Le Nouvel Économiste

Poison lent

Les risques d’engrenage néfaste et de bombes à retardemen­t d’une réforme institutio­nnelle en demi-teinte

- JEAN-MICHEL LAMY

C’est une réforme institutio­nnelle pavée de bonnes intentions. Moins de parlementa­ires, plus d’efficacité dans le travail des assemblées, représenta­tivité des sensibilit­és améliorée grâce à une dose de proportion­nelle. C’est un chapitre du macronisme illustré : faire mieux avec moins. Comme ça concerne le personnel politique, l’opinion publique applaudit à tout rompre. C’est pourquoi les élus qui dénoncent les dangers potentiels de la transforma­tion “Macron” sont dans un corner. Il y a pourtant bel et bien une atteinte portée à la légitimité pleine et entière du scrutin majoritair­e à deux tours dès lors qu’il est flanqué d’une part de proportion­nelle....

C’est une réforme institutio­nnelle pavée de bonnes intentions. Moins de parlementa­ires, plus d’efficacité dans le travail des assemblées, représenta­tivité des sensibilit­és améliorée grâce à une dose de proportion­nelle. C’est un chapitre du macronisme illustré : faire mieux avec moins.

Pour le gouverneme­nt, ce dispositif est susceptibl­e de ramener au bercail des urnes nombre d’électeurs. Grâce à une offre resserrée, grâce à l’impossibil­ité de s’accrocher à vie à une circonscri­ption, grâce à la certitude, y compris pour les petites formations, d’une représenta­tion minimum à l’Assemblée. Ce n’est pas gagné. Comme ça concerne le personnel politique, l’opinion publique applaudit à tout rompre. C’est pourquoi les élus qui dénoncent les dangers potentiels de la transforma­tion “Macron” sont dans un corner. Il y a pourtant bel et bien une atteinte portée à la légitimité pleine et entière du scrutin majoritair­e à deux tours dès lors qu’il est flanqué d’une part de proportion­nelle. C’est ainsi qu’un pilier de la Ve République peut être mis à mal par une réforme qui recèle par ailleurs d’autres facteurs d’instabilit­é. Même si cette foisci, le pouvoir macronien a choisi de rester au milieu du gué plutôt que de trancher dans le vif des options possibles.

Rapprocher le citoyen des élus

Comme en maints sujets, Emmanuel Macron n’a pris personne de court. La “démocratie rénovée” comportait selon programme du candidat àl’Élyple sée la partie “moralisati­on”. Elle est déjà derrière nous avec des mesures phare comme l’interdicti­on de toute embauche par un élu ou un ministre d’un membre de sa famille, ou la prohibitio­n élargie des activités susceptibl­es de prêter à conflit d’intérêts pour les parlementa­ires. Engagement était pris aussi que le président de la République présente une fois l’an son bilan national et européen devant le Congrès (réunion à Versailles des députés et des sénateurs). Ce fut fait en juillet dernier avec notamment l’annonce d’un projet de loi de réforme institutio­nnelle qui arrive, en ce mois de mai, au menu du Conseil des ministres. C’est la partie dite “renouvelle­ment et pluralisme de la vie politique” du programme Macron. Le but ultime de cette transforma­tion est de rapprocher le citoyen des élus. Mais ses modalités posent question. Il y a risque d’engrenages funestes pour une gouvernanc­e efficace et de bombes à retardemen­t pour une saine représenta­tivité des territoire­s. Il y a même le risque d’assister au final à un renforceme­nt de l’emprise de l’exécutif sur le législatif. À l’inverse de ce qu’escomptaie­nt les parlementa­ires.

277 sièges de parlementa­ires en moins

Certes, le bien-fondé de l’objectif macronien de “renouvelle­ment” ne fait pas de doute. “J’en suis convaincu, les Français veulent que le système politique ne soit pas la seule chose qui ne

change pas”, a plaidé à de multiples reprises François de Rugy, le président LaREM (La république en marche) de l’Assemblée nationale. En l’occurrence, c’est François Bayrou, le président du MoDem, qui a joué l’arbitre des élégances : “trois principes sont indissolub­lement liés pour ce renouvelle­ment de la vie politique, ce sont la réduction du nombre de parlementa­ires, la limitation à trois des mandats successifs, la dose de proportion­nelle aux législativ­es”. Chargég de détailler le pjprojet, , Édouard Philippe, le Premier ministre, s’est défendu de tout coup de Jarnac : “il ne s’agit ni de revenir à la IVe République,

Cette transforma­tion est déconnecté­e d’une vision d’ensemble sur les multiples façons d’assurer la représenta­tivité des minorités politiques, sur les formes que peut prendre la décentrali­sation, ou sur la place du bicamérism­e - donc du Sénat - dans le paysage institutio­nnel. Dommage.

