Le Nouvel Économiste

Ressources humaines

Travailleu­rs handicapés, former plus pour intégrer mieux

- CHARLOTTE DE SAINTIGNON

“Beaucoup d’entreprise­s utilisent le team building comme un moyen pour s’amuser”, regrette Hélène Landrieu, DRH France d’American Express. Cela pourrait en partie s’expliquer par le nombre de nouveaux prestatair­es, plus souvent spécialisé­s dans le loisir et l’animation que dans la formation. Si la quantité et la diversité des activités proposées se sont en effet singulière­ment accrues, celles-ci semblent néanmoins avoir perdu de vue l’essentiel : l’objectif visé par l’entreprise. En vogue depuis les années 1980, le team building vise à créer ou maintenir une cohésion de groupe à travers des activités ludiques. Une manière d’assurer une proximité avec son équipe et de connaître les gens avec qui l’on travaille. Loin de remplir toutes ces fonctions aujourd’hui – ou du moins avec moins d’efficacité qu’auparavant – le team building compte ses détracteur­s comme ses aficionado­s. D’autant qu’il peut rapidement faire un flop si l’activité proposée par l’entreprise ne correspond pas aux aspiration­s des collaborat­eurs. “Il ne s’agit pas de décider en haut et d’imposer une activité, plaide Pouya Mohtacham, président du collectif de start-up HappyTech. Les activités sportives par exemple ne plaisent pas à tout le monde. L’idée est d’inverser la démarche et de comprendre d’abord les attentes des salariés. En cela, le digital permet de personnali­ser les choses et d’organiser la meilleure activité.”

Créer des connexions et des amitiés

Si le team building était au départ consacré au dépassemen­t de soi avec des sorties en rafting ou du saut à l’élastique, puis au développem­ent de la conviviali­té avec des activités comme le paintball ou le karting, il a pris aujourd’hui une tout autre dimension. Le but affiché est de faire se rencontrer des collaborat­eurs qui ne sont pas forcément amenés à se croiser, et de mélanger les équipes pour qu’ils travaillen­t mieux ensemble ensuite. En ligne de mire, la nécessité de mixer équipes et départemen­ts pour que les opérations de team building fonctionne­nt. “L’entreprise réplique trop souvent son modèle organisati­onnel” regrette Pouya Mohtacham. Chez Mazars, les séminaires d’intégratio­n et de promotion organisés pour les managers sont ainsi l’occasion de sortir du quotidien, d’apprendre à mieux se connaître. Et de créer des relations d’amitié. “Le premier facteur de motivation chez nous est le fait d’avoir des amis très proches au sein de l’entreprise, justifie Mathilde Le Coz, sa directrice développem­ent des talents et innovation RH. Exit le costume-cravate, les collaborat­eurs lâchent les vannes, font tomber leurs masques et leur posture de salarié pour rire ensemble.” Jeux type Koh Lanta, mises en situation, chansons, tout est prétexte à la conviviali­té et aux échanges. “L’idée est de partager autre chose que les sujets de tous les jours au bureau, de voir ses collègues différemme­nt et d’apprendre à se connaître dans un autre environnem­ent. Le team building est un formidable outil pour casser les silos et créer des communauté­s plus transverse­s et flottantes” plaide Mathilde Le Coz.

Une stimulatio­n au quotidien

Chez American Express, on organise des semaines à thèmes comme “Octobre Parme”, une course ou une marche citoyenne déguisée avec tombola, collecte de sang, ou “Blue Box Engagement” sur le thème de la fête foraine avec des olympiades interéquip­es, ballons, pop-corn, barbe à papa… Mais pas question pour la filiale France de ne faire que des événements isolés de team building trois fois par an. “S’il n’y a rien avant et rien après, cela peut être un coup d’épée dans l’eau, prévient Hélène Landrieu, sa

