiser, mais on ne considère pas qu’il s’agit d’une réalité actuelle”.
Déficit à l’interne
Le retard est donc criant. Alors que les grands groupes sont plutôt avancés sur le sujet – beaucoup ont rapidement recruté des digital officers, dans le but d’améliorer l’expérience client et n’hésitent pas non plus à travailler avec des acteurs innovants de la “fintech”, les PME ne disposent pas toujours des compétences nécessaires en interne pour se saisir des opportunités. “Passer au digital signifie prendre des risques d’organisation interne, ce qui est moins évident pour des structures sous-capitalisées”, rappelle Bernard Drui. Les petites structures souffrent aussi d’un problème d’attractivité auprès des jeunes diplômés. “Dans la transformation digitale, la compétence et l’humain ont une grande importance, mais les PME ont plus de mal à attirer les talents que les ETI ou les groupes”, remarque Vincent Dietsch, associé EY. Côté formation professionnelle, les salariés des petites entreprises sont également pénalisés par des inégalités, selon Antoine Amiel : “Les salariés des TPE/PME ne savent pas
La raison principale qui explique parfois le retard des petites structures ? “Une méconnaissance des modalités de mise en oeuvre, que ce soit en termes de compétences internes et externes à mobiliser ou de niveau d’investissement financier à engager.”
toujours qu’ils ont un droit à la formation et qu’ils cotisent pour cela. Le développement des talents et de l’employabilité n’est pas toujours une préoccupation des patrons”.
La ppriorité à la relation, l’efficacité interne délaissée
Le risque : se voir doubler par les nouveaux entrants issus du numérique, des digital natives qui n’ont pas besoin de passer par une transformation mais sont capables d’innover de façon beaucoup plus rapide et agile. Au sein des PME et ETI qui ont compris la nécessité du digital, les investissements s’orientent massivement autour de deux domaines prioritaires, selon une étude menée conjointement par EY et Apax Partners : l’expérience client d’abord, avec le développement de différents canaux de contact et le CRM (customer relationship management ou gestion de la relation client), et la cybersécurité ensuite. Si la motivation est massivement orientée sur l’objectif de renforcer sa visibilité auprès de la clientèle, le digital s’avère pourtant être un moyen efficace de renforcer également son efficacité opérationnelle en interne, un pan oublié des dirigeants. “Seules plus grosses entreprises ont compris l’intérêt de l’optimisation des coûts grâce à la data ou l’open innovation, avec
un impact direct sur le développement d’un chiffre d’affaires”, note Grégory Salinger, chief digital officer chez Apax Partners. Digitaliser la force de vente permet pourtant d’augmenter la capacité de l’entreprise à s’adresser à davantage de clients. “Aider les structures à se digitaliser ne signifie pas que vendre sur Internet, mais aussi améliorer l’efficacité et baisser les coûts pour accéder à un marché plus grand”, rappelle Bernard Drui. Le cloud est un outil formidable pour entrer dans la digitalisation. Accessible à moindre coût, il permet un recentrage sur le coeur de métier, et ne nécessite pas forcément de DSI en interne. Impression 3D et réalité augmentée sont aussi des technologies au service des collaborateurs, qui permettent de gagner en efficacité. “Les entreprises entrent souvent dans la transformation digitale avec la volonté d’améliorer leur relation client, mais là où elles gagnent finalement, c’est en efficacité opérationnelle, en développant de nouvelles façons de travailler et d’optimiser les tâches”, selon
Benoît Favre-Nicolin.
Une transformation digitale g réussie repose sur l’humain
La dimension humaine est sans doute la plus importante de la transformation digitale. Des recrutements internes sont nécessaires et il peut s’avérer judicieux d’acquérir des compétences externes via des partenaires, comme des agences digitales, des cabinets de conseil ou des startup. Pivot de la transformation, les marketeurs digitaux travaillent à renforcer l’expérience client à travers les nouvelles technologies. “On perd souvent de vue que le business est un savoir-faire, mais aussi un effort quotidien de communication. Le web est un outil formidable pour cela”, rappelle Bernard Drui. Dans le but d’améliorer la logistique et la production, certaines compétences en robotisation sont également à cibler. “Dans l’industrie, le digital permet de réduire significativement les coûts industriels, mais n’a de sens que lorsqu’il est associé au lean management, qui permet d’améliorer l’organisation du travail” selon Benoît Favre-Nicolin. Pour l’analyse de données, les data scientist sont également des profils très recherchés. En termes organisationnels, l’impulsion doit venir du haut. “Le chief digital officer (CDO) peut être un chef d’orchestre des différentes initiatives à mettre en place. Selon le contexte, plusieurs membres du comité de direction doivent être directement impliqués. Dans les sociétés de BtoC, les patrons marketing et les DSI forment un bon tandem. Mais il faut aussi que les autres membres de l’équipe soient partie prenante, notamment les DRH, pour travailler sur les collaborations en interne”, affirme Vincent Dietsch. Une transformation est donc réussie lorsque le digital est intégré au coeur de la stratégie et du fonctionnement de la société, utilisé comme un vecteur de croissance. “Le digital est une opportunité qui permet de créer de la valeur par l’innovation – c’est un point important – ainsi que par une transformation du mode de management”, indique Grégory Salinger. Acquérir une solution CRM, former ses collaborateurs, améliorer des process internes et mettre en place un marketing digital… l’investissement peut être lourd, avec un ticket d’entrée qui s’élève vite de 30 000 à 100 000 euros. “L’une des solutions est la mutualisation. Mais en France, un frein culturel subsiste. Développer une culture du partage pourrait pourtant permettre de faire baisser les coûts”, déclare Antoine Amiel. Si le retour sur investissement n’est pas facile à anticiper, il porte en revanche rapidement ses fruits. Une feuille de route avec des objectifs clairs à atteindre permet de cibler ses attentes :
augmentation du chiffre d’affaires, gain en efficacité opérationnelle… “Dans l’idéal, l’objectif est que la transition digitale s’autofinance, ou présente un retour sur investissement à un à deux ans. Ce retour sur investissement peut être de nature financière mais aussi qualitative, notamment lorsqu’il permet par exemple d’accroître l’image innovante de l’entreprise”, déclare Benoît Favre-Nicolin. Anticiper sa mutation permet donc d’éviter l’urgence et la mise en place d’un plan qui va au-delà de la simple mise à niveau.
“Les entreprises entrent souvent dans la transformation digitale avec la volonté d’améliorer leur relation client, mais là où elles gagnent finalement, c’est en efficacité opérationnelle, en développant de nouvelles façons de travailler et d’optimiser les tâches” “Aider les structures à se digitaliser ne signifie pas que vendre sur Internet, mais aussi améliorer l’efficacité et baisser les coûts pour accéder à un marché plus grand”