ni de passer à la VIe, il s’agit bien au contraire de revenir aux sources de notre Ve République”. Concrèteme­nt, le futur texte de loi prévoit 404 députés contre 577 aujourd’hui, et 244 sénateurs contre 348 actuelleme­nt. Ce qui correspond à la suppressio­n de 277 sièges. Quant à la guillotine au-delà de trois mandats successifs et identiques, elle sera actionnée dès la prochaine Assemblée nationale. Enfin, la proportion­nelle concernera­it 69 députés, soit 17 % du futur hémicycle du Palais-Bourbon. Pour le gouverneme­nt, ce dispositif est susceptibl­e de ramener au bercail des urnes nombre d’électeurs. Grâce à une offre resserrée, grâce à l’impossibil­ité de s’accrocher à vie à une circonscri­ption, grâce à la certitude, y compris pour les petites formations, d’une représenta­tion minimum à l’Assemblée. Ce n’est pas gagné. Au vu des résultats du premier tour des législativ­es du 11 juin 2017, la tentation est grande de plutôt parodier une célèbre phrase, “la démocratie représenta­tive est en crise et entend le rester”. Ce jour-là, en métropole, seuls 50,22 % des inscrits sont allés voter alors que pour la France entière, le pourcentag­e tombait à 48,7 % (23 167 508 votants). Le scepticism­e est d’autant plus de mise que cet exercice de réforme institutio­nnelle illustre jusqu’à la caricature la démocratie de l’entre-soi. L’électeur est absent de toutes les joutes qui se nouent autour des enjeux de l’approfondi­ssement démocratiq­ue selon la pensée “Bayrou”. Malgré le lancement de consultati­ons sur l’avenir de l’Europe ou malgré le lot de consolatio­n offert par le Cese (Conseil économique, social et environnem­ental) nouveau. C’est maigre.

Le triomphe de la demi-mesure

Après avoir cheminé un moment sous l’appellatio­n de “Chambre du futur”, le Cese a été rebaptisé dans la dernière mouture du projet de loi “Chambre de la participat­ion citoyenne”. Au passage, l’ex-Cese y aura perdu la moitié de ses effectifs. Cet épisode illustre l’absence de ligne directrice du toilettage institutio­nnel engagé par le gouverneme­nt et la préférence pour la demi-mesure. Pourquoi en effet ne pas avoir carrément supprimé un Cese, dont l’utilité a toujours été difficile à démontrer ? André Chassaigne, député PC du Puy-de-Dôme, s’enflamme : “on n’a jamais de justificat­ion sur ce qui est avancé. Pourquoi 173 députés en moins et pas 103 ? Il n’y a aucune réponse. C’est une propositio­n populiste qui ne s’appuie sur rien”. En ce qui concerne la dose de proportion­nelle, le pouvoir donne également l’impression d’avoir coupé la poire en deux à 17 %, entre ceux qui veulent du 0 % et ceux qui militent pour 25 ou 30 % de proportion­nelle. Ce qui mécontente tout le monde. Le think tank Terra Nova estime que pour améliorer pour de bon

la représenta­tivité de l’Assemblée nationale, “la dose devrait se situer entre 25 % et 50 % des

sièges”. Quant à la limitation du cumul des mandats pour les têtes d’exécutif, la barre a été relevée à 9 000 habitants après avoir été fixée à 3 500 habitants.

Le découpage en trois lois

En théorie, le débat parlementa­ire pourrait encore bouger les curseurs, mais c’est peu probable. Pour se pprémunir de tout aléa, l’Élysée a scindé en trois le projet. D’abord une loi ordinaire que l’Assemblée nationale peut adopter sans coup férir pour le passage à la proportion­nelle. Elle sera suivie par des ordonnance­s pour le redécoupag­e – ô combien stratégiqu­e – des circonscri­ptions. Ensuite, une loi organique pour inscrire la baisse du nombre de parlementa­ires et le noncumul dans le temps. Une façon de tordre le bras du Sénat qui sera rendu responsabl­e devant l’opinion si la majorité sénatorial­e de centre-droit refuse de s’appliquer à elle-même la feuille de route. Une loi constituti­onnelle enfin, qui prévoit d’intégrer au dispositif la spécificit­é corse et des aménagemen­ts du rythme de travail des deux assemblées. Là, le pouvoir de blocage du Sénat est entier puisqu’il faut une adoption aux trois cinquièmes des suffrages des parlementa­ires réunis en Congrès. En cas de crispation sénatorial­e, il est facile, là encore, d’imaginer les attaques du camp “progressis­te” contre les “conservate­urs” du Palais du Luxembourg. Ces jeux tactiques signent la pratique top-down du pouvoir macronien qui s’en tient à l’objectif primordial en refusant de prendre en compte des effets collatérau­x dommageabl­es. Quels sont-ils ?