DRH France. Ce doit être une culture du quotidien.” La filiale propose ainsi régulièrem­ent des challenges interéquip­es. Dernier en date, la décoration de son espace de travail pour Halloween ou pour Noël. Pour que la cohésion créée se poursuive au-delà l’événement, l’entreprise doit mener une politique RH ambitieuse tout au long de l’année. “Il faut sortir du côté gadget et marketing du team building et travailler à côté et en continu pour créer une véritable confiance, une transparen­ce au quotidien. Sinon, on peut très vite tomber dans l’hypocrisie du ‘tout se passe bien un jour donné’ ” prévient Mathilde Le Coz. Dans l’environnem­ent d’EY, les salariés ont l’habitude de travailler en équipe et multiplien­t les petitsdéje­uners et dîners conviviaux. Malgré tout, les équipes changent souvent et “le team building fait partie de notre ADN”, fait remarquer

Le team building peut faire un flop si l’activité ne correspond pas aux aspiration­s des collaborat­eurs

Audrey Deconclois, sa DRH pour la France, la Belgique, les Pays-Bas et le Maghreb. Le but, faire en sorte que les salariés soient plus à l’aise pour travailler ensemble. “Cela crée de la confiance et permet aux collaborat­eurs d’être engagé dans un environnem­ent où on se sent bien. On peut s’appuyer sur les autres, construire avec eux et aller dans la même direction pour le même résultat.” Pour la RH, le team building aide aussi à tenir le coup dans certaines situations : “Le fait d’être soudé permet de se sentir plus soutenu en cas de charge de travail importante ou de moment de pression. Cela aide à passer le cap”. Aux entreprise­s de mettre en place des choses simples pour créer une cohésion dans leurs équipes. “Se taper dans la main ou avoir un cri d’équipe avant une réunion client est un exemple simple mais qui peut fonctionne­r” détaille Pouya Mohtacham. Sans aller jusqu’à organiser un séminaire, un escape game, un challenge sportif ou un karaoké, les entreprise­s peuvent déjà planifier des petitsdéje­uners hebdomadai­res ou des soirées jeux. Il revient souvent finalement aux équipes de trouver et d’organiser les événements les plus adéquats pour eux. Associatio­n sportive, club de sport, CE et BDE sont aussi là pour encourager le collectif à se retrouver. En général, favoriser la pratique du sport entre collègues, sans être une activité de team building, peut être un atout pour stimuler la cohésion d’équipe. Chez Decathlon,

“pas besoin de créer un événement de

team building pour renforcer la cohésion d’équipe” justifie Xavier Rivoire, responsabl­e de la communicat­ion humaine et marque employeur. Si le team building n’existe pas au sein de l’entreprise, il s’applique naturellem­ent puisque le sport est inhérent au

quotidien des salariés. “Pas une seule réunion d’équipe ne se fait sans partage sportif. Pour construire nos équipes, le sport sert de ciment et de trait d’union, et nous nous servons de ses valeurs de constance, d’endurance, de partage et d’esprit collectif.”

Cadre de travail et management libéré

Au-delà de ces opérations de team building, les entreprise­s cultivent les espaces bien-être et détente dans des locaux repensés en salons cosy, et proposent à leurs collaborat­eurs un large panel de services – mentoring, concierger­ie, coaching sportif… Simplifier le quotidien des collaborat­eurs et aménager l’espace de travail pour qu’il soit attrayant, c’est bien, mais le coeur du sujet est ailleurs. S’ils font partie des principaux leviers favorisant le bien-être, ils collaborat­eurs. ne suffisent Au pas manager pour engager de communique­r les et rassembler autour de projets au quotidien. “La motivation ne suffit pas. L’entreprise doit permettre au collaborat­eur de se sentir meilleur et faire en sorte qu’il soit fier de son entreprise, qu’il ait envie de la faire grandir et de s’inscrire dans un projet collectif en lui renvoyant une image positive de lui-même. Je crois personnell­ement à l’engagement via l’estime de soi”, argumente Mathilde Le Coz. Le management autoritair­e laisse place depuis plusieurs années déjà au management libéré et collectif où les collaborat­eurs responsabi­lisés évoluent dans le partage et dans des relations humaines respectueu­ses et valorisant­es. “Les salariés doivent se sentir épaulés, encouragés et pouvoir proposer leurs propres initiative­s,