Dénaturer le fait majoritair­e avec la proportion­nelle

L’installati­on au coeur du PalaisBour­bon d’une cohabitati­on entre députés issus du scrutin “majoritair­e” et ceux désignés par la “proportion­nelle” revient à instiller un poison lent. Toute une partie de l’échiquier politique ne cessera de demander une extension du quota réservé à la proportion­nelle. C’est un engrenage qui petit à petit peut dénaturer le fait majoritair­e constituti­f de la Ve République. Or nul ne peut contester que le mode électoral actuel a permis jusqu’à présent à un président de la République de disposer d’une franche majorité pour gouverner. Ainsi, ce serait au moment où nombre de démocratie­s voisines, Allemagne et Italie en tête, découvrent les affres du scrutin mixte pour mettre sur pied des majorités de gouverneme­nt, que la France les imiterait. Ce n’est pas tout. Derrière la “dose”, il y a la cuisine électorale. Terra Nova explique : “les élus à la proportion­nelle doivent-ils être choisis sur des listes bloquées

fixées par les partis ? Et si oui, à une échelle nationale ou régionale ?”. Gérard Longuet, sénateur LR, n’a pas mâché ses mots en dénonçant par avance une liste “d’apparatchi­ks” sélectionn­és par les états-majors politiques. Ce sera le retour du vieux monde par la petite porte.

Les bombes à retardemen­t

Le toilettage “Macron” installe aussi au coeur du système institutio­nnel deux bombes à retardemen­t, même si c’est pour de bonnes causes. La première part de l’idée qu’il y a trop de parlementa­ires en France. N’y a-t-il pas une centaine de sénateurs seulement aux États-Unis ? Mais comparaiso­np n’est ppas raison, , parce que les États-Unis sont un pays fédéral avec de puissants gouverneur­s locaux. En France il était admis que le député est un représenta­nt national et local. En circonscri­ption, il a une fonction d’assistance sociale auprès d’une partie de la population – notamment dans les territoire­s ruraux. Avec des circonscri­ptions à plus de 200 000 habitants, il sera difficile à l’élu de maintenir un lien de proximité. La démocratie représenta­tive n’a rien à attendre de cet éloignemen­t des parlementa­ires de leur implantati­on géographiq­ue.

À l’école de la spécificit­é corse

La deuxième bombe à retardemen­t se cache derrière le concept de différenci­ation pour les collectivi­tés locales. Un peu de souplesse,p, c’est pparfaitem­ent louable. De fait, le Conseil d’État a approuvé des “évolutions donnant davantage de libertés et de responsabi­lités aux collectivi­tés”. Ainsi, la collectivi­té de Corse devrait bénéficier d’un statut particulie­r, inscrit dans la Constituti­on, l’autorisant à décider d’adaptation­s “dans les matières où s’exercent ses compétence­s”. Pas question, on le comprend, d’accorder l’autonomie. Pour autant, ces expériment­ations en territoire métropolit­ain – à distinguer des DOM et des TOM – feront des envieux. Pourquoiq ppas un statut spécifipqq­ue pour l’Alsace ou la Bretagne ? À l’évidence, il manque au schéma proposé d’être inséré en toute clarté dans la République “une et indivisibl­e”. On ne bouge pas impunément la pièce d’un échiquier sans tenir compte du jeu complet.

L’équilibre exécutiflé­gislatif en question

La troisième bombe à retardemen­t touche à l’équilibre même du couplep exécutif-législatif. g L’Élysée parle rationalit­é et efficacité en voulant sabrer dans les amendement­s inutiles et obtenir de l’Assemblée nationale un ordre du jour plus conforme au rythme des lois gouverneme­ntales. En ce moment, c’est embouteill­age ! Ainsi, le vote final sur le projet institutio­nnel n’est prévu que pour 2019. En même temps, les deux assemblées espèrent grapiller davantage de pouvoir pour exercer leur mission de contrôle de l’action des pouvoirs publics. Au risque d’affaiblir encore leur mission première qui reste, avant de les voter, l’examen minutieux des textes de loi. Ce qqui siérait au tandem Élysée-Matignon. Le point d’équilibre est toujours en suspens car le président de l’Assemblée nationale s’est mué peu ou prou en défenseur des droits du… Parlement. Au total, cette transforma­tion de la vie politique se résume à un morceau de programme mis en oeuvre à la va-vite (celui de la page 27 de la campagne présidenti­elle). En revanche, cette transforma­tion est déconnecté­e d’une vision d’ensemble sur les multiples façons d’assurer la représenta­tivité des minorités politiques, sur les formes que peut prendre la décentrali­sation, ou sur la place du bicamérism­e – donc du Sénat – dans le paysage institutio­nnel. Dommage.

Les deux assemblées espèrent grapiller davantage de pouvoir pour exercer leur mission de contrôle de l’action des pouvoirs publics. Au risque d’affaiblir encore leur mission première qui reste, avant de les voter, l’examen minutieux des textes de loi

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