poursuit Mathilde Le Coz. En cela, les managers doivent être des coaches facilitate­urs, mais qui n’imposent pas leur façon de faire. Le but, les aider à avoir confiance en eux en leur laissant droit à l’erreur.” Chez Decathlon, les collaborat­eurs peuvent prendre des décisions et des responsabi­lités quelle que soit leur fonction ou leur mission. “On suit une logique d’effacement des titres et des fonctions grâce à notre management horizontal et à la confiance que l’on donne à nos salariés” justifie Xavier Rivoire. American Express, forte de sa culture américaine, prône de son côté l’informel et l’accessibil­ité. Toutes les initiative­s d’entraide et d’apprentiss­age entre pairs vont dans ce sens. Son système de “lunch&learn” permet aux salariés de venir à l’heure du déjeuner se présenter et partager leur parcours et leur expérience. L’entreprise espère ainsi favoriser l’interactiv­ité. “Les collaborat­eurs doivent sentir qu’ils apportent quelque chose aux autres pour trouver leur propre sens dans l’entreprise” analyse Hélène Landrieu.

Mesurer le bien-être des salariés

Pour favoriser toujours plus les échanges formels et informels entre managers et collaborat­eurs, les entreprise­s multiplien­t les feed-back. Ces avis transmis et reçus régulièrem­ent en temps réel permettent une reconnaiss­ance objective des salariés. Mazars a ainsi troqué ses entretiens annuels d’évaluation et ses fiches d’évaluation de performanc­e pour des feed-back permanents grâce à l’outil de SIRH “work day”. Chaque collaborat­eur peut faire un retour

sur le travail d’un autre, sans jugement de valeur, de façon gratuite et constructi­ve. “L’évaluation annuelle, qui peut être assimilée au principe du bâton et de la carotte, peut être très nuisible pour les collaborat­eurs et complèteme­nt en contradict­ion avec la culture de confiance que nous avons instaurée” détaille Mathilde Le Coz. L’idée est de pouvoir parler de pair à pair, de façon descendant­e ou ascendante et complèteme­nt décorrélée des liens hiérarchiq­ues existants. “Une personne qui ne travaille pas aux RH peut très bien me faire un retour sur un point et formuler des conseils pour m’aider à m’améliorer.” Un bon moyen de favoriser transparen­ce et confiance dans l’entreprise, et de s’améliorer grâce aux remarques de chacun. Autre moyen d’avoir des retours ascendants de ses collaborat­eurs : les enquêtes de satisfacti­on sur leur environnem­ent de travail, les valeurs de l’entreprise, leurs motivation­s, leurs managers, etc. Tous les deux mois, les 3 000 collaborat­eurs français de Mazars reçoivent une dizaine de questions par SMS ou par mail auxquelles ils peuvent répondre en quelques minutes de façon anonyme. “L’idée est de cartograph­ier la motivation des collaborat­eurs et leur bien-être profond.” Même son de cloche chez EY qui mène des sondages auprès de ses salariés pour pouvoir traiter et prioriser leurs attentes. Rien de tel pour mesurer le degré de bienêtre et de motivation des salariés et s’adapter toujours un peu plus à leurs attentes.

“L’entreprise doit permettre au collaborat­eur de se sentir meilleur et faire en sorte qu’il soit fier de son entreprise, qu’il ait envie de la faire grandir et de s’inscrire dans un projet collectif en lui renvoyant une image positive de lui-même” Sans aller jusqu’à organiser un séminaire, un escape game, un challenge sportif ou un karaoké, les entreprise­s peuvent déjà planifier des petits-déjeuners hebdomadai­res ou des soirées jeux

 ??  ?? Les activités de team building sont des sas de décompress­ion pour les salariés, et favorisent la création d’un esprit d’équipe et la rencontre. Mais dans la sacrosaint­e course à la motivation et à l’engagement, elles ne constituen­t qu’une étape dans...
Les activités de team building sont des sas de décompress­ion pour les salariés, et favorisent la création d’un esprit d’équipe et la rencontre. Mais dans la sacrosaint­e course à la motivation et à l’engagement, elles ne constituen­t qu’une étape dans...
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Le Coz, Mazars.
“Il faut sortir du côté gadget et marketing du team building et travailler à côté et en continu pour créer une véritable confiance, une transparen­ce au quotidien.” Mathilde Le Coz, Mazars.
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culture du quotidien.” Hélène Landrieu, American Express.
“S’il n’y a rien avant et rien après l’opération de team building, elle peut être un coup d’épée dans l’eau. Ce doit être une culture du quotidien.” Hélène Landrieu, American Express.